Politique
La sécurité sociale et la question nationale
10.10.2011
Le meilleur fonctionnement de l’État
Première hypothèse, les discussions qui, paraît-il, pourraient un jour s’enclencher pour de bon après avoir piétiné pendant un an, ont pour objectif de faire fonctionner au mieux notre appareil d’État, au profit de l’ensemble de la population belge. Il ne s’agit donc pas d’une étape dans la liquidation du régime matrimonial en vue d’un divorce plus ou moins prochain et inéluctable. Comme le savent tous ceux qui s’occupent de ce genre de choses, et bien entendu ceux qui l’ont vécu, lorsqu’on doit vendre la maison familiale et répartir les meubles entre les conjoints en train de se séparer, cela se traduit presque toujours par l’appauvrissement des deux conjoints. Mais il faut bien passer par là si l’alternative est de se détruire mutuellement par des disputes et des incompréhensions continuelles. Je pars donc de l’hypothèse que, malgré qu’ils regardent d’autres émissions de télévision et lisent d’autres journaux, les Belges ont encore suffisamment de choses à se dire pour considérer leur intérêt financier. Je ne suis pas aveugle et sourd : je sais bien que cette hypothèse ne va pas de soi. On reçoit tous les jours des signaux contradictoires venant des médias et de l’électorat. Mais justement : les signaux sont contradictoires. Nous avons le privilège, dans les milieux syndicaux, d’avoir affaire à des gens qui ont le courage de ramer à contre-courant de ce qui peut apparaître comme le courant dominant. Croire que cette pensée alternative finira par se faire entendre comme elle le mérite relève peut-être d’une espérance un peu folle. Mais ce n’est tout de même pas pour autant, que je sache, un délire complètement coupé des réalités. Si on devait ne pas admettre cette hypothèse, c’est moins un spécialiste de la sécurité sociale qui doit s’exprimer, qu’un diplomate de l’ONU spécialisé dans les conflits tribaux qui doit être invité, ou un notaire spécialiste de la liquidation des régimes matrimoniaux.
Un débat gauche – droite
Deuxième hypothèse, la réforme de l’État n’est pas destinée à prendre une hypothèque, ou un droit de préemption, sur les débats futurs sur les frontières de la solidarité. Ceux qui connaissent un peu l’histoire de la sécurité sociale savent que celle-ci n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Ni au moment de sa création (de ce point de vue, le fameux pacte social de 1944 peut apparaître rétrospectivement comme un mythe fondateur). Ni même pendant des périodes, comme les années 1960 (qui, quant à elles, apparaissent rétrospectivement comme de croissance faste) où tout devenait possible. Il y a toujours eu, pour parler clair, un débat entre la gauche et la droite. Jusqu’ici, ce débat n’a guère été bridé par les considérations juridiques. Certains ultralibéraux ont bien grommelé que la sécurité sociale est par essence contraire à la liberté individuelle, et donc aux droits de l’Homme. On a même entendu – je précise : essentiellement hors de Belgique, et même d’Europe – quelques fondamentalistes considérer que la sécurité sociale est une œuvre démoniaque donnant l’illusion de vouloir et pouvoir briser le plan divin selon lequel c’est par prédestination que les pauvres sont pauvres et les riches sont riches. En Belgique, ces contestations de principe n’ont jamais empêché des compromis honorables. Mais si, dans le cadre d’une réforme de l’État, on devait bétonner dans la Constitution ou dans des lois spéciales les limites de la solidarité qui existe dans le cadre des régions belges, alors bien sûr le débat prendrait une autre dimension. Il ne faut évidemment pas être naïf : on suppose bien que, dans la volonté de défédéralisation de la sécurité sociale, ou de certaines branches de la sécurité sociale, l’argument choc selon lequel chaque famille flamande paie chaque année pour la Wallonie l’équivalent d’une Polo, a dû faire mouche sur une partie de l’électorat. Se lancer dans une bataille de chiffres pour démontrer que la Polo n’est peut-être qu’une Dacia, voire un scooter d’occasion, ou qu’à une certaine époque c’étaient les familles wallonnes qui payaient chaque année une bicyclette aux Flamands, ou que ce sont les Wallons qui ont financé la construction du port de Zeebruges et l’agrandissement de celui d’Anvers, me paraît assez vain. À partir du moment où on entre dans la logique de l’argument, il me semble que le ver est dans le fruit. Pinailler sur l’ampleur des transferts peut éventuellement convaincre quelques indécis, mais ne fera pas taire ceux pour qui le sujet n’est qu’un simple argument pour obtenir ce que de toute façon ils veulent. Fondamentalement, la sécurité sociale est un transfert : des bien portants vers les malades , des travailleurs vers les chômeurs et les pensionnés, et ainsi de suite. On sait que le nombre de personnes indemnisées par l’Onem est, en Wallonie, supérieur de quelques pourcents (38%) à la part de la Wallonie dans la population en âge d’activité (20-64 ans : 32%) , tandis qu’en Flandre, il est