Politique
La mort, la souffrance et les médias
08.04.2010
Et quand les drames se multiplient et se télescopent, ils ne laissent aucune trace dans les esprits. La mort qui est pourtant omniprésente dans les journaux télévisés passe «comme une lettre à la poste», les chiffres qui se comptent souvent par milliers de décès ici ou là (tremblement de terre, massacre, attentat…) rivalisent avec des images de gens, si pas déjà morts au moment de la prise de vue (immobiles et ensanglantés), souvent morts au moment de la diffusion du reportage le soir dans notre salon. La mort et la souffrance sont omniprésentes dans les JT, mais par le flux continu des images et des commentaires, elles passent comme une éphéméride, c’est-à-dire comme quelque chose qui finit par ne laisser aucune trace sur notre conscience, notre perception du monde, nos valeurs et notre façon de mener notre existence. Les médias sont conscients de ce problème. Pour occulter leur rapport amorphe à la mort et à la souffrance humaine, ils peuvent compter sur une sorte de «Emergency ‘Hommage’ Kit» qui ne nécessite aucun travail de rédaction et qui permet de commenter des images pendant de longues minutes sans penser et sans réfléchir : «la population est sous le choc», «des anonymes ont tenu à exprimer leur solidarité», «une chapelle ardente a été dressée», «des proches sont venus se recueillir», «les téléspectateurs peuvent laisser des messages de sympathie sur notre site Internet», «les psychologues sont sur place», «le Premier ministre a décrété un jour de deuil national»… La mort ignorée au quotidien revient ici sous une forme totalement hypocrite qui privilégie une sorte de communion de façade faite de belles paroles sans substance. Personne n’aura le temps ni l’envie de se mettre par exemple dans la peau du père de famille qui vient de perdre son enfant dans un accident, mais tout le monde pourra laisser un message de sympathie afin de rendre un dernier hommage… On trouvera des excuses aux journalistes mis sous pression pour vendre du «cerveau disponible». Il est impossible d’être triste pour tout et tout le temps et il ne faut pas éloigner les annonceurs. Mais au-delà de ce fait, il n’est certainement pas bon d’habituer les gens à percevoir la mort de façon aussi banale.