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Et si on vous exploitait davantage ? La nouvelle super note de l’Arizona
28.10.2024
Êtes-vous d’accord qu’on vous impose de travailler le dimanche, la nuit ou le jour de l’an ? Ou de voir votre revenu professionnel diminuer ? Les personnalités politiques responsables sont-elles conscientes de l’impact de leurs intentions sur la santé et la qualité de vie des travailleurs et travailleuses ? Une carte blanche du Secrétaire fédéral de la FGTB Chimie, Andrea Della Vecchia.
Quelques lignes dans un projet d’accord de gouvernement peuvent détériorer votre santé et la qualité de vos relations familiales et sociales. D’autres lignes peuvent signifier un manque à gagner de plusieurs centaines d’euros par an. De quels passages s’agit-il ? D’une part, celui relatif à la suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et les jours fériés. D’autre part, celui relatif au travail de nuit débutant à minuit au lieu de 20h.
L’inspiration hollandaise
Dans le cadre de sa mission de formateur du prochain gouvernement fédéral, Bart De Wever a diffusé plusieurs notes aux partis pressentis pour une coalition. À travers les versions, différents thèmes restent constants. Parmi ceux-ci, le travail du dimanche, de nuit et des jours fériés. Concrètement, nous lisons : « L’interdiction du travail du dimanche, du travail de nuit et du travail les jours fériés sera supprimée ». Cette flexibilité est souhaitée par plusieurs fédérations patronales et partis politiques, lesquelles prennent en exemple les Pays-Bas. Il est vrai que, de l’autre côté de la frontière, le recours aux horaires atypiques de travail est plus important qu’en Belgique1.
Travail en soirée ? Cela concerne près d’un travailleur sur trois aux Pays-Bas (contre moins d’un travailleur sur dix en Belgique).
Travail en équipes et de nuit ? Nos voisins enregistrent des pourcentages largement supérieurs aux nôtres.
Travail du samedi ? Plus d’un travailleur sur 4 est concerné aux Pays-Bas (contre moins d’un travailleur sur 5 en Belgique).
Travail du dimanche ? C’est une réalité pour près d’un travailleur sur 5 de l’autre côté de la frontière (contre 1 sur 10 chez nous). À ce propos, nous constatons que les travailleuses hollandaises sont plus concernées que leurs homologues masculins par des activités professionnelles le septième jour de la semaine (22,3% contre 17,4% pour les hommes).2
Le formateur du prochain gouvernement fédéral semble vouloir faciliter toute initiative patronale d’implémentation de la flexibilité en contournant la concertation préalable des travailleurs.
Pourquoi de telles différences entre nos deux pays ? Aux Pays-Bas, la législation en matière de flexibilité et d’horaires atypiques est plus souple, ce qui facilite leur implémentation par les employeurs. En Belgique, le cadre légal actuel prévoit le recours à la concertation sociale ou, à défaut de représentation des travailleurs et travailleuses, des procédures administratives au sein des organes sectoriels de concertation.3 Mais la flexibilité hollandaise constitue-t-elle un idéal à copier ? Concrètement, êtes-vous d’accord de travailler le jour de Noël ou le 1er mai ? Êtes-vous aussi d’accord de travailler la nuit ou le dimanche ? Si cette intention politique se concrétise, ces questions ne vous seront pas posées : ces formes de flexibilité vous seront imposées indépendamment de leurs impacts sur votre vie. Le formateur du prochain gouvernement fédéral semble vouloir faciliter toute initiative patronale d’implémentation de la flexibilité en contournant la concertation préalable des travailleurs.
Payer moins les travailleurs et travailleuses : des exemples concrets
Par ailleurs, la « super nota » comprend le passage suivant : « Le travail de nuit commencera désormais à partir de minuit au lieu de la limite actuelle de 20 heures, sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20h et 24h ». Dans la pratique, cela signifie que la prime de nuit des travailleurs et travailleuses concerné·es sera attribuée à partir de minuit (au lieu de 20h comme c’est le cas actuellement).