inférieur de quelques pourcents (58%-52%). Quant à Bruxelles, les deux pourcentages (10%) correspondent : si la proportion de chômeurs est plus importante à Bruxelles qu’ailleurs, il y a cependant moins de prépensionnés et de personnes en pause carrière. On ne les voit pas souvent ces chiffres dans les débats publics. Cela entraîne tout à la fois de plus grandes dépenses du côté de l’Onem et de moindres recettes pour l’ONSS. Cela entraîne aussi quelques dommages collatéraux, qui se traduisent par exemple dans les dépenses de santé : c’est cela la réalité des transferts. Si on les met en cause, on met en cause la sécurité sociale ! Et si on la met en cause dans les relations entre la Flandre et la Wallonie, il n’y a aucune raison de ne pas la mettre en cause en Flandre elle-même. Beaucoup de Flamands ont d’ailleurs bien compris que les partis les plus virulemment en faveur d’une défédéralisation sont aussi en faveur de limitations draconiennes des droits, spécialement des chômeurs. Il me semble que dans ces débats, il s’agit nettement moins d’argumentation que de rapport de forces.
Le débat d’efficacité
Si, par contre, on veut parler de l’efficacité de la sécurité sociale, il peut y avoir source de discussions intéressantes, un espace pour discuter entre gens de bonne foi et qui s’y connaissent un peu, pour s’accorder sur la meilleure efficacité. Pour apprécier correctement les idées qui circulent en la matière, il faudrait « descendre » dans les différentes branches de la sécurité sociale, voir chaque fois quels y sont les enjeux, et voir en quoi une réforme de l’État peut contribuer à améliorer les choses, ou au contraire risque de les empirer. Faute d’espace pour être complet, on se limitera ici aux quelques idées les plus importantes. Il convient d’abord de commenter deux préoccupations transversales. La première : fondamentalement, la sécurité sociale est une assurance. Et en matière d’assurance, la centralisation paie.
C’est rappelé par l’excellent rapport établi par le Bureau international du travail en préparation de la Conférence de l’OIT de juin 2011. C’est aussi démontré par l’absurde par le système américain de soins de santé, basé sur les assurances privées : le système y est beaucoup plus cher, et avec des performances moindres, comparativement avec le système belge – qui laisse pourtant une large place à la décentralisation au niveau des mutualités, et a fortiori comparativement avec les systèmes britannique ou scandinaves, beaucoup plus centralisés. Cette moindre efficacité américaine est due au fait, d’une part, que les compagnies privées commerciales doivent y rémunérer leurs actionnaires, leurs courtiers, leurs agences de publicité, mais surtout, d’autre part, à l’absence d’accords tarifaires centralisés. Une des plus grandes difficultés auxquelles notre système est confronté, est de négocier à bon escient des prix et des conditions de remboursement avec des opérateurs puissants, comme l’industrie pharmaceutique, l’industrie des technologies médicales, ou même le corps médical. Il s’agit de rapports de forces, ou de positions de négociation, et aussi, tout simplement, d’expertise. On peut prédire d’avance que le rapport de négociation ne sera pas amélioré si on scinde le système en deux ou en trois. De notre point de vue, du point de vue de tous ceux qui défendent les intérêts des allocataires sociaux, la division affaiblit notre rapport de forces. Nous avons déjà du mal à défendre certains acquis de notre système, telle l’indexation automatique des prestations ou le caractère non limité dans le temps des allocations de chômage, chaque fois que la Belgique est comparée à d’autres pays européens. Les choses ne vont évidemment pas s’améliorer s’il faut aller discuter séparément avec deux ou trois gouvernements régionaux. La seconde préoccupation transversale concerne spécifiquement les bizarreries de notre fédéralisme à la belge, qui fait coexister deux types d’entités fédérées, les Communautés et les Régions. Si on défédéralise la sécurité sociale, faut-il la communautariser ou la régionaliser ? Un des arguments parfois avancé pour défédéraliser est la soi-disant cohérence des politiques avec les matières déjà attribuées aux entités fédérées. En effet, les matières connexes à la sécurité sociale relèvent dans l’ensemble des matières dites personnalisables, attribuées aux communautés. Tel est le cas de certains aspects de la politique de la santé, connexes à l’assurance-maladie. Tel est aussi le cas de la politique de l’enfance, connexe aux allocations familiales. Pourquoi, tant qu’on y est, ne pas élargir la perspective, en considérant la politique des personnes âgées comme connexe aux pensions, la politique des handicapés comme connexe aux indemnités de maladie, aux accidents du travail et aux maladies professionnelles ? Le chômage quant à lui a des connexions avec la politique de formation professionnelle. Mais, en ce qui le concerne, les connexions les plus évidentes cependant concernent la politique de l’emploi, qui est régionale.
