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Le foot et la foi

Sport et la religion, meilleurs vecteurs d’intégration ? Les exemples du football et de la prêtrise tenteraient de le prouver.

Romelu Lukaku est le joueur prodige d’Anderlecht : à 16 ans il a gagné le championnat et joué en coupe d’Europe. Romelu est belge. Son père, Roger Lukaku, est congolais. Roger est venu en Belgique au début des années nonante pour jouer au football. L’histoire du père et du fils est un bon résumé de celle des footballeurs congolais en Belgique. Immigration choisie d’abord, pendant longtemps, assimilation banale ensuite. Cette immigration commence dans les années cinquante, à l’époque coloniale. Mokuna, Bonga-Bonga, Kasongo, Kimoni, Mulongo, Kialunda, Assaka mettent un peu de couleur dans le championnat belge : ils sont là en raison de leur talent, repéré au Congo par des coloniaux amateurs de foot. Ils sont semi-professionnels. Pour eux, l’expérience est extraordinaire : victimes du racisme belge au Congo, ils sont acclamés par le public belge en Belgique ! À l’époque, le football africain est totalement méconnu du monde. Il n’y a aucune équipe africaine en phase finale de la Coupe du monde de 1958. L’apparition de joueurs noirs dans des équipes européennes est d’un exotisme absolu. J’emploie l’adjectif «noirs» à dessein, car c’est bien ainsi qu’ils sont perçus. L’Afrique est encore largement colonisée, ses habitants sont dépourvus de citoyenneté ; au Congo belge en particulier, toute la littérature administrative et journalistique qualifie les habitants d’indigènes, de Noirs, d’Africains, de bantous, pratiquement jamais de Congolais. Le phénomène se prolonge en Belgique, au-delà même de l’indépendance : Le Soir du 31 octobre 61 écrit «Le ballon frôla le crâne du Noir Kialunda»… C’est dire si la seule idée d’une immigration congolaise autre que sportive (le corps du Noir est depuis longtemps objet de fascination) serait parfaitement incongrue. Et plus encore celle de sélectionner un de ces Noirs en équipe nationale ! Comme quoi le temps passe vite. Aujourd’hui, c’est presque le monde à l’envers : on importe peu de footballeurs congolais par rapport à l’ensemble des joueurs africains ; en revanche, beaucoup de Belges d’origine congolaise jouent maintenant en championnat et même depuis 1997 en équipe nationale : les frères Mpenza, Kompany, Mudingayi, Mbuyu, les frères Kimoni, maintenant Lukaku, au total 11 Belgo-Congolais chez les Diables rouges en treize ans, cumulant 189 sélections !

Missionnaires…en Belgique

Voilà des Congolais qui ont influencé la Belgique, qui l’ont changée, dans son identité, dans son image et sa représentation. C’est immense, pour peu qu’on se souvienne des années cinquante, quand on exhibait encore un village nègre au pavillon colonial de l’Expo 58. Mais il y a d’autres Congolais, qui ont agi de façon plus subtile, moins spectaculaire, dans un registre plus grave et plus troublant sur la société belge : je veux parler des prêtres, curés et vicaires officiant dans de nombreuses paroisses de Wallonie. Le phénomène remonte aux années quatre-vingts. La crise des vocations dans l’Église belge a pour effet de laisser de nombreuses paroisses en déshérence, sans curés ni vicaires. L’épiscopat s’avise que de nombreux prêtres congolais sont étudiants en 3e cycle à l’Université de Louvain-la-Neuve. Un vivier tout trouvé : en quelques années, on les voit à la tête de nombreuses paroisses du Brabant, du Hainaut et d’autres provinces. Un des plus célèbres d’entre eux sera pendant de longues années curé de Rhodes-Saint-Genèse, attirant la foule par ses sermons bilingues. C’est encore le monde à l’envers, mais dans un sens différent que pour les footballeurs. On est ici dans une inversion pure et simple de l’histoire : c’est l’évangélisation du Congo, fer de lance idéologique de la colonisation, qui a rendu possible ce sauvetage du catholicisme belge. Les nouveaux missionnaires sont noirs ! Avec eux, on observe un phénomène d’assimilation, d’intégration à rebours : ces missionnaires assimilent leurs paroissiens, leur ouvrent des horizons, font tomber leurs préjugés. Mais surtout, au-delà de leur apport pastoral, ils témoignent très concrètement des valeurs de l’immigration, et de ce qu’on appelait jadis l’internationalisme…