Afin de mesurer l’impact financier de ces « quelques lignes », nous nous sommes penchés sur la situation concrète de quelques travailleurs concernés par le travail de nuit.
Ali, employé du secteur de la chimie, temps plein en équipe de nuit : 78 € bruts en moins par mois.4
Mariam, infirmière dans un hôpital privé, preste 6 nuits par mois : 120 € bruts en moins par mois.5
David, ouvrier dans un dépôt de la grande distribution : 198 € de perte par mois.6
Les pertes de revenus calculés ci-dessus se basent sur des données actuelles et figées : les futures augmentations et indexations des salaires et primes de nuit augmenteront encore cette différence.
Aussi, le manque à gagner sur une carrière est considérable. Ainsi, sans tenir compte des augmentations et indexations annuelles et partant que Ali doit encore travailler 25 ans avant sa pension, il perdra plus de 23.500 €.
Qu’en est-il du passage « sans perte de pouvoir d’achat pour le travailleur qui travaille déjà aujourd’hui entre 20h et 24h » ? Les nouveaux travailleurs en équipes et de nuit sont-ils les seuls impactés ? Ou s’agit-il uniquement des travailleurs et travailleuses d’entreprises qui instaureront le travail en équipes et de nuit à l’avenir ?
Au-delà des réponses à ces questions, est-il éthique de créer de telles différences de traitement entre travailleurs et travailleuses concerné·es par des conditions équivalentes de travail ? De même, est-il judicieux d’accroître l’attractivité financière de ces régimes de travail en faveur des employeurs et au détriment de la santé et de la qualité de vie des travailleurs ?
Travailler en décalage avec les rythmes habituels de la société laissent des traces sur les principaux concernés.
Prises ensemble (la réduction de la prime de nuit et la suppression de l’interdiction du travail du dimanche, de nuit et les jours fériés), ces mesures indiquent clairement l’intention du formateur : les horaires atypiques doivent se développer en Belgique. Par conséquent, un·e travailleur·euse actuellement employé·e en journée pourra être soumis·e à une adaptation arbitraire et conséquente de son horaire de travail. De même, une future travailleuse sera plus souvent confrontée à des propositions d’emplois pour lesquels le travail du dimanche est une règle non-négociable. Mais travailler en décalage avec les rythmes habituels de la société laissent des traces sur les principaux concernés.
L’impact sur la santé
Les individus sont des êtres diurnes. S’ils sont actifs de nuit, ils entrent en conflit avec leur horloge interne. Résultat ? Différentes fonctions de leur corps comme le sommeil, la température, la digestion et la sécrétion hormonale se dérèglent. Cela a bien-sûr des conséquences sur leur santé : troubles du sommeil, système digestif perturbé, problèmes cardiovasculaires, risque de cancer de la prostate, du pancréas, du rectum, de la vessie et des poumons7. Une récente étude pointe aussi le risque accru de diabète pour les personnes soumises à un éclairage durant la nuit8.
De même, une enquête de la KUL-HIVA met en avant la mauvaise qualité du sommeil des travailleurs en équipes et de nuit9 :
67% des travailleurs et travailleuses concerné·es estiment que leurs habitudes de sommeil ne sont pas bonnes. 52% déclarent que leur sommeil a un impact négatif sur leur travail. 65% estiment que leurs habitudes de sommeil ont un impact négatif sur leur vie sociale et familiale. 69 % déclarent aussi que leur travail a un impact négatif sur leurs habitudes de sommeil.
Cependant, une bonne nuit de sommeil est l’une des meilleures choses que vous puissiez faire pour votre santé (au même titre que des exercices physiques et une alimentation saine). A contrario, le manque de sommeil peut avoir des effets importants sur notre corps et sur notre mental10.
