Retour aux articles →

Le bien-être au travail au défi du Covid-19

122497423_e7b7a652ec_b
122497423_e7b7a652ec_b
La loi sur le bien-être au travail a récemment fêté ses 25 ans. Cette législation engage l’employeur dans la gestion des risques au sein de son entreprise. La crise du Covid-19 a cependant montré que cette loi n’était pas assez utilisée.

La Belgique dispose d’une réglementation très développée en matière de bien-être, prévoyant une approche coordonnée de tous les risques pour la sécurité, la santé et le bien-être des travailleurs afin que ces derniers puissent effectuer leur travail dans les meilleures conditions sans nuire à leur santé à court ou à long terme.

Une législation qui contrairement à la loi précédente – le Règlement général pour la protection du travail – engage l’employeur dans le développement d’un système dynamique de gestion des risques dans son entreprise. Une législation offrant la possibilité de rectifier régulièrement les mesures de prévention et de protection prises.

Une législation qui oblige l’employeur à se faire assister par des experts des Services externes de prévention et de protection au travail s’il ne dispose pas de l’expertise en interne. Des médecins du travail, des ergonomes, des toxicologues, des psychologues, des hygiénistes, etc. qui connaissent le lieu de travail, l’analysent et émettent au besoin des avis appropriés en matière de mesures préventives visant à améliorer le bien-être.

Une législation fondée sur la concertation sociale, assortie de compétences claires attribués aux représentants des travailleurs, afin que la politique de bien-être élaborée soit amplement soutenue, pratiquée dans toutes les composantes de l’entreprise et fasse partie de la culture d’entreprise.

Mais aussi, une législation a fêté ses 25 ans au début du mois d’août[1. Loi sur le bien-être du 4 août 1996.] !

La dynamique et la pandémie

La crise du Covid-19 nous a toutefois appris que, malgré le 25e anniversaire de cette réglementation, elle n’est pas suffisamment connue et utilisée. En faisant une rétrospective de l’année écoulée, il ressort que l’exercice a été très difficile lorsqu’il s’agissait de réagir de manière dynamique à de nouveaux risques ou lorsque les mesures de prévention prises ne semblaient pas suffisantes pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs.

Les travailleurs – ouvriers et employés – de nos secteurs (à la Centrale Générale) se retrouvent souvent parmi les plus vulnérables de notre société. Ils vivent avec un salaire minimum, sont soumis à une forte flexibilité, éprouvent les plus grandes difficultés à combiner leur vie privée et leur travail et travaillent dans des conditions éprouvantes et difficiles, avec ou sans pandémie de Covid-19.

Lors du premier confinement, ce sont précisément ces secteurs qui ont souvent été qualifiés d’essentiels. En plus des conditions de travail difficiles, les travailleurs ont continué d’aller au boulot, s’exposant à une éventuelle contamination lors de leurs déplacements (via les transports publics) mais aussi et surtout sur le lieu de travail.

Par crainte d’être confrontés au chômage temporaire ou une perte d’emploi, ils ont continué à travailler. Sans ou avec un nombre limité de moyens de protection (souvent à leur propre frais), sans être entendus dans leur peur d’être contaminés, sans que soit tracé activement les contaminations dans le contexte de leur entreprise, sans voir garanti leur droit à la santé et à la sécurité lorsqu’ils nettoyaient chez leurs clients. Il est clair qu’il n’a nullement été question de gestion dynamique de risques dans ce contexte.

La législation sur le bien-être, connue et éprouvée, n’a pas été immédiatement appliquée en vue de remédier au risque du Covid-19 sur les lieux de travail et de réduire les expositions sur ces mêmes lieux. Un guide générique et des protocoles de démarrage sectoriels négociés étaient censés y contribuer. Malgré cette ébauche « d’analyse des risques » du danger Covid au niveau sectoriel, il a fallu attendre le deuxième confinement pour que le risque de contamination professionnelle et de formation de clusters dans les entreprises deviennent une réelle préoccupation.

De faux arguments en temps de pandémie

Non, le télétravail, avec ou sans enregistrement obligatoire, ne protège pas tous les travailleurs. Non, un guide générique non-contraignant, complété ou pas par des protocoles sectoriels, n’exclut pas toute exposition professionnelle possible. Non, les tests rapides sporadiques ne permettent pas d’écarter le virus de l’entreprise.

Ce qui peut faire la différence, c’est une politique de prévention bien réfléchie obligeant l’entreprise à se pencher sur les éventuelles activités à risque, les contacts à risque et les interactions sur le lieu de travail.

Ce qui peut faire la différence, c’est de rendre les mesures de protection obligatoires, de préférence collectivement ou au moins individuellement, comme le prévoit également la loi sur le bien-être. Et ce qui pourrait faire encore plus la différence, c’est d’écouter activement et de questionner les travailleurs dans l’espoir d’apaiser leurs craintes par une politique de prévention solide qui vise le bien-être de tous. Les risques psychosociaux relèvent également de la notion de bien-être or, c’est un élément qui a été fortement négligé au cours de cette pandémie.

Ce qui pourrait également faire la différence, c’est de considérer la santé des travailleurs comme une priorité, plutôt que l’aspect financier des mesures de prévention supplémentaires.

Approche collective ou répression de l’individu ?

Toutefois, même après un an de pandémie qui a bouleversé la vie de tout un chacun et suscité chez beaucoup une crainte pour leur santé, nous constatons qu’une approche collective des risques auxquels les travailleurs sont exposés, même pendant l’exécution de leur travail, a un caractère très contrôlant et parfois répressif. Il est clair que le logiciel néo-libéral est profondément ancré dans l’esprit de tous les politiciens, en mettant l’accent sur l’individu en tant qu’entrepreneur de sa propre vie, et si l’individu reste en défaut, les pouvoirs publics doivent adopter une forme autoritaire.

