Politique
Le progressiste et ses pauvres
06.09.2010
S’il est difficile de donner une définition du progressisme, on peut néanmoins dire, sans prendre de risque, que le progressiste a mené quelques combats spécifiques ces 30 dernières années. Il a par exemple aidé pêle-mêle les victimes du sexisme, du machisme, du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme et il a condamné le négationnisme, il a aussi dénoncé pendant de longues années le sort des populations du tiers-monde. Il s’en est pris à la pauvreté et à la précarité qui hantent son quartier ou sa ville natale, il a manifesté contre les régimes dictatoriaux et corrompus en Afrique et en Asie, il a dénoncé les atteintes aux droits de l’homme, mais aussi les collusions entre son propre pays et certains États autoritaires, il a enfin lutté en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. La liste est longue ! En se définissant à travers un certain nombre de combats, le progressiste finit par être facilement reconnaissable, et partant, il donne également une idée assez claire des individus pour lesquels il va se battre : les étrangers, les pauvres, les exclus, les femmes, les chômeurs, les victimes de la torture, et tous les gens qui font l’objet de discrimination ou de persécution. Aujourd’hui, avec la multiplication des médias qui prétendent faire de l’information à la télévision, à la radio et sur Internet, les victimes que le progressiste souhaite aider ont changé de visage au point de laisser parfois penser qu’elle n’ont que faire de ces mêmes progressistes et de leurs combats historiques. Pour commencer, deux exemples bien connus illustrent ce qui précède, c’est l’image du Juif et de l’Arabe qui a fortement évolué ces 20 dernières années. Le premier, rescapé de la Shoah, a laissé la place au soldat israélien qui chasse les familles palestiniennes avec son bulldozer. Et le second, victime de discrimination et de racisme, laisse la place au Maghrébin qui tient des propos antisémites, ou pire, au Musulman intégriste qui se fait exploser pour le compte de Ben Laden. Il ne s’agit pas tant ici d’un changement dans la réalité qu’une multiplication des profils et des parcours accessibles dans les médias. Les victimes juives de la Shoah et les victimes marocaines ou turques de discrimination restent toujours des victimes aujourd’hui, mais la diversité des trajectoires individuelles brouille la liaison entre certaines origines nationales ou sociales et certaines souffrances. Ainsi, au Chinois opprimé par le parti communiste à l’époque du massacre de la place Tian’anmen se substitue aujourd’hui les entrepreneurs millionnaires qui font fortune en République démocratique du Congo. L’image de Lakshmi Mittal supplante aussi la figure de l’Indien qui vit dans la misère. Il est vrai qu’il faut beaucoup de reportages sur l’extrême pauvreté en Inde pour faire oublier les multiples apparitions du milliardaire qui tient une partie de l’industrie wallonne entre ses mains, et aux pieds duquel certains de nos élus sont prêts à s’incliner. Au portrait des journalistes arrêtés et torturés dans les caves d’un commissariat de Tunis ou de Riyad se substitue la figure des hommes d’affaires fortunés bien décidés à tirer tout le profit des régimes autoritaires capitalistes. L’image de la femme qui luttait pour le droit à l’avortement ou plus globalement pour l’égalité des droits laisse aussi la place à d’autres profils, parfois surprenant. Il y a la femme voilée qui défend son droit et sa liberté de vivre sa religion en reconnaissant parfois la part de soumission qui peut l’accompagner. Mais il y a surtout – on en parle moins – la femme « sans tête » sur MTV, une femme libre et moderne dont on ne voit que les seins ou les fesses autour du visage de quelques rappeurs ou sur un capot de voiture. Il est peu probable que les féministes des années 1970 y voient de la liberté. Le problème avec tout ce qui précède, c’est qu’on est dans un concours d’images contre images qui ne nous apprend rien, et à ce petit jeu désormais, tout se vaut, tout est vu, tout est vain !