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La résistible ascension de l’extrême droite vue par la gauche flamande

Au départ de ce dossier, la sidération qui s’est emparée de toute la Belgique après la percée électorale du Vlaams Belang, lors du dernier « Dimanche noir » du 26 mai 2019. Une percée que personne n’avait vraiment vu venir et qui a fait du VB la deuxième formation politique en nombre d’électeurs à l’échelle du pays.
La protestation fut d’autant plus aisée du côté francophone qu’aucune remise en question n’était exigée de nous. Contrairement à la Flandre, mais aussi à tous les grands pays limitrophes et à la plupart des États européens, Bruxelles et la Wallonie avaient complètement échappé à la poussée du populisme identitaire. Notre « antifascisme » était d’autant plus confortable qu’il ne fallait se confronter à aucune « bête immonde » nourrie dans notre propre sein.

Politique, comme revue engagée, se devait de réagir. En évitant un piège. Pour faire barrage à cette extrême droite renaissante, la pire des choses à faire, ç’aurait été que des francophones pétris de bonne conscience fassent la leçon aux Flamands. D’où le projet de ce dossier, conçu avec le webmedia néerlandophone DeWereldMorgen.be, où la parole n’est donnée – à une exception près – qu’à des auteurs et autrices flamand·e·s pour nous aider à comprendre ce qui s’est vraiment passé ces dernières décennies.

Au départ, ce dossier devait s’appeler « La résistible ascension du Vlaams Belang ». En cours de route, le titre a changé. Nous ne sommes plus en 1991 quand tous les partis flamands de l’époque signaient l’engagement de ne jamais passer d’accord politique avec le VB. Ce fut le fameux « cordon sanitaire », efficace sur le plan politique, mais qui fut largement contourné sur le plan culturel. Depuis, en Flandre comme ailleurs en Europe, le fossé s’est comblé entre une extrême droite qui a réussi à se rendre fréquentable et une droite plus traditionnelle qui s’aligne sur son agenda. Il y a maintenant un continuum qui va des courants démocratiques du nationalisme flamand encore présents à la N-VA jusqu’au groupuscule fascisant Schild & Vrienden aux marges du VB, avec des personnalités comme Theo Francken en guise d’agents de liaison.

La deuxième chose que ce dossier nous aura apprise, c’est qu’il est inopérant de caractériser les formations de la droite radicale de « non démocratiques ». Toutes ces formations – y compris donc le Vlaams Belang, le Rassemblement national, la Lega italienne… – jouent désormais le jeu de la démocratie élective et évitent soigneusement de tomber sous le coup des législations antiracistes. Tous démocratiques, donc. Mais de quelle démocratie s’agit-il ?

Et c’est là qu’on se rend compte qu’une forme racoleuse de démocratie d’opinion, où les sondages et les micros-trottoirs remplacent la délibération collective, où le vide se fait entre le citoyen individuel et le monde politique, a fini par doper ceux qui prétendent exprimer tout haut ce que les gens pensent tout bas. Bref, la nouvelle droite « illibérale » est l’enfant naturel de la culture mercantile du néolibéralisme, et non son opposé.

En ouverture, on trouve le seul texte d’un auteur francophone. Le politologue Benjamin Biard y décrit l’ascension progressive du Vlaams Belang. Ensuite, Lode Vanoost, du webmedia DeWereldMorgen, seul Flamand de l’équipe de pilotage de ce dossier, propose aux lecteurs francophones curieux quelques sites à visiter, auxquels nous avons emprunté plusieurs articles.

Premières ripostes

La réaction commença vraiment avec Charta 91. Une initiative portée par le monde culturel flamand au lendemain du premier « Dimanche noir » du 24 novembre 1991. Neuf ans plus tard, les trois porte-parole de Charta 91, Paula Burghraeve, Eric Corijn et Paul Verbraeke, tiraient lucidement le bilan de leur initiative. Un bilan qui résonne encore aujourd’hui et que commente, en 2020, Eric Corijn.
Dans un long mais passionnant essai, Jan Blommaert décortique la manière dont « la démocratie » a déroulé le tapis rouge devant les énoncés de l’extrême droite, en avalisant sa manière de parler politique.
Enfin, avec l’avocat Luc Walleyn, on revient sur le procès où, en 2004, le Vlaams Blok fut condamné pour racisme, ce qui déboucha sur sa transformation en Vlaams Belang.

Bien cerner l’adversaire

Ico Maly décortique l’idéologie de la Nouvelle Droite européenne, qui n’est pas la reproduction à l’identique du vieux fascisme. Se penchant sur le niveau local, Lode Vanoost montre que la N-VA peut présenter des visages différents.
L’historien Vincent Scheltiens argumente sa thèse : il n’y a plus de rupture nette entre le VB et la N-VA, et ce phénomène se manifeste partout en Europe.
Pour Samira Azabar, beaucoup d’idées jadis caractéristiques de l’extrême droite sont désormais banalisées.
Enfin, trois mandataires politiques de gauche – Geert Asman (PTB), Jan Bertels (SP.A) et Jeremie Vaneeckhout (Groen) – réagissent à la montée de l’extrême droite dans leur Région.

La bataille culturelle

Dominique Willaert témoigne de l’intimidation des normalisateurs culturels, désormais au pouvoir, à laquelle il est en butte.
Leonie de Jonge raconte comment la Flandre a abordé la question du « cordon sanitaire médiatique » sans la moindre réflexion.
Robrecht Vanderbeeken montre comment Jan Jambon, chef du gouvernement flamand et ministre de la Culture, envisage la bataille culturelle.
Enfin, à partir d’un incident récent au festival Pukkelpop où les jeunes du VB se heurtèrent aux organisateurs, Thomas Decreus décrit comment une culture jeune, au départ porteuse d’idéaux progressistes, s’est petit à petit dépolitisée.

Ce dossier est composé pour moitié d’articles originaux et de traductions inédites de textes rédigés entre 2000 et 2019. Il a été coordonné par France Blanmailland, Jean-Paul Gailly, Henri Goldman et Lode Vanoost.