Défédéraliser la sécurité sociale = la régionaliser
Discutons plus avant. Passons rapidement sur le cas de la Communauté germanophone. Dans le cadre d’accords avec la Région wallonne, celle-ci a déjà repris certaines compétences régionales, comme l’emploi et le tourisme. Certaines voix, en son sein, s’élèvent pour en faire une quatrième région à part entière. Va-t-on aussi lui attribuer des compétences aujourd’hui fédérales, destinées aux Communautés ? Verra-t-on un jour des accords médico-mutuellistes germanophones ? Une politique germanophone de remboursement des médicaments ?
Moins anecdotique est la situation de Bruxelles. Les Communautés française et flamande y sont compétentes pour les institutions qui relèvent de chacune d’elle : les écoles francophones relèvent de la Communauté française, les écoles néerlandophones de la Communauté flamande ; et ainsi de suite pour les théâtres, les institutions pour handicapés… Pour gérer cette situation, la Constitution prévoit l’existence à Bruxelles de « Commissions communautaires » auxquelles les Communautés peuvent sous-traiter certains aspects de leurs politiques, avec chaque fois un parlement et un gouvernement, constitués à partir des membres du parlement et du gouvernement régional du rôle linguistique concerné. Comme nul n’ignore, les francophones sont plutôt attachés au droit du sol, et les Flamands au droit des personnes. Ou serait-ce le contraire ? Bref, les francophones sont plutôt régionalistes, les Flamands plutôt communautaristes. La Communauté française a délégué à la Région wallonne et à la Commission communautaire française (Cocof) la plupart des ses compétences dans les matières personnalisables. La Communauté flamande n’en a pas fait de même. Certes, la Vlaamse Gemeen– schapscommissie existe, mais elle a des compétences beaucoup moins étendues que la Cocof. C’est un peu logique, si on considère la part respective de Bruxelles dans les populations néerlandophone et francophone du pays. Notons encore dès à présent qu’il a fallu prévoir aussi une « Commission communautaire commune » (Cocom), pour s’occuper des institutions dites « bicommunautaires », c’est-à-dire essentiellement les maisons de repos des CPAS. Bref, si on doit communautariser la sécurité sociale, comment fera-t-on à Bruxelles ? En réalité, il n’est tout simplement pas possible de communautariser la sécurité sociale en gardant ses caractéristiques essentielles. Faire cohabiter sur un même territoire deux systèmes basés sur autre chose que le libre choix serait une discrimination interdite par les droits de l’Homme, les conventions de l’OIT, le droit européen, sans compter la Constitution belge. Permettre aux Bruxellois de choisir leur système, ou rendre le système applicable en fonction d’un choix dans une autre matière (par exemple lier l’application du régime des allocations familiales au choix de l’école des enfants) nie un des fondements de la sécurité sociale, basée justement sur l’affiliation obligatoire. Tant qu’on a affaire à des gadgets, comme l’assurance de soins flamande, on peut se contenter de soupirer sur la dilution des valeurs. Lorsqu’il s’agira de choses sérieuses, comme les soins de santé ou les allocations familiales, ce sera une autre paire de manches. Donc : si on veut défédéraliser la sécurité sociale, il faut la régionaliser. Dans le cas bruxellois, on peut éventuellement recourir à un subterfuge en disant que c’est la Cocom qui gérera (ce fut une des propositions de Bart De Wever). Mais dans les faits, ce sont de toute façon les élus de la Région de Bruxelles-Capitale qui s’en occuperaient. Les Flamands devraient y sacrifier une de leurs conceptions de base sur Bruxelles. Surtout : l’argument de cohérence avec la politique des Communautés devient littéralement sans objet ! Il est dommage que certains perdent de vue cette dimension, et réduisent les discussions