Politique
La gueule de bois du 25 mai 2014 (uniquement en ligne)
28.10.2014
Depuis les élections du 25 mai dernier, la question qui traverse les militants Écolo est simple et lancinante : Mais que s’est-il donc passé ? Un programme fouillé et concret, des militants enthousiastes, des cadres du parti aux taquets, un bilan de participation honorable, une campagne de vraie présence sur le terrain et des résultats à la fois décevants et prévisibles…
« Voter avec votre temps ». Rarement slogan de campagne aura autant dit de nous en en disant si peu ! Quel est ce temps, en effet, convoqué par Écolo pour aller à la rencontre des électeurs ? Chacun, chez nous, y trouvera à moudre le grain qui lui convient ! Pour la majorité de nos militants, le temps est à la « transition énergétique », concept-mantra intégré aujourd’hui à tous les programmes politiques, et qui laisse largement ouvertes les questions de savoir comment l’on souhaite réaliser cette transition et dans quel projet de société elle s’inscrit.
Pour certains, la priorité est à la mise en place de nouvelles filières d’emploi, dans les métiers qui relèvent de la protection de l’environnement, de la lutte contre le réchauffement climatique et de la transition énergétique. Leur « transition » s’arc-boute à la nécessité d’une relance économique créatrice de « croissance ». Elle concerne avant tout le secteur des entreprises émergentes, supposées garantes de la mise en place de nouvelles filières de services pourvoyeurs de jobs. Avant tout « industrielle », elle parie, avec le soutien des pouvoirs publics, sur la capacité du marché d’assurer efficacité des services, productivité maximale et croissance, certes orientée, mais croissance quand même. Le tout en dégageant une plus-value suffisante pour les actionnaires. C’est le temps du « capitalisme vert », plus ou moins assumé. Pour d’autres, très nombreux chez les militants, cette transition intègre une double transformation : celle des objectifs ET des modes de production. Elle rompt avec les principaux dogmes capitalistes (la création de la plus-value pour l’actionnariat comme objectif principal et la « croissance » comme condition première de redistribution) et ses modalités d’action (l’utilisation du facteur travail comme variable d’ajustement privilégiée). Ceux-là veulent réinventer une économie de proximité, bâtie sur le soutien à des entreprises citoyennes, dont capital, modes de production et organisation du travail, au service de la collectivité et de l’environnement, définissent les orientations d’un développement au service de chacun et de tous, solidaire et respectueux de la planète. Au sein de ce peuple-là, beaucoup inventent le futur au quotidien : la vigueur concrète d’une militance locale aux multiples visages draine, dans les secteurs de l’alimentation, du logement, de l’énergie, de la mobilité mais aussi de l’éducation ou du vivre-ensemble, l’utopie d’un monde rêvé et déjà agi. En politique, comme en tout, les choses ne se réduisent évidemment pas à ces « tendances ». Et la sociologie de notre parti est telle que beaucoup d’entre nous, finalement, se retrouvent à la fois acteurs de pointe d’une transition énergétique dans « le monde tel qu’il est », et penseurs et militants d’une alternative autrement radicale et transversale. Cette tension entre aspirations et réalités, entre participation et projet de société, nous n’avons cependant pas réussi à la transformer en une offre politique fédératrice et crédible, au-delà du cercle, certes important, de nos fidèles.
Au bout d’une campagne qui n’a pas fait rêver : la sanction
En effet, quel rêve irrigue aujourd’hui le projet de l’écologie politique ? Celui d’une transformation radicale de notre non-projet de société actuel ? Ou celui du pari d’une adaptation progressive d’un modèle dont le caractère « épuisé », pourtant dénoncé, se revitaliserait grâce à quelques lissages homéopathiques, quelques accommodements raisonnables avec le capital, et une bonne dose de prise en compte pragmatique des contraintes ? Du projet à la pratique politique, à Écolo, on voyage de l’un à l’autre, convoquant l’utopie certains soirs pour ne pas désespérer des autres, où on nous voit peiner à vendre la plus-value de l’exercice concret du pouvoir, et la survivance du lien avec les idéaux mobilisateurs. Nous rêvions, en campagne, pouvoir convaincre qu’en étant à la fois ici et là, critiques du système et réformateurs pragmatiques, nous pourrions faire le grand écart entre la conscience de la nécessité d’une vraie radicalité d’une partie de nos électeurs et la sensibilité « environnementaliste », gestionnaire et réformatrice d’une autre. Au bout du rêve, la sanction. Le 25 mai, la moitié de nos électeurs nous ont tourné le dos. À gauche, une partie conséquente d’entre eux a rejoint les rangs du PS et du PTB. Au centre et à droite, d’autres ont préféré la copie à l’original en renforçant le MR et en rejoignant le CDH.
