Politique
La lapidation, si je veux
01.04.2004
Au Café Carabosse, tout le monde est le bienvenu. Mais allez savoir pourquoi, il n’y vient que des femmes…
«Ce soir, attention, je vais en choquer plus d’une. Je sais ce que beaucoup d’entre vous pensent de cette agitation autour du voile à l’école, de l’exclusion des jeunes filles et de la loi française sur la laïcité… Jusqu’il y a peu, j’étais d’accord. Mais voilà: j’ai voulu m’instruire! Comprendre! Et je vous le dis tout net: je me sens prête à plaider pour l’interdiction! — Ah bon, tu as été convaincue par un de nos grands intellectuels, Bernard-Henri Lévy, Anne-Marie Lizin, Patrick Dewael? — Non, j’ai voulu écouter les premières concernées, ces filles qu’on n’entend pas trop dans ce débat, ou qu’en tout cas on n’écoute pas. Et comme j’ai plutôt de la sympathie pour celles par qui le scandale arrive, j’étais pleine de curiosité et d’ouverture quand j’ai su qu’il existait un livre d’entretiens avec Alma et Lila Lévy Non, mais vous n’imaginez quand même pas qu’on va vous donner les références du livre, pour que vous deveniez vous aussi voilophobes? Pour découvrir des arguments vraiment réfléchis et pertinents, lisez plutôt L’une voilée, l’autre pas, de Dounia Bouzar et Saïda Kada, Albin Michel, 2003 , ces deux filles exclues d’une école d’Aubervilliers pour cause de voile. Deux filles qui ont décidé librement de le porter — on ne peut pas soupçonner leur père, juif gauchiste athée, de le leur avoir imposé… — Bon, tu vas revenir avec cette histoire de lapidation des femmes adultères: elles ont dit et répété qu’on avait déformé leurs propos dans les médias… — Mais là, dans le livre, elles ont tout le temps pour s’expliquer! D’apporter toutes les nuances, si on ose dire! Et que disent-elles? Eh bien, qu’elles sont contre la lapidation… sauf si la femme qui a «péché» le demande elle-même! Si c’est pas féministe, ça! — La lapidation libre et gratuite, en quelque sorte… — Et pour qu’on les comprenne bien, l’un d’elles précise que, si elle «commettait un tel péché», elle irait jusqu’à demander la lapidation. Tout en ajoutant, réaliste, qu’en Occident ce n’est (malheureusement?) pas possible. — Oh, on peut trouver une solution : l’auto-lapidation avec des pierres-boomerang, par exemple? — … et pourquoi pas un de ces petits boulots payables par chèque-service? Une tâche d’aide-familiale, en quelque sorte… — C’est vrai, on les a beaucoup attaquées sur la lapidation, mais le reste est à l’avenant: consternant. Avec tous les vieux clichés sexistes, sur les femmes naturellement faites pour s’occuper des enfants, alors que le mari doit tout aussi naturellement ramener l’argent du ménage, les charmes du mariage arrangé, pour ne rien dire des platitudes homophobes… — Moi, ce qui me trouble, c’est comment elles arrivent à hypnotiser les deux intellectuels qui les interrogent, deux profs, apparemment séduits par ces Deux filles comme les autres (c’est le titre, et sans guillemets!), «surprenantes voire déroutantes» mais «attachantes» et «d’une grande tolérance» (je cite). Certes, ««elles ne comptent pas parmi les éléments les plus féministes de leur génération» (bien vu!), mais «on peut admirer la force sereine avec laquelle elles affirment leur personnalité» Désolée, je n’admire pas! — Et moi je me demande pourquoi un éditeur important (La Découverte) a trouvé intéressant de donner la parole sur tout et n’importe quoi à deux gamines qui ne se rendent pas compte combien elles déforcent leur propre camp! On interrogerait de la même façon deux ados «modèle courant», avec un piercing dans le nombril et le discman vissé aux oreilles, je vous jure que vous auriez envie d’interdire le string, la lecture de Jeune et jolie et la Star Academy!»