Politique
Le libre-échange en question (introduction)
12.09.2011
Lors d’une rencontre au sommet en 1995, les États-Unis et l’Union européenne décidèrent de « créer un nouveau marché transatlantique en réduisant ou en éliminant progressivement les obstacles qui entravent la circulation des biens, des services et des capitaux entre nous ». Cette proclamation fut suivie d’effets concrets, avec la création d’institutions, de groupes de travail, de réseaux sociaux et d’accords visant à promouvoir le « libre-échange » transatlantique. Plus tard, une date d’entrée en vigueur a même été fixée : 2015. Tout cela s’est fait et se poursuit dans la plus grande discrétion, en dehors de tout débat démocratique. D’où l’importance de mettre en lumière l’existence de ce projet et d’en dessiner les contours. Ce Thème a fait l’objet d’un traitement particulier. Contrairement à son habitude où les dossiers donnent la parole à une dizaine d’auteurs qui assurent la pluralité des approches, Politique a répondu à la proposition de deux chercheurs, Ricardo Cherenti et Bruno Poncelet, tous deux membres du réseau Econosphères, que les lecteurs de cette revue connaissent bien, et engagés dans une campagne d’action initiée par le Cépag (Centre d’éducation populaire André Genot) et la CCB (Centrale culturelle bruxelloise) – deux associations proches de la FGTB. Ils ont assuré l’écriture de la plupart des articles ainsi que des encadrés informatifs qui, au fil des pages, posent les jalons de la mise en place du marché transatlantique. Étonnamment, ce dossier parlera peu d’économie et de chiffres, mais beaucoup de valeurs et d’idéologie. C’est que certains mots sont trompeurs et méritent d’être décodés. Dans un premier article, Bruno Poncelet nous invite à prendre le train du « libre-échange » pour découvrir l’envers du décor. Derrière le mot « libre » se cache le mot « lobby », avec de puissantes institutions d’affaires travaillant, jour après jour, à la construction du marché transatlantique. Basant son intervention sur les contraintes auxquelles doit faire face le monde des entreprises, Ricardo Cherenti abordera le cœur du néolibéralisme et les valeurs qu’il impose au monde, notamment à travers le marché transatlantique. Mais, à force de déshumaniser nos sociétés, la gouvernance économique touche à des limites qui créent des contestations et remettent en cause son fonctionnement. Il sera alors temps de se poser la question : entre soumission, résignation et rébellion ouverte, où est la frontière ? Au niveau international ? Ou bien des actions à d’autres niveaux sont-elles envisageables ? Sans épuiser le sujet, Bruno Poncelet explore quelques chemins de traverse.
Un petit tour de bibliothèque nous invitera ensuite à découvrir ce que l’anthropologie, et les peuples non modernes, ont à nous apprendre sur la globalisation – qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, transatlantique ou mondiale. Les deux auteurs conclurent ce dossier en rappelant que le marché transatlantique n’est pas le seul projet néolibéral en cours de négociation. Et fort heureusement, des mobilisations citoyennes existent. Mais auparavant, dans le seul article émanant d’un autre auteur, Réginald Savage ouvre un débat crucial qu’il faudra prolonger : quelle alternative la gauche propose-t-elle au libre-échangisme qu’elle critique ? Faut-il envisager une nouvelle forme de protectionnisme pour protéger nos acquis sociaux d’une concurrence déloyale ? La tentation est forte mais conduit selon lui dans une impasse. Ce dossier a été coordonné par Bruno Poncelet et Ricardo Cherenti.