Politique
La menace insidieuse
02.12.2009
Quand les mêmes arguments peuvent être utilisés par des adversaires pour défendre des positions fondamentalement différentes, il n’est pas rare que l’objet du désaccord soit situé ailleurs. Aux États-Unis par exemple, les défenseurs de la réforme du système de soins de santé proposée par le président Obama parlent de liberté et de démocratie lorsqu’ils portent un projet qui devrait à leurs yeux permettre à chacun de vivre sinon en bonne santé, au moins avec l’aide médicale nécessaire pour survivre dans de bonnes conditions en cas de maladie ou d’accident. Mais au même moment, les ennemis de la même réforme évoquent également la liberté et la démocratie, ils mobilisent ces notions avec passion lorsqu’ils s’opposent à la «menace communiste» incarnée par le plan Obama, un danger qui devrait retirer à chacun son libre choix par rapport à différentes options sur un marché «libre», une menace qui pèse sur la liberté de posséder son corps et sa santé sans intervention «autoritaire» de l’État. En Belgique, une partie de ceux qui militent pour une interdiction du port du foulard islamique dans les écoles de l’enseignement officiel évoquent également la liberté et la démocratie mais pour des raisons très différentes. Face à ce qu’ils considèrent comme une adaptation progressive des normes en société qui mènerait à terme au fait que la loi particulière des «musulmans» devienne la loi générale dans la société, ils stigmatisent ce qui est vu comme une première étape vers l’islamisation de l’espace public. Mais en Belgique également, ceux qui militent contre cette même interdiction (potentielle) évoquent également la liberté et la démocratie. Ils mobilisent ces notions avec passion et pensent que la loi du nombre (le travail du législateur) risque «d’écraser» la liberté d’opinion religieuse et que partant, le choix de la majorité de légiférer en faveur d’une interdiction du voile serait démesurément oppressif pour la minorité musulmane. On s’abstiendra volontairement de trancher en faveur d’un camp ou d’un autre dans ces deux débats mais on rappellera que quand les mêmes arguments peuvent être utilisés par des adversaires, il est fréquent que l’objet du désaccord soit différent de ce qu’il paraît. Et à ce titre, un fil conducteur semble relier les deux échanges de vues : les opposants à la réforme des soins de santé évoquent une «menace communiste» sur Washington qui semble totalement absurde aux yeux des défenseurs du plan Obama. Et de la même manière, certains partisans de l’interdiction du voile à l’école évoquent une menace islamiste sur nos valeurs et nos fondamentaux qui apparait totalement fantasmagorique pour les opposants à l’interdiction. Dans les deux cas, l’objet du désaccord ne porte pas tant sur la réforme des soins de santé ou sur le port du foulard que sur ce que signifie cette réforme aux États-Unis et cette tenue vestimentaire chez nous. Les uns pensent que c’est une manifestation isolée parmi d’autres et donc sans importance, les autres jugent au contraire que c’est un signe parmi d’autres qui confirme une tendance lourde mais discrète, et donc dangereuse, dans nos sociétés. Aux États-Unis, les premiers voient dans le plan Obama un alignement sur ce qui se fait en Europe depuis longtemps, les autres y voient le début d’une mainmise de l’État sur la liberté, et notamment la liberté de choisir sa propre assurance santé dans un marché libre protégé de l’oppression de l’État. En Belgique, les uns voient dans le port du foulard une question de choix personnel et de droits individuels. Les autres y voient au contraire une marque inquiétante et insidieuse, un signe de plus qui menace l’idéal d’un État démocratique protégé de l’influence du religieux. Si la menace communiste aux États-Unis est risible vu d’Europe, la menace islamiste fait maintenant bien partie de notre imaginaire collectif. Et indépendamment de sa réalité qui reste encore à prouver, elle revient tous les jours, sous la plume de ceux qui la dénoncent, comme une sorte de pieuvre invisible qui comploterait contre les démocrates.