Politique
Le sens de l’orientation à l’école
18.06.2009
Donner un avenir, notamment professionnel, à des élèves reste un défi. Pour y parvenir, il faut de plus en plus les «orienter», semble-t-il. Mais les exigences sont différentes selon l’origine sociale. Et les jeunes doivent choisir un métier de plus en plus tôt. Pourtant, la spécialisation précoce ne favorise pas la citoyenneté.
L’orientation scolaire occupe une place importante dans le contrat pour l’école. Avant et après élections, elle fait invariablement l’objet de maintes déclarations politiques, tous partis confondus. Renforcement des moyens des centres psycho-médico-sociaux (PMS), information précoce sur les métiers et professions, sensibilisation des enseignants… sont à l’ordre du jour. Mais une analyse un peu plus fine du phénomène montre que derrière ces propositions, la problématique mise en avant est celle des jeunes qui décrochent, qui ratent leur formation par manque d’intérêt pour leurs études, ou encore qui réussissent, mais dans des filières peu valorisantes ou saturées alors que les discours économiques font état d’un grand nombre d’offres d’emplois insatisfaites par manque de personnel formé.
Ségrégation de base
Sans surprise, les jeunes qui rencontrent les problèmes dits d’«orientation» proviennent majoritairement de catégories socio-économiques défavorisées et se concentrent dans les filières techniques et professionnelles. À l’école, la ségrégation sociale est une réalité ; les résultats des enquêtes Pisa, décortiqués à la lumière des origines socio-économiques, montrent clairement que les résultats des enfants de riches sont équivalents aux meilleurs des autres pays de l’OCDE (Finlande comprise !). Le problème, c’est donc les pauvres… Ceux qui ratent. De fait, la réussite de l’école primaire, exprimée en pourcentage au certificat d’études de base, est déjà influencée par le niveau socio-économique des familles ; elle le sera plus encore dans le secondaire en termes de détermination, via les conseils de classes, des filières proposées. Le développement constant de l’enseignement spécialisé, et le nombre de plus en plus important d’enfants des familles populaires qui y sont orientés, ressemblent furieusement à de la relégation poubelle. Une représentation reste fortement ancrée dans la pensée des enseignants et des parents : notre école est au service du système de production. Depuis le début du XXe siècle où se sont créées les écoles professionnelles et techniques, l’enjeu, pour le service public, est de former des travailleurs capables d’intégrer les entreprises, dans des systèmes pilotés par une hiérarchie qui possède une solide formation générale. À l’école aussi, il y a donc les formations de dirigeants et celles de dirigés. Cette ségrégation de base est encore renforcée par l’immersion linguistique en primaire, la hiérarchisation des filières de l’enseignement secondaire, la spécialisation des établissements dans des formes d’enseignement, et la réputation qui y est attachée. Ces pratiques amplifient les inégalités. L’échec et le redoublement déterminent ainsi l’orientation des élèves mais ils engendrent perte de sens, démotivation et très souvent une grande souffrance non seulement chez les jeunes, mais également chez les profs qui mobilisent beaucoup d’énergie pour les apprentissages suscités.
Un changement culturel
Alors que faire ? Cette question est au centre de maints débats politiques mais les réponses se décrètent sous l’aspect de réformes dont l’impact est faible tant le système d’enseignement est fermé («système faiblement articulé» diront les sociologues de l’éducation). Toute réforme pensée «d’en haut» est l’objet de résistances à tous les étages par lesquels elle passe et dès lors, son impact est minime… Il est urgent de penser global et à moyen terme. La transformation la plus pertinente serait l’organisation d’un tronc commun, de 6 à 15 ans, pour l’acquisition des compétences de base, pensée sur le mode de la solidarité et le rejet des pédagogies compétitives. Pendant cette période : pas de spécialisation précoce, pas de redoublement, mise en œuvre d’une pédagogie différenciée, formation à la fois théorique et pratique, générale et polytechnique, approche aussi complète que possible des sciences, des technologies, de la philosophie, de l’histoire, des relations économiques et sociales, des cultures. La césure entre école primaire et école secondaire devrait aussi être reconsidérée. Et en finale, un cursus mesuré par une épreuve externe de telle façon que les enseignants soient davantage des coaches de la réussite que des juges. Enfin, un cursus scolaire de deux à trois ans pour terminer le secondaire et distinguer ceux qui veulent poursuivre des études et ceux qui aspirent au monde du travail. Alors et alors seulement, la spécialisation pourrait commencer.
Politique «Robin des Bois»
En attendant (en espérant !) la mise en œuvre de ce projet, des mesures doivent être envisagées pour faire face à la crise de l’enseignement professionnel et technique. C’est vraisemblablement dans ces filières que l’on trouve le plus de profs qui innovent pour faire face à des publics souvent difficiles, que le travail d’équipe est le plus développé, que le suivi des élèves est le plus intense. La première transformation est d’appliquer un véritable financement différencié. Un budget additionnel a de nombreuses raisons d’exister : mieux payer les enseignants, créer de meilleures conditions de travail, reconnaître le travail collectif, garantir la formation continuée. La mixité sociale est un projet généreux mais qui suscite tant de résistances (surtout chez les privilégiés) que seul le traitement différencié des établissements permettra d’augmenter l’égalité des résultats. Comment trouver cet argent supplémentaire ? Et considérant l’état des finances de la Communauté française, la politique «Robin des Bois» est la seule applicable : il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres. Et enfin, convaincus que les réformes les plus efficaces sont celles qui sont construites avec les acteurs, il faut encourager les expériences de formation en alternance et viser à moyen terme la suppression du troisième degré de l’enseignement professionnel, voire technique de qualification, et leur transformation en système d’alternance. Il ne faudrait pas beaucoup de personnel et de finances pour favoriser un partenariat avec le monde de l’entreprise. Il faut d’abord un changement culturel. Cette formule, outre l’acquisition d’une qualification validée par l’entreprise, garantirait aux jeunes une confrontation avec le monde réel. Leur motivation n’en serait que augmentée et l’enseignement professionnel n’en serait que plus attractif. Vaste chantier pour un nouveau «contrat pour l’école».