Politique
Non démocratique, la motion de méfiance ? Un étonnement… surprenant
27.07.2017
Depuis plus d’un mois, à peu près tous les partis « de gouvernement » (les trois partis dits traditionnels, soit le CDH, le MR et le PS, ainsi que Défi et Ecolo) ont participé de près ou de loin à des négociations en vue de former un ou des gouvernement(s), ne fut-ce qu’à un stade préliminaire. S’émouvoir aujourd’hui de l’absence de consultation des électeurs — et, de ce fait, déplorer le caractère prétendument non-démocratique de cette nouvelle majorité — est probablement de bonne guerre en termes de communication politique, mais c’est surtout faire preuve de mauvaise foi et de bien peu de pédagogie. Si les éléments de langage sont là pour faire le buzz, celui-ci se fait surtout sur le dos des citoyens.
Dans une carte blanche salutaire, le juriste Matthieu Lys rappelait la raison d’être de l’impossibilité de dissolution en cours de législature. Il ne s’agit pas d’un oubli du législateur lors de la création des Régions et des Communautés, mais bien d’une démarche délibérée visant à protéger les institutions (francophones essentiellement) du chaos qui pourrait découler d’une élection avant-terme à Bruxelles ou en Wallonie (j’évoquerai la situation de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans un prochain billet). La volonté n’était donc pas de priver le peuple d’un droit de regard sur un changement de majorité.
Par ailleurs, et c’est faire œuvre pédagogique, il convient de rappeler que le parlement (wallon dans le cas qui nous intéresse ici) conserve la légitimité qu’il tire des élections pendant les cinq années de la législature. La nouvelle majorité issue des négociations de l’été 2017 n’est donc pas moins légitime que celle qui a suivi les élections de 2014. Évoquer un message de l’électeur (qui aurait pu changer entre-temps) n’est rien d’autre qu’une imposture. Comme j’ai coutume de le souligner, l’électeur ne fait que cocher une case sur un bulletin. Ni les partis, ni le parlement, ni les journalistes ne connaissent les motivations de son vote. Le seul moyen de les mettre en évidence consiste à réaliser une enquête post-électorale sérieuse (voir, par exemple, les travaux du PIOP). Pour prendre un exemple, les électeurs wallons qui ont voté Ecolo n’ont pas voté en se disant que ce parti serait bien à la quatrième place et qu’il convient donc que le parti n’exerce aucune responsabilité exécutive. On peut, au contraire, supposer qu’ils ont voté en espérant qu’Ecolo gagne (ou que d’autre partis perdent) et donc que le parti s’implique.
Ce raisonnement, pourtant simple, est sans doute aujourd’hui pollué par l’importance démesurée désormais accordée aux sondages. À l’ère de l’immédiateté et de la démocratie du public telle que présentée par Manin, la composition du parlement trois ans après l’élection ne reflète probablement plus l’état de l’opinion publique aujourd’hui. C’est évidemment le jeu électoral et, de nos jours, sans doute une limite à la démocratie représentative. Avec des sondages publiés tous les trois mois par les principaux médias du pays (ou de la Communauté), le décalage entre l’expression électorale et l’opinion publique est flagrant. Personne n’ignore que le gouvernement qui est en train d’être mis en place ne disposerait probablement pas d’une majorité parlementaire si le parlement venait d’être renouvelé. C’est probablement d’autant plus vrai que la législature est relativement proche de son terme, ou du moins de l’entrée en campagne électorale (les communales d’abord en octobre 2018, les élections « générales » en mai 2019). Un sondage ne pourrait cependant remplacer une élection pour légitimer un gouvernement.
Enfin, quitte à parler de processus non démocratique, on devrait souligner que la procédure de méfiance constructive est ici totalement dévoyée. Il devrait, idéalement, s’agir d’une initiative parlementaire proposant une majorité alternative. Or, on le constate plus qu’on le découvre, le rôle du parlement est réduit à la portion congrue et les partis jouent un rôle central dans le système politique du pays et de ses entités fédérées (voir le numéro 79 de Politique). Plus que les partis d’ailleurs, ce sont les présidents de parti qui disposent d’un « pouvoir disproportionné », pour reprendre l’expression de Matthieu Lys. L’épisode du « tirage de prise » par Benoît Lutgen l’illustre à merveille. Le président du plus petit partenaire de la coalition décide, à la sortie du bureau politique de son parti, de ne plus gouverner avec le plus grand parti wallon. Plutôt que d’inviter ses ministres à présenter leur démission, le président du CDH prend la main et lance des négociations avec d’autres partenaires potentiels. Un mois plus tard, MR et CDH annoncent à la presse le contenu de l’accord et la composition du gouvernement wallon, sans que le parlement wallon n’ait quoi que ce soit à dire à ce stade. Les parlementaires ne seront finalement sollicités que ce vendredi 28 juillet (soit 3 jours après la conférence de presse) pour voter une motion de méfiance, puis éventuellement l’installation du nouveau gouvernement et ensuite seulement valider la déclaration de politique régionale dont tout le monde a déjà pu prendre connaissance.
Ironie du sort, si l’on surfe sur le site du parlement wallon (par exemple pour chercher l’ordre du jour de la séance plénière), on ne peut manquer la bannière « il n’y a pas que le jour des élections que votre voix est importante ». Comme si le parlement lui-même se rendait compte à quel point il est court-circuité. Le vrai problème démocratique, dans notre système parlementaire, réside bien dans cette relégation au second plan et non dans la mise en œuvre d’une motion de méfiance constructive.