Politique
La décomposition du monde
12.09.2011
L’arrière d’un écran de télévision restera la dernière représentation de Ben Laden. Quelques semaines plus tard, la photo semble tirée d’un film noir de la grande époque hollywoodienne. La noirceur de l’image en fait oublier les couleurs : il n’y a que des gris blafards et des ombres accusatrices. Un visage hagard et des mains menottées : un homme qui aspirait à la plus haute fonction dans son pays (mais était-on bien sûr ?) succombe à ses faiblesses (sinon à la violence primale, la justice le dira) et avoue en un seul cliché qu’il n’a pas la capacité d’être ce qu’il voulait être. Cette fois, les pixels fixent la double décomposition d’une certaine conception des rapports entre hommes et femmes et d’une manière d’exercer le pouvoir. Avant même le déclenchement de la dernière crise – incarnée comme toujours par le regard vide d’un trader face à la chute des cours – il y avait eu le printemps des indignés à travers l’Europe de l’austérité. Ici l’image de la collectivité reprenait des couleurs bigarrées, incertaines, ambiguës parfois comme dans toutes les révoltes qui naissent dans la spontanéité. Reste l’image qui hante la nuit, celle d’un tueur sorti d’une BD cauchemardesque bardé d’uniformes et d’armes, gavé de discours racistes, ceux qui, par petites doses, émaillent quotidiennement notre univers et annoncent, eux, la décomposition de l’âme. Celle du monde se poursuit quotidiennement dans l’approfondissement de la crise des États arnaqués par les banques. À la violence sans borne d’un capitalisme exsangue répond celle des banlieues anglaises. Une image parle encore : un jeune homme, le visage caché, se prépare au lancer du pavé, sur son tee-shirt, un slogan : « Adidas »…