Politique
Le mur, de Bush à Trump
05.04.2019
[Chronique américaine publiée dans le numéro 107 de Politique, mars 2019]
À l’issue d’un séjour d’un an comme étudiant d’échange aux États-Unis, j’ai traversé en août 1993 la frontière avec le Mexique au niveau de San Diego pour sortir avec des amis le soir à Tijuana, et j’ai oublié que, si mon passeport était en ordre, mon visa, lui (valable tout juste un an), venait d’expirer… Au retour pendant la nuit, je me souviens de l’armée, des contrôles, des barbelés et des centaines de migrants en attente d’un passage furtif vers les États-Unis. C’était le mur construit en 1990 par le président républicain Georges Herbert Bush. Il y avait déjà 23 kilomètres d’acier, de grilles et de barbelés à l’époque, essentiellement entre les deux villes à l’extrême sud-ouest des États-Unis.
Ce mur, le futur président démocrate Bill Clinton s’apprêtait à l’agrandir et surtout à renforcer son efficacité tout au long de ses deux mandats avec notamment le projet «Gatekeeper» (septembre 1994) pour restaurer «l’intégrité et la sécurité de la frontière» dans la région. Si Gatekeeper avait au début une connotation géographique renvoyant à la Californie, comme «Operation Hold-the-Line» pour le Texas ou «Operation Safeguard» pour l’Arizona, et si tous ces plans visaient au départ des points de tension ciblés, la politique de Bill Clinton a largement contribué à installer dans l’imaginaire collectif l’idée d’une séparation physique en «dur» sur la frontière entre les deux pays. Elle ouvrira la porte à des augmentations significatives des budgets et du personnel pour contrôler la frontière. Ce sont les prémisses d’un «mur» continu sur l’ensemble de la frontière composé tantôt de murs bien réels, tantôt de grilles et de barbelés, tantôt de frontières naturelles difficilement franchissables, tantôt de capteurs, de caméras et autres technologies pour guider les patrouilles. L’idée d’une frontière physique artificielle date du début des années 1990. Elle est bien installée aujourd’hui dans les esprits. Donald Trump n’y a pas beaucoup contribué. Il est arrivé après !
Si tous les présidents ont validé le principe de ce mur réel ou virtuel selon le contenu que l’on met derrière le concept de mur, c’est le «Secure Fence Act» de 2006 qui caractérise le plus le soutien bipartisan des Républicains et des Démocrates à l’idée d’une séparation en dur entre les deux nations. Signée par le président Georges Bush (fils) en octobre 2006 pour rendre « les frontières plus sûres », soutenue par près de 90 membres Démocrates du Congrès (dont les sénateurs Barack Obama, Hillary Clinton et Chuck Schumer), la loi autorise et finance partiellement la construction de 1125 kilomètres de barrières, de grillages et de barbelés, de la Californie au Texas. Le chantier – titanesque – sera en partie achevé quelques années après le retour des Démocrates à la Maison-Blanche et au Congrès. En 2016, un peu avant le départ de Barack Obama, le travail est terminé !
Plus récemment, le mur des Bush père, Clinton, Bush fils et Obama est devenu celui de Donald Trump qui veut renforcer certaines zones, mettre de véritables murs en acier (comme du côté de San Diego) à la place des grilles et des barbelés. 30 ans après, le projet n’est pas rejeté dans son principe ni par les Républicains ni par les Démocrates : il est simplement considéré comme « couteux et inefficace » pour paraphraser Nancy Pelosi (le speaker de la Chambre). Ce qui différencie vraiment Donald Trump de ses prédécesseurs, c’est l’hyperpolitisation d’un sujet par ailleurs consensuel au Congrès depuis 30 ans. Avec le shutdown pour imposer un financement de son projet, avec l’état d’urgence décrété pour « protéger » la nation faute de mur, et tout le reste, le président met l’enjeu du mur au coeur de sa politique. C’était une de ses principales promesses de campagne. n