Politique
Là où ils pensent
01.06.2004
«Ce soir, nous allons parler de nouvelle culture politique. Y a quelqu’une qui connaît? Faudra vous informer un peu avant de voter, les filles. Personne n’a enregistré le débat de “Mise au point” sur le sujet? Mise au Point, RTBF, 18 avril 2004.. Eh bien, je vous le dis tout net: vous avez raté un grand moment de télé! — Ah bon? — Imaginez déjà le plateau : à ma gauche, deux écolos, deux PS : quatre femmes. À ma droite : deux CDH, deux MR: quatre hommes. Déjà très significatif en matière de nouvelle culture politique! — Attends, le CDH a quand même une présidente et on ne peut pas dire qu’elle soit absente de la télé… — Non, mais peut-être qu’elle ne se déplace pas pour des broutilles comme la NCP… Peu importe: le héros du débat, ce fut incontestablement Antoine Duquesne. Titillé sur des bisbrouilles internes au MR, il a lâché cette explication grandiose: s’il y a des disputes entre membres de son parti, c’est qu’“ils en ont là où je pense”! Et pan sur le bec des représentantes écolos et socialistes, se retrouvant soudain bien démunies! Quant aux deux mâles du CDH, s’ils pouvaient prétendre « en avoir » aussi, leur humanisme les empêchait sans doute de les étaler sur le plateau. Jeu, set et match pour le MR! — Moi, ce qui me paraît incroyable, c’est qu’en dehors de Kroll qui n’a pas loupé l’occasion d’un bon dessin, personne n’a réagi! Ni les invité-e-s, ni le journaliste, pourtant prompt à couper la parole à l’intervenant qui s’écartait du sujet. — Attendez, est-ce qu’on n’est pas en train d’exagérer? On va encore se faire ramasser comme féministes radicales et pudibondes qui rêvent d’entraver la liberté d’expression. Entre nous, ça ne vous est jamais arrivé de dire de quelqu’un, ou même de quelqu’une, qu’il ou elle “en a” ou “n’en a pas”? Moi si, j’avoue. — Oui, mais tu n’étais pas sur un plateau télé, en train de causer d’un sujet, la politique, dont il n’y a pas si longtemps, celles qui « n’en avaient pas » étaient exclues… Ce n’était pas une conversation privée, ni une plaisanterie d’après match de foot, ni une virée entre mecs… — Et puis moi, j’en ai marre de cette idée selon laquelle le sexisme ordinaire, après tout, ce n’est pas si grave. Est-ce que quelqu’un oserait dire sur un plateau “chez nous, ils sont blonds avec des yeux bleus…là où je pense”? — Il oserait peut-être, mais il aurait quelques ennuis… — Mais voilà, quand il s’agit de femmes, on peut. Et celle qui tenterait de réagir se ferait immédiatement traiter d’emmerdeuse, et encore, je reste polie, pour respecter la nouvelle culture féministe. Je comprends que les représentantes Écolo et PS n’aient rien dit: qu’est-ce qu’elles auraient pris! — Moi en tout cas j’ai envoyé aussi sec un message de protestation au MR. — Et tu as eu une réponse? — Un “autoreply”, au masculin-universel bien sûr. « Soyez assuré que votre message sera étudié avec toute l’attention requise et que, s’il échet, une réponse vous sera formulée dans de brefs délais ». Et apparemment, jusqu’ici, il n’a pas échu. — S’il échet? Waouw, c’est qu’ils savent causer au MR! Duquesne va se faire passer un savon. Il aurait dû dire les choses autrement, par exemple: « Dans mon parti, les membres sont équipés comme il se doit à l’endroit que la décence m’empêche de nommer, mais que je peux vous détailler, s’il échet ». — Si c’est “ça” que le MR a là où il pense… voilà qui explique bien des choses dans ses positions politiques! Là où MOI je pense, j’ai un cerveau, et lui au moins, il est équitablement réparti entre hommes et femmes. — Quoique…»