Pas de moyens de protection collectifs généraux comme l’aération, le respect des distances, le nettoyage et la désinfection des matériaux et des surfaces de travail, le développement maximal du télétravail là où c’est possible,… mais bien des mesures individuelles pour responsabiliser dans les plus brefs délais les travailleurs individuels, avant même leur entrée dans l’entreprise, en utilisant des tests rapides le plus souvent possible, en contrôlant si les mains sont suffisamment désinfectées, etc….

D’autres aspects du bien-être sous la loupe

Outre la pandémie qui fait l’objet de nombreux débats, il y a également d’autres thèmes dans le cadre de la loi sur le bien-être que nous aimerions mettre en lumière. Nous pensons aux risques psychosociaux au travail, aux accidents du travail, aux maladies professionnelles, aux troubles musculosquelettiques et aux trajets de réinsertion des travailleurs malades de longue durée.

La raison de l’incapacité de travail des travailleurs – lorsqu’elle est liée à la situation professionnelle – se situe souvent dans le domaine des troubles psychologiques, des burn out et des problèmes de tendons, de muscles et d’articulations. La législation demande d’être actif pour établir une liste des risques et adapter les mesures de prévention, cependant nous constatons qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Les gens abandonnent à cause d’une charge de travail trop élevée, lorsqu’il y a un problème avec un manager et que les tâches physiques répétitives causent beaucoup d’inconfort à long terme.

Lorsque des personnes sont en incapacité de travail, il est possible qu’elles se retrouvent dans un trajet de réinsertion. Dans plus de 52% des cas, le travailleur ne peut plus effectuer le travail convenu et il n’y a pas de travail adapté ou différent possible au sein de l’entreprise. Dans la majorité des cas, les travailleurs souhaiteraient reprendre le travail, mais dans la pratique, les possibilités semblent réellement limitées. La responsabilisation du banc patronal serait un must.

Les accidents du travail font partie de la vie quotidienne. Obstacles, incidents ou désagréments qui se produisent dans une entreprise, sur un chantier ou chez un client et pour lesquels le travailleur doit se débattre dans un enchevêtrement de démarches administratives afin de recevoir une forme de reconnaissance, d’approbation et de compensation. Et nous n’avons même pas encore évoqué le processus mental pour l’individu.

Il ne faut pas perdre de vue la déclaration, ni les conséquences pour la victime. La personne en question peut-elle reprendre le travail convenu ? Des mesures de prévention supplémentaires sont-elles prises au niveau de l’entreprise après de tels incidents ? Un sujet qui soulève encore de nombreuses questions aujourd’hui.

Les maladies professionnelles ne sont pas faciles à définir. Elles sont décrites comme une maladie résultant de l’exercice d’une profession. Les travailleurs doivent présenter un bon dossier pour que leur affection soit reconnue comme une maladie professionnelle. Il s’agit d’une nouvelle gifle pour un ouvrier ou un employé qui fournit chaque jour de gros efforts dans un contexte professionnel et qui est récompensé par un fouillis administratif. Si la maladie figure sur la liste des maladies professionnelles reconnues, les chances de reconnaissance sont déjà plus grandes ; si une demande est introduite dans le cadre du « système ouvert », les chances de reconnaissance sont plus faibles. Nous pourrions dire qu’il s’agit d’une lutte constante pour la reconnaissance.

Les enseignements tirés de nos expériences et de la pandémie

Aujourd’hui encore, maintenant que nous avons, espérons-le, surmonté la dernière vague de contamination, nous devons opter résolument pour la protection des travailleurs les plus essentiels et en même temps les plus faibles. Rendre obligatoires les moyens de prévention et de protection collectifs appropriés pour tous les travailleurs, encourager la vaccination par le biais du congé de vaccination, …

Que cette crise sanitaire nous ait appris que la loi sur le bien-être peut être un outil puissant disposant de tous les atouts pour assurer au maximum le bien-être des travailleurs, au niveau du secteur et de l’entreprise, en cas de pandémie et au-delà. Dans ce cadre nous pouvons avancer plusieurs propositions :

Investissons dans l’adaptation de la législation lorsque la théorie et la pratique ne sont pas compatibles, gardons ce qui est bon et changeons ce qui est moins bon ou pas efficace. Mettons en avant l’intérêt d’un travailleur qui crée chaque jour de la valeur ajoutée pour son entreprise. Veillons à ce que les travailleurs n’aient pas le sentiment d’être vus comme profiteur, et accompagnons-les dans le processus difficile de la reprise du travail, après un accident du travail, ou aidons-les lorsqu’ils en expriment le besoin.

Mettons en avant ce qui doit être mis en avant. Il y a tant de technologie et tant de possibilités, centralisons les chiffres sur les trajets de réinsertion, nommons les secteurs où le travail adapté ou autre n’est pas possible et cherchons des solutions concrètes et collectives.

Respectons surtout cette loi et reconnaissons sa valeur ajoutée dans notre travail quotidien. Pour les jeunes et les moins jeunes, les riches et les pauvres, les ouvriers et les employés, les travailleurs intérimaires ou fixes, parce que tout le monde a le droit de travailler dans un contexte où la sécurité et le bien-être constituent une priorité.

(Image de la vignette et dans l’article sous  CC BY 2.0 ; photographie prise par Bill Jacobus le 3 avril 2006.)