Politique
La crise du covid-19 ou l’impuissance parlementaire
05.07.2022
Cet article a paru dans le n°119 de Politique (mai 2022).
Alors que la 7e réforme de l’État fait son bonhomme de chemin et que la crise du covid-19 a mis en lumière la défiance dans le système représentatif actuel, faut-il réinventer le système ? Outre le référendum, quelles formes positives le débat démocratique pourrait-il prendre dans l’espace public ?
ANNE-EMMANUELLE BOURGAUX : On n’a pas besoin de réinventer la roue. S’il y a une chose que la crise sanitaire a montré, c’est bien l’importance de faire fonctionner ce qui existe déjà. Je crois au référendum et aux panels citoyens, mais je crois aussi à la revalorisation des parlementaires. On a tendance à penser notre histoire constitutionnelle de façon binaire. On se dit qu’à la fondation de la Belgique en 1830, les membres du Congrès national[1.Le Congrès national, première assemblée législative et constituante de la Belgique indépendante, fut composé en novembre 1830 de membres élus par les citoyens de plus de 25 ans payant un certain cens (impôt) ou exerçant certaines professions (magistrat, avocat, prêtre, notaire, officier, …). Soit 46 099 électeurs sur environ 3 225 000 habitants.] étaient des élus censitaires, que ce n’était pas démocratique, et puis qu’à partir de 1919-1921[2.Aux élections de 1919, le droit de vote fut élargi à tous les hommes âgés de plus de 21 ans selon le principe « un homme, une voix ». En 1921, une loi accorda aux femmes le droit de vote aux élections communales et le droit d’être élues au Parlement.], il y a eu le suffrage universel et qu’on est devenu démocratique. Ce qui devrait nous mettre la puce à l’oreille quant à la non-validité de cette lecture historique, c’est qu’en 1919-1921 ce n’était pas le suffrage universel, c’était le suffrage masculin. Donc, ce schéma « magique » selon lequel on aurait basculé dans la démocratie au début du XXe siècle ne résiste pas à l’analyse. Si on l’approfondit, on dit alors que c’est en 1948[3.Le droit de vote a été accordé à toutes les femmes âgées de plus de 21 ans par la loi du 27 mars 1948.] qu’on est devenu une démocratie. Donc, on ne serait une démocratie que depuis à peine plus d’un demi-siècle ? On sent bien que dans cette présentation de nous-mêmes, quelque chose ne tient pas la route.
Et ce qui ne tient pas non plus la route, c’est ceci : en 1830, les membres du Congrès national sont, bien sûr, des élitistes, des membres de la classe possédante. Mais il y a une part démocratique à ce modèle constitutionnel : la représentation parlementaire, à l’époque, n’était pas pensée comme étant en vase clos. À force de reléguer les Congressistes dans la non-démocratie, on oublie les vertus démocratiques du modèle, la représentation parlementaire n’était pas censée opérer toute seule, en vase clos. Les fenêtres du Palais de la Nation n’étaient pas fermées. On en a de nombreux témoignages : une presse politique très active créait une interaction entre ce qui se passait au Palais de la Nation et l’extérieur, dans une forme de dialogue permanent. Quand les partis politiques se créent dans le courant du XIXe siècle, ils n’étaient pas ces espèces de – appelons un chat un chat