Politique
Le conflit du « Vif-L’Express » : brutalité et solidarité
16.02.2009
On ne sait trop ce qui est plus choquant dans le conflit du Vif-L’Express: la brutalité avec laquelle la direction a licencié quatre journalistes dont certains comptaient parmi ceux qui avaient donné ses lettres de noblesse au magazine ou le cynisme avec lequel se développe une ligne éditoriale de plus en plus racoleuse (faut-il rappeler les couvertures récentes sur l’Islam, l’anti-politique, les fonctionnaires…)? La brutalité patronale est digne des rapports sociaux du XIXe siècle: travailleurs méprisés et méthodes humiliantes. Rien n’y manque : convocations par SMS, signification de la mise à la porte en trois minutes, licenciements sans justification mais traités comme s’il s’agissait de faute grave. A l’annonce de la rupture de contrat, les journalistes ne pourront retourner sur leur lieu de travail. Certaines ont passé plus de vingt ans au Vif, elles ne pourront vider leur bureau et leurs archives personnelles que le samedi suivant durant deux heures — pas une minute de plus — sous la surveillance d’un agent de sécurité dans une rédaction vide. Le crime d’Isabelle Philippon, Elisabeth Mertens, de Pascale Gruber et de Dorothée Klein ? Dans un premier temps, Amid Faljaoui, le directeur des magazines francophones du groupe Roularta, refusera de le qualifier. Quelques jours plus tard, il finira par déclarer à propos des journalistes licenciées: «Je dirais qu’elles n’étaient plus dans la ligne éditoriale. Il y avait des problèmes en termes de gestion, d’ambiance de travail, d’éthique» Le Soir du 29 janvier 2009. «Problèmes d’éthique»: l’accusation est grave, et naturellement non étayée mais elle illustre le climat instauré au Vif. De tels procédés sont aujourd’hui inimaginables dans une «entreprise normale». Ils ne seraient d’ailleurs pas tolérés ni par les travailleurs, ni par leurs représentants syndicaux. Mais chez Roularta on alterne paternalisme et autoritarisme et on peut compter sur des organisations syndicales pas vraiment combatives. On a évoqué par ailleurs les questions liées à l’évolution des lignes éditoriales au Vif et dans l’ensemble des médias.Voir notamment les différentes contributions sur .mon Blog-notes , on y reviendra plus longuement dans un prochain numéro de Politique en abordant également les différents plans de restructuration en cours dans la presse belge, francophone comme néerlandophone. Disons simplement ici que les questions posées par trois des journalistes licenciées «Les virées de l’An neuf», Carte blanche de Pascale Gruber, Elisabeth Mertens, Isabelle Philippon, Le Soir du 31 janvier et du 1er février 2009 , «Jusqu’ou aller dans la chasse au scoop ? Comment éviter de sacrifier l’analyse au profit de l’info «sexy»? Comment exercer une plume indépendante dans un monde médiatique de plus en plus formaté ?», valent pour l’ensemble des médias qu’il s’agisse de la presse écrite, des radios et des télévisions, privées ou publiques. Aucun n’échappe aujourd’hui, à des degrés divers, à la conjonction des pressions de la concurrence, du marché et de la crise globale. Dans ce contexte les journalistes doivent faire face à une double offensive qui concerne à la fois leur emploi et l’évolution des lignes éditoriales et des pratiques professionnelles. L’Association des journalistes professionnels (AJP) effectue un travail remarquable notamment dans la défense de ses membres comme dans celle des principes déontologiques. Mais reste posée le problème d’une solidarité plus large, d’une mobilisation qui touche citoyens et associations. De ce point de vue les réactions très nombreuses qui se sont manifestées à l’occasion de la Carte blanche «Un journalisme mis au pas», refusée, dans un premier temps, par les deux principaux quotidiens francophones, sont significatives. Enfin demeure aussi la vielle question de l’organisation collective des journalistes au niveau syndical. L’individualisme traditionnel de la corporation n’a jamais favorisé un engagement massif à ce niveau et les pressions patronales énormes exercées sur les jeunes journalistes constituent un autre frein. Mais dans la conjoncture actuelle, face à des menaces de plus en plus lourdes et précises, une solidarité interprofessionnelle sera plus indispensable que jamais.