qui ont eu lieu au cours des derniers mois à une opposition de plus entre la tendance régionaliste des francophones et la tendance communautariste des Flamands : la vision défendue par les francophones est avant tout la seule à préserver l’identité de la sécurité sociale ! On notera tout de même que, tout doucement, l’idée semble commencer à percoler : mis au pied du mur, les théoriciens de la défédéralisation de la sécurité sociale se mettent à avoir des doutes. Une partie du monde politique flamand semble convertie à l’idée que Bruxelles est perdue pour la Flandre. Qu’il faut prendre acte de ce qu’elle n’est pas, et ne sera jamais plus, une ville flamande. Si vous me permettez d’ajouter une touche personnelle : qu’elle n’a au fond jamais adhéré, même lorsque la majorité de la population y parlait néerlandais, à la conception de la Flandre qui se donne à voir aux pèlerinages de l’Yser. J’entends dire que cette idée serait celle du président du parti qui a gagné les dernières élections en Flandre. J’entends dire qu’elle serait celle du frère dudit président qui, paraît-il, a une certaine notoriété d’historien dans le monde académique. Cela ne fait cependant pas encore unanimité côté flamand : des personnalités CD&V tels Madame Grouwels et Monsieur Vanackere ont indiqué que jamais ils ne renonceraient à un lien avec la Flandre pour des sujets comme les soins de santé ou les allocations familiales.
Voulez-vous que je vous dise ? En tant que Bruxellois, moi, je serais plutôt d’accord avec eux ! Car je ne pense pas que le destin de Bruxelles, en tant que région, qu’elle soit ou non à part entière, soit de s’occuper d’allocations familiales ou de soins de santé. Tout comme je ne pense pas que son destin soit de raisonner sa politique de l’emploi de façon narcissique, en faisant croire que l’emploi de la région doit correspondre à l’emploi des habitants de la région. Je ne crois pas que soit porteur d’avenir le discours qu’on entend parfois, qui revient à dire que l’emploi occupé par les navetteurs est en quelque sorte volé aux résidents de Bruxelles. Je ne crois pas non plus qu’on puisse raisonner l’emploi des résidents de Bruxelles en faisant abstraction des disponibilités qui existent autour de l’aéroport de Zaventem, des firmes informatiques qui ont poussé dans la périphérie nord-est, ou de la logistique qui se développe le long du canal maritime. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’il ne soit pas nécessaire de mener une politique résolue, notamment de formation professionnelle et de lutte contre les discriminations, pour permettre aux résidents de Bruxelles de profiter des opportunités de leur région. Je dirais seulement que la meilleure façon de maintenir le lien entre Bruxelles et la Flandre serait tout simplement de garder les soins de santé et les allocations familiales au fédéral, ainsi que certains éléments de la politique de l’emploi. Mentionnons encore un troisième scénario, pour mémoire : on pourrait aussi purement et simplement supprimer la sécurité sociale comme droit des personnes et recycler l’argent ainsi économisé dans un système de subvention d’institutions. Certains voient là-dedans l’avenir des systèmes d’allocations familiales : supprimons les allocations familiales, disent-ils, mais subsidions les crèches et les structures d’accueil de l’enfance, et élargissons le droit aux bourses d’études. Dans ce cas, effectivement, il ne s’agirait plus de sommes d’argent payées aux familles, mais de subsides à des institutions. Les bourses d’études seraient liées au choix de l’enseignement. Qui sait, peut-être cette idée vaut-elle un débat de fond ? Mais si c’est bien cela qu’on veut, qu’on le dise clairement et que l’électeur puisse choisir. Surtout : que des questions telles que celles-là ne fassent pas l’objet d’un marchandage abscons sous prétexte de mieux faire fonctionner l’État !
