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Le discours de Munich. JD Vance, Prince des Trolls

Nous avons les yeux encore rivés sur la désormais fameuse entrevue entre D. Trump et V. Zelensky au Bureau ovale de la Maison-Blanche, mais c’est sans doute le discours que le vice-président des États-Unis, JD Vance, prononce le 21 février 2025 lors de la Conférence pour la sécurité de Munich qui restera comme un moment de déflagration politique à deux temps. L’administration américaine ne déchire pas seulement les vieilles alliances atlantiques, elle se déclare adversaire des démocraties libérales. 

Sans doute le journal Le Monde semble-t-il aujourd’hui, pour certains, aussi péniblement raisonnable qu’une leçon de vieille institutrice. Pourtant, la dame a les mots suite au discours du 21 février : « Il faut d’abord dénoncer l’extrême hypocrisie de cette leçon de démocratie dispensée par le numéro deux d’une administration Trump qui a gracié plus de 1 500 personnes condamnées pour l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, véritable putsch contre la démocratie américaine. Il faut pointer du doigt la mauvaise foi des leçons de tolérance faites par un haut dirigeant en guerre contre tous les contre-pouvoirs dans son pays, ses leçons de pluralisme alors qu’une chasse aux médias non serviles est engagées aux États-Unis (…) Comment ne pas voir que sous sa conception d’un « free speech » sans limite, pointe la promotion d’une idéologie d’extrême droite avide de substituer la loi du plus fort aux politiques de défense des droits sociaux, des femmes et des autres victimes de discriminations ? »

Tout ce qui promeut l’égalité politique promeut la démocratie. Tout ce qui l’entrave, même au nom du peuple, nuit à l’idéal démocratique. 

Non, la démocratie ne désigne pas la règle de la majorité ni même « le pouvoir du peuple sur le peuple ». Elle désigne un régime fondé sur l’égalité politique. Tout ce qui promeut l’égalité politique promeut la démocratie. Tout ce qui l’entrave, même au nom du peuple, nuit à l’idéal démocratique. 

Non, la liberté d’expression ne désigne pas seulement la liberté de tout dire. Les anglophones ont deux termes différents pour désigner la liberté. « Freedom », qui désigne la liberté d’agir sans contrainte extérieure. « Liberty », qui désigne le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; et par extension, l’ensemble des droits reconnus à l’individu pour le protéger de la domination d’autrui, y compris l’État. La liberté d’expression ne désigne pas le droit de disqualifier son interlocuteur – même s’il ne l’exclut pas forcément -, mais un travail démocratique de diversification, de vérifiabilité, d’accès équitable à l’information publique. Ce travail poursuit des objectifs qu’il n’est pas évident de concilier. La liberté d’expression n’a de sens que si on s’attache à une certaine idée de la raison publique. Elle n’a pas de substance si on la conditionne à des brevets d’intelligence, d’acceptabilité ou de compétence. Aussi difficile – et souvent paradoxale – soit leur conciliation, ces deux objectifs sont consubstantiels, du moins si on prend au sérieux la liberté d’expression. 

Parodie, mépris et manipulation du discours

Enfin, et surtout : non, le discours de JD Vance n’a pas besoin d’être sérieux pour être inquiétant, au contraire. L’orateur n’est pas brutal parce qu’il est rude mais parce qu’il est parodique. Regardez-le. Le vice-président Vance est léger, presque hilare. Son discours n’humilie pas ses interlocuteurs parce qu’il les contredit mais parce qu’il se fiche de tout ce qu’ils prennent au sérieux. JD Vance ne soutient la liberté d’expression qu’à titre de moquerie, histoire de montrer avec une joie mauvaise que les « libéraux » (au sens anglo-saxon du terme) ne sont jamais à la hauteur des principes qu’ils professent. Il ne croit pas au peuple mais en ceux qui se donnent le pouvoir de parler en son nom – j’attends sinon son plaidoyer prochain en faveur de la démocratie directe.

Il ne croit pas en la confrontation des opinions mais au triomphe nécessaire de celle qui est assénée le plus fort, par le plus fort. Il ne croit pas en la paix mais cherche le désarmement du belligérant dont la soumission lui paraît moins coûteuse. JD Vance ne croit pas en l’État de Droit, il est assez clair sur le sujet. Pour le reste, tout est sarcasme. Priver les mots de leur sens peut paradoxalement accroître leur poids quand il rend explicite le mépris pour les positions de l’autre partie. En ce sens, JD Vance est le vice-président de la République autonome des Trolls.  

En quoi croit-il dès lors ? Il croit peut-être en la liberté, comme en une sorte d’énergie magique censée donner du pouvoir sur le monde – Elon Musk ou JD Vance, on reste dans une esthétique de l’auto-création, façon Marvel. On a un curieux mélange de fascination pour l’ordre et de désir de chaos, de modernité et de réaction, de valorisation de la puissance et de haine de la liberté, de fascination pour les masses et de détestation de l’égalité. Musicalement, c’est Kanye West. Mais politiquement, ça a aussi son petit nom : ce ne sont plus les mêmes banderoles, mais c’est probablement du fascisme au sens chimique du terme.