Politique
Le théorème d’Antoine
10.12.2004
Voici quelques semaines, la Société régionale wallonne du transport (SRWT), qui chapeaute les cinq TEC wallons, a communiqué les résultats d’une enquête de satisfaction réalisée auprès des utilisateurs des transports en commun de Wallonie. Ce sondage semble avoir été mené de façon scrupuleuse puisqu’un contingent d’enquêteurs anonymes ont soumis aux usagers une bonne soixantaine de questions diverses et variées. Il en ressort que ceux-ci sont globalement satisfaits de leur sort de déambulateurs occasionnels, réguliers ou fervents. Il convient de se frotter les mains à la lecture de ces bons résultats. La félicité d’autrui est toujours un motif de bonne humeur pour l’homme de bonne volonté. Cependant, le sel de l’histoire réside ailleurs. Lors de la conférence de presse destinée à présenter les résultats, le sémillant ministre des Transports, André Antoine, a éludé une question d’un journaliste portant sur le développement de la politique conduisant à la gratuité du transport en commun public. Est-ce qu’après les aînés il était raisonnable d’espérer la voir s’étendre à d’autres catégories de la population? Il se trouve que ce choix n’est pas celui du ministre, qui a déjà exprimé sur cette question sa préférence pour une politique de renforcement de l’offre. C’est une position éminemment respectable et un débat, même vif, sur cette question ne déshonorerait pas une démocratie moderne. La réponse du ministre mérite cependant d’être relatée. Il a indiqué que l’enquête ne faisait pas ressortir que les usagers soient particulièrement demandeurs vis-à-vis de cette gratuité. Sur un plan strictement factuel, c’est rigoureusement vrai. Mais nous ferions preuve de parcimonie avec la vérité en n’ajoutant pas que, parmi les questions de l’enquête, aucune ne portait sur cet aspect particulier… Au rayon des trouvailles politiques, il conviendra dorénavant de faire figurer en bonne place, juste à côté des projets visant à «prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu’à la mer» ou à «construire les villes à la campagne», le théorème d’Antoine. On peut l’énoncer de la façon suivante : «la meilleure façon d’éviter une réponse déplaisante consiste à ne pas poser la question qui la rend possible». C’est une avancée dialectique dont il n’est pas encore possible de prévoir l’infini et le chatoiement des combinaisons. Le ministre Antoine est un homme politique de haute sapience et de fine chicane, nourri au lait roboratif des meilleurs auteurs. On aurait mauvaise grâce à lui faire reproche de donner une nouvelle jeunesse à cette maxime de La Rochefoucauld : On est toujours plus heureux de ce que l’on ignore que de ce que l’on sait.