Soins de santé et chômage comme sujets de fond
Au-delà du transversal, je voudrais encore évoquer deux sujets de fond. Il y aurait beaucoup à dire sur les soins de santé. Une question fondamentale à résoudre est celle-ci : est-il vrai comme le disent certains Flamands, y compris dans les milieux médicaux, y compris à gauche, qu’il y a deux façons de concevoir la médecine, l’une enseignée dans les universités flamandes, de culture essentiellement anglo-saxonne et scandinave, basée (je résume) sur la prévention et l’hygiène de vie, l’autre enseignée dans les universités francophones, essentiellement latine, basée (je résume encore) sur l’abus de médicaments et de prestations techniques ? J’ai évidemment mon idée sur la question, et la réponse pour moi est non. Mais je ne suis pas médecin, et encore moins professeur de médecine. Le deuxième secteur est celui du chômage. Il s’agit d’un secteur où il y aurait peut-être moyen de ravaler certaines façades. Il n’est déjà pas facile de faire comprendre à certaines personnes que les allocations de chômage ne sont pas financées par les cotisations syndicales, et ne sont pas payées non plus par le Forem. Si, en plus, il faut se mettre à expliquer que pour s’inscrire comme demandeur d’emploi, il convient de s’adresser au Forem tandis que pour obtenir une dispense de l’inscription comme demandeur d’emploi en vue de suivre une formation, c’est à l’Onem… sauf, précisément, s’il s’agit d’une formation dudit Forem ! Ou expliquer que les programmes de résorption du chômage sont gérés par le Forem, sauf toutefois les ALE, les titres-service et les activations. Je vous suggère un petit exercice : surfez sur les sites internet de l’Onem et du Forem, qui sont pourtant l’un et l’autre assez bien fait, et téléchargez les informations qui s’y trouvent sur les « programmes de transition professionnelle ». Puis, vérifiez que vous avez compris, en vous aidant par exemple du « Guide de législation sociale » de la CSC. Il est cependant une idée dont il faut fermement dénoncer les conséquences : celle qui consisterait à maintenir les allocations de chômage à l’Onem, tout en régionalisant le « contrôle des chômeurs », notamment la fameuse procédure de contrôle du comportement actif de recherche, ainsi que les sanctions pour refus d’emploi. Quelle est la pertinence sociale à ce que le Forem, en tant qu’organisme d’insertion, soit aussi celui qui sanctionne en matière d’allocation de chômage ? Quelle est la pertinence de sa « responsabilisation » pour le faire, autrement dit de lui faire recevoir une prime par chômeur sanctionné ?
Cette confusion de rôle est une idée controversée. Permettez-moi d’entrer dans la controverse, et d’affirmer : c’est une mauvaise idée ! Le système a déjà fonctionné comme cela dans les années 1970, et dans le cadre de l’Onem unitaire. Les bureaux régionaux de l’emploi de l’Onem y avaient perdu leur âme : leur fonction principale n’était plus d’aider à retrouver un emploi, mais de traquer les situations de chômage volontaire. Les demandeurs d’emploi y perdaient eux aussi, puisqu’ils ne pouvaient plus exprimer en confiance leurs préférences ou leurs doutes, à peine d’être sanctionnés pour indisponibilité pour le marché de l’emploi. Les employeurs enfin y perdaient également, puisque, chaque fois qu’ils s’adressaient à l’Onem, ils devaient pratiquement engager une nouvelle secrétaire rien que pour établir des attestations aux dizaines de candidats plus ou moins motivés, plus ou moins adaptés au profil recherché, qui leur étaient envoyés par l’Onem. La séparation entre les bureaux régionaux du chômage et les services subrégionaux de l’emploi fut la réponse à ce problème, et ce avant même la régionalisation. L’avenir dira si ce qui vient d’être exposé correspondra à ce qui aura été pensé dans les caucus. Rappelons simplement encore, pour terminer, que, certes, une réforme de l’État peut se négocier entre quelques négociateurs cloîtrés au secret. Elle doit néanmoins se voter ensuite au Parlement, par une majorité des deux tiers. Il n’est par ailleurs pas interdit aux citoyens, et encore moins aux grandes organisations représentatives, de faire entendre leur voix, même contre les équilibres précairement atteints lors de tels caucus.