Politique
Le smog européen
05.04.2019
LES PARLEMENTAIRES BRITANNIQUES VOTENT CONTRE L’ACCORD DE RETRAIT,
CONTRE UN « NO DEAL » ET POUR UN REPORT DU BREXIT
[Chronique européenne publiée dans le numéro 107 de Politique, mars 2019]
Deux ans d’âpres négociations, à louvoyer entre des positions britanniques contradictoires. Vingt-quatre mois de discussions tendues pour organiser le départ d’un partenaire qui pèse 10,6 milliards d’euros de contribution au budget européen et 66 millions d’habitants. D’échéances en dates butoirs, de refus catégoriques en annonces péremptoires, le Brexit a vécu au rythme d’une croisière dans le triangle des Bermudes. Au départ, la boussole
pointait la destination avec précision et 51,9 % des suffrages britanniques : la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne au 30 mars 2019. Une fois pénétrée la zone de turbulences, quand Theresa May a activé l’article 50, les instruments de vol ont perdu leur nord magnétique et se sont affolés:
Brexit ? No Brexit ? Deal ? No deal ? Second référendum ? Nouvelles élections législatives ? Report du Brexit ?… Mais que veut donc le Royaume-Uni ?
Les négociations ont concentré l’attention des Européens. L’enjeu pour l’UE est de taille : rester « unie dans la diversité », comme le rappelle sa devise, face à un ex-partenaire de poids. C’est d’ailleurs l’un des seuls sujets qui a rassemblé autour d’une vision commune les institutions européennes et les chefs d’État et de gouvernement pendant cette législature 2014-2019.
L’aiguille de la boussole s’est stabilisée en novembre 2018 : un accord de retrait trouvé, entériné par les 27 États membres. Restait à convaincre les parlementaires britanniques. La Première ministre britannique a péniblement tâtonné dans le brouillard à la recherche d’une percée auprès de
la Chambre des Communes : 11 décembre 2018 report du vote sur l’accord de retrait, 15 janvier 2019 rejet de l’accord de retrait, 12 mars 2019 deuxième rejet de l’accord de retrait, 13 mars 2019 refus d’une sortie sans accord, 14 mars 2019 demande de report du Brexit. Les votes se sont enchaînés et embrouillés dans un smog typiquement britannique, ce mélange de fumée (smoke) et brouillard (fog), sorte de brume poisseuse qui ne laisse que difficilement passer les éclaircies.
S’il peut sembler légitime pour les Européens de réclamer au Royaume-Uni de « clarifier son intention » – selon les propos du négociateur européen en chef, Michel Barnier –, on serait toutefois en droit d’en attendre autant de l’Union européenne quant à sa propre vision politique. Certes, le Royaume-Uni donne l’impression de ne pas savoir où il va, mais il exprime en cela une problématique qui touche l’UE dans son ensemble : où va l’Europe ? Les critiques portant sur le manque de leadership de la Première ministre britannique, son manque de pédagogie pour expliquer les impacts du Brexit, sa volonté d’ignorer délibérément le Parlement britannique pendant les négociations, toutes ces critiques valent largement pour l’UE.
À l’aube de cette année électorale, le Brexit serait-il le reflet de la crise du projet politique européen, le symptôme d’une Europe en difficulté, dans le smog le plus total ? Ce n’est ni le premier signe de la défiance généralisée des citoyens européens envers les institutions européennes (le taux d’abstention moyen aux élections européennes dépasse 57%), ni le dernier appel en faveur d’une vision prospective européenne qui parlerait des citoyens et de leur avenir.