Sur le plan physique, le manque de sommeil peut entraîner un risque accru de maladies cardiovasculaires, de diabète et d’obésité, ainsi qu’une altération du système immunitaire et un retard dans le processus de récupération après une maladie ou une blessure physique.
Les effets psychologiques du manque de sommeil peuvent inclure l’irritabilité, l’anxiété et la dépression, ainsi qu’une mémoire et une capacité de concentration plus faibles. En outre, le risque de développer la maladie d’Alzheimer est plus élevé. En raison des troubles de la concentration, vous risquez également de commettre des erreurs, par exemple au travail ou en conduisant votre véhicule. Cela vous met en danger ainsi que votre entourage.
Isolement social
Outre la santé, les horaires atypiques de travail placent le travailleur en marge de la société car il est régulièrement indisponible pour des activités en société ou en famille. À titre d’exemples, déphasage par rapport aux rythmes scolaires, aux activités et aux éventuels temps de garde des enfants. De même : indisponibilité fréquente pour une multitude d’activités sportives, culturelles ou ludiques qui se déroulent les week-ends (que le travailleur ou la travailleuse en soit le protagoniste, le spectateur ou le simple accompagnant). Ces absences nuisent à la qualité de son implication dans la vie familiale et sociale.
Côté professionnel, l’isolement du travailleur du week-end, de nuit ou en équipes existe aussi. Son accès aux services de l’entreprise est plus compliqué (service du personnel, médecin du travail, activités sociales, représentation du personnel). Son horaire atypique de travail freine aussi son évolution professionnelle en raison d’un accès moins aisé aux formations. Dans le même ordre d’idée, alors qu’ils constituent un ascenseur professionnel et un atout majeur de réorientation, les cours du soir ne lui sont pas accessibles.
L’isolement du travailleur du week-end, de nuit ou en équipes existe aussi.
Alors que le nombre de travailleurs et travailleuses malades atteint le demi-million, que son évolution est croissante11 et que le nombre de burnouts et de dépressions a augmenté de 46% en 5 ans12, il apparaît urgent de prendre des mesures qui améliorent les conditions de travail. Malheureusement, force est de constater que les actuelles intentions des partis politiques réunis pour un accord de gouvernement fédéral vont dans l’autre direction. Combien de nouveaux malades, de burnouts et de dépressions devrons-nous relever à la suite de la course à la flexibilité ? Quel en sera le coût pour la sécurité sociale ? Mais aussi quelles seront les difficultés quotidiennes des employeurs confrontés à un accroissement des absences pour maladie ?
Une course à la flexibilité au détriment des êtres humains
Alors, êtes-vous prêts à travailler le dimanche, la nuit et les jours fériés ? Êtes-vous d’accord de mettre votre santé en danger et vos relations sociales entre parenthèses ? Trouvez-vous aussi correct de voir vos revenus diminuer ? Avant tout accord de gouvernement, les partis politiques de la future coalition fédérale devront prendre en considération les conséquences concrètes induites par des horaires atypiques de travail. La course à la flexibilité détériorera le quotidien et le revenu des travailleurs et travailleuses, les éloignera de leur emploi, ne répondra pas aux attentes des entreprises sur la durée et augmentera les coûts de la sécurité sociale.
La course à la flexibilité détériorera le quotidien et le revenu des travailleur·euses et ne répondra pas aux attentes des entreprises sur la durée, tout en augmentant les coûts de la sécurité sociale.
Sur base du contenu actuel de la « super nota », les travailleurs et travailleuses sortent perdants sur toute la ligne : plus de flexibilité et moins de revenus, plus de risques pour leur santé et moins de temps pour leurs relations familiales et sociales. Indépendamment des visions politiques, les travailleurs méritent plus de considération et de respect, en particulier ceux qui sont les plus exposés aux problèmes de santé et qui rencontrent des difficultés à combiner vie privée et vie professionnelle.