Politique
Le retour du journalisme. Mutations de l’information à l’ère numérique (présentation)
02.05.2016
Ce Thème a été pensé pour donner un aperçu – modeste et imparfait – de l’état du journalisme actuel en Belgique francophone. Il y a 25 ans, un support de diffusion révolutionnaire apparaît et transforme radicalement la manière de « présenter les événements ». Radicalement ? Nuançons. Internet accentue des phénomènes qui ont déjà bien infusé dans le milieu journalistique, dont celui-ci : l’augmentation du nombre de médias (et donc de la concurrence entre ceux-ci) couplée à un morcellement des investissements publicitaires pour chacun d’eux. Autrement dit, le web va donc, d’une main, permettre l’accroissement massif du nombre de rédactions (le retour du journalisme…) et, de l’autre, féconder leur précarisation en modifiant les comportements des annonceurs, plus sourcilleux dans leurs investissements (José-Manuel Nobre-Correia). La publicité, ce gros mot… Probablement « 51% des ressources financières nettes des médias » en zone francophone belge en 2014. Derrière ce chiffre, des éditeurs en quête permanente de techniques inventives pour capter cette manne de revenus. Particulièrement en presse écrite, plus sensiblement délaissée par les annonceurs que la télévision ou Internet (LaPIJ). Parmi les nouvelles astuces, le native advertising ou « contenu informatif sponsorisé » fait florès, effaçant malheureusement un peu plus la frontière entre information et publicité (Jean- Jacques Jespers). Au-delà des stratégies publicitaires, mentionnons aussi, en presse écrite, le renforcement de la concentration (un groupe, plusieurs titres) et une certaine internationalisation. Et, dans l’audiovisuel, une résistance à une concurrence de plus en plus rude sur Internet, avec l’arrivée d’acteurs internationaux aux reins solides (LaPIJ). Avec quelles conséquences sur la manière de faire du journalisme ? « Le journalisme, c’est le contact et la distance ». (Hubert Beuve- Méry, fondateur du Monde) C’est en tout cas, ce qu’on apprend dans les écoles de journalisme. Sur « le terrain », c’est différent, le contact – on dira plutôt « proximité » en 2016 – prend souvent le pas sur la distance avec l’événement. Les innovations technologiques nourrissent l’affaire. C’est le règne de l’immédiateté, de l’information en temps réel soit, quelque part, « la négation même du journalisme » (José-Manuel Nobre- Correia). Les fameux réseaux sociaux n’arrangent pas les choses. Leur logique communautaire peut enclaver les individus dans des cercles restreints où circulent bien souvent des informations qui ne font que confirmer leurs opinions. Cet entre-soi numérique entretient le prêt-à-penser et exclut toute sérendipité, cet art de faire des découvertes fortuitement (Jean-Jacques Jespers et Martine Vandemeulebroucke). Le modèle du webjournalisme, qui a aujourd’hui déteint sur tous les médias, serait-il donc à jeter aux orties ? Pas tout à fait. Les innovations numériques renouvellent le genre, des modes de narration originaux fleurissent, se vivent des partages d’expériences collectives inédites. Le web, avec sa « culture du partage », est un vrai laboratoire d’idées neuves (Amandine Degand). Restent quelques points noirs. D’abord, le métier se précarise. Nettement. Si le nombre de journalistes ne cesse d’augmenter, leurs conditions de travail suivent une courbe inverse. Ces travailleurs observent la « prolétarisation » rampante de leur profession, mais l’acceptent sans sourciller, parfois même « joyeusement », pas mécontents d’appartenir à un groupe social privilégié (Jean-François Dumont). Ensuite, le public – dont des journalistes – s’interroge. Des pratiques irritent : ces mêmes informations qui tournent en boucle sur toutes les chaînes, cette surmédiatisation de faits mineurs et a contrario le sous-traitement de faits significatifs. Ces procédés aident-ils vraiment à mieux comprendre le réel ? Aujourd’hui, on ferait plus confiance à un militaire qu’à un journaliste… Comment en est-on arrivé là (Martine Vandemeulebroucke) ? Ce Thème a été coordonné par Jérémie Detober.