Un message politique marqué par la peur de perdre
Notre bilan politique, s’il est honorable, n’a pas convaincu, pas plus que notre programme. En cause, sans doute, plus que le fond, notre manière de le porter. Nous n’avons réussi à dégager avec suffisamment de clarté ni le fil conducteur, ni la plus-value, ni les perspectives stratégiques de notre projet. Notre positionnement, depuis des années, et notamment en campagne, a été caractérisé par une prudence tactique permanente vis-à-vis des partis traditionnels et une agressivité et une disqualification mal comprises à l’égard du PTB/GO. Écolo, fier de ses réalisations concrètes, est en peine lorsqu’il s’agit de formuler politiquement et clairement les conditions de son développement politique, et le sens de ses alliances souhaitées ou exclues. La peur de perdre nos acquis (les « fameux » 20 %, et le ticket pour l’Olivier) et de ne pas compter aux yeux de l’autre, à la fois le partenaire politique avec lequel on pense pouvoir continuer à agir, et l’électorat dont on rêve séduire l’insaisissable profil, ont brisé l’élan et la radicalité dont notre projet se nourrit pourtant. A-t-on vraiment défendu notre programme fiscal ? A-t-on placé au cœur de notre campagne la dénonciation des logiques et des paradigmes productivistes qui continuent à prévaloir au sein d’autres formations politiques progressistes ? N’a-t-on pas raté une occasion d’intégrer les thématiques de notre tête de liste à l’Europe au sein de nos campagnes régionales et fédérale ? En voulant garder chez nous un électorat centriste ou libéral que la crise ramène naturellement à sa famille politique d’origine, n’a-t-on pas pris le risque de perdre une partie de notre capital électoral, à gauche cette fois ? Or comment financer nos politiques en période d’austérité, et avec une croissance qui ne risque pas d’augmenter (et qui ne doit pas augmenter) sans réforme fiscale progressiste ? Comment convaincre les 610 000 demandeurs d’emploi qu’ils ont une autre place que celle qu’on leur assigne actuellement sans débat de fond sur le partage du temps de travail, dans une économie qui supprime structurellement davantage d’emploi qu’elle peut en créer ? Avec quelles formations politiques imagine-t-on pouvoir mettre en place les réformes structurelles qu’appelle notre programme ? Ces débats-là, fondamentaux, ont été largement laissés de côté, sous prétexte de laisser les jeux « ouverts ». Or la politique est aussi affaire de symbole. Assumer les contraintes du réel ne peut signifier plier sur certains principes qui en organisent le cadre aujourd’hui et demain. La ratification du TSCG faisait partie de ces dossiers à haute valeur symbolique. À l’occasion de ce débat éminemment politique, nous avons opté pour un « oui mais » dont les conditions, d’ailleurs oubliées aujourd’hui, n’ont convaincu personne, à gauche. Ce choix a été compris, au mieux, comme une reculade opportuniste sur fond de lourde contradiction politique, au pire comme une allégeance aux logiques d’austérité dominantes.
Entre la 3e voie et la recomposition de la gauche
Au sein de notre parti, les uns rêvent d’une troisième voie, qui se situerait au-delà des axes gauche et droite, supposés obsolètes. Ils entretiennent l’illusion d’un consensus « centriste » parfois naïf, souvent mystificateur, idéologiquement légitimé par le partage d’un « diagnostic » commun : la préoccupation environnementale transcenderait tous les clivages parce qu’elle nous concerne toutes et tous. Cette approche, qui privilégie l’ontologie et la capacité gestionnaire au détriment de la dialectique politique, conduit à faire l’économie de stratégies d’alliance claire, ancrées dans les rapports de force économiques et sociaux actuels. Les autres se revendiquent clairement de l’héritage de la gauche et ont, en interne, perdu certains combats-clé ces dernières années, dont celui de la ratification du fameux traité budgétaire. Ces militants ont conscience que d’autres « pesanteurs » socio-politiques caractérisent « notre temps », et sont déterminantes à prendre en compte dans l’orientation stratégique à construire. Ils constatent, dans un de ces paradoxes que l’histoire nous rappelle parfois que la précarisation objective et subjective du plus grand nombre plutôt que d’affaiblir le système qui la génère, le voit se renforcer et se durcir, comme l’illustre à la caricature le nouveau gouvernement en place. Le renforcement des idéologies individualistes et conservatrices, la remise en cause permanente des fondements de la solidarité et des droits sociaux, sous couvert de « réforme », de « rigueur budgétaire » ou encore d’ « austérité », la tentation du repli identitaire, voilà quelques tendances « lourdes » qui font écho à l’augmentation des inégalités et à l’éclatement progressif de la cohésion sociale. Par l’horizon politique qu’elles dessinent – à droite toute ! –, elles désignent en creux la difficulté actuelle de la gauche à proposer une alternative globale, crédible et lisible. Et – ce n’est pas négligeable – elles renvoient au second rang les préoccupations environnementales et climatiques. Ces mêmes militants s’inquiètent de la montée de la colère et des désespérances, lit des populismes et des radicalismes les plus inquiétants, en même temps qu’ils voient se distiller le poison de l’intolérance et de l’amalgame, dont les citoyens d’origine musulmane sont aujourd’hui plus que d’autres les premières victimes. Pour tous ceux-là, le projet écologique doit intégrer ces évolutions socio-politiques, non pas pour se replier sur son hypothétique et spécifique « radicalité », mais bien pour repenser ses alliances à gauche, jeter des ponts à la fois avec ceux qui partagent nos valeurs et nos combats en terme de justice sociale, d’égalité des droits, de défense des droits des travailleurs (une partie conséquente du PS, les syndicats et la gauche radicale) et cette mouvance associative qui, à l’écoute de « questions aujourd’hui silencieuses », se bat pour les droits « culturels » et sociaux.