Politique
Le hasard et le direct, la télévision de Mauriac
20.01.2011
Et il faut d’abord noter que contrairement à l’écrasante majorité des intellectuels de son époque, non seulement Mauriac ne méprise pas le média naissant mais il y voit « un merveilleux moyen de diffusion culturelle » pourvu, ajoute-t-il, qu’on sache garder « un équilibre entre le divertissement et la culture ». Et le téléspectateur Mauriac ne négligera jamais le premier même s’il privilégie évidemment la seconde. Bien sûr, le chroniqueur rend compte des débuts de la télévision publique française qui affirme haut et fort son rôle culturel à défaut d’assurer son indépendance politique. Cette télévision qui diffusera en direct la (devenue mythique) adaptation des Perses d’Eschyle, mise en scène par Jean Prat. « Un chef-d’oeuvre vénérable a surgi du gouffre de deux mille quatre cents années… pour la première fois la télévision aura été au bout de ses possibilités », souffle Mauriac. Mais le critique voit aussi d’emblée que la télévision est d’abord la puissance du direct. Déjà dans son « Bloc-notes », il avait noté, le 8 janvier 1959, assistant en direct à la passation de pouvoir entre les présidents Coty et de Gaulle : « La télévision, un jour comme aujourd’hui, met à la portée de notre regard l’histoire au moment où elle naît et devient image ». Ce qui ne l’empêchera pas quelques mois plus tard, à l’occasion d’une conférence de presse du même de Gaulle (dont il était un fervent soutien) de noter que ce dernier est « devenu presque trop maître de ses moyens, de ses effets .à la télévision.. Le général de Gaulle n’échappe pas à cet impératif de l’image que nous subissons tous dans la mesure où nous sommes des hommes publics. Nous pensons à capter les regards avant de songer à convaincre les esprits ». Après l’usurpation de célébrité, l’appauvrissement par l’image, Mauriac avait perçu d’emblée les grandeurs et les servitudes du petit écran. Adepte passionné du magazine de reportage (mythique, encore) « Cinq colonnes à la Une » qui sera pour lui, comme pour tous ses contemporains, ce que d’autres ont appelé « une fenêtre ouverte sur le monde », Mauriac saisira rapidement les risques de l’information télévisée et notamment ce que l’on ne nommait pas encore « la confusion des genres ». Le 1er novembre 1961, dans la même chronique où il vient d’encenser les Perses, il colle – pour la première fois – un « zéro pointé » à « Cinq colonnes » : «L’impardonnable, c’est d’avoir introduit dans Cinq colonnes à la une, ce dont ces cinq colonnes avaient mission de nous délivrer. En accueillant Sacha Distel et d’autres chanteurs d’ailleurs excellents, les responsables nous ont prouvé qu’ils n’avaient pas conscience de ce qu’ils nous apportaient, et de ce qui les rendait différents de tout le reste. Ils ont pêché contre l’esprit, contre leur esprit : c’est le pêché qui ne se pardonne pas. » Déjà, l’audimat était dans le fruit. Depuis lors, les dirigeants de la télévision publique se rendent quotidiennement coupables de péchés moins véniels. Les chroniques de Mauriac nous annonçaient déjà le pire de la télévision même si le maître de Malagar pouvait aussi en goûter le meilleur, lui qui ne manquait pas une occasion de s’écrier, comme le rappelle Jean Touzot, que le hasard est le plus grand des réalisateurs et que seul le direct fait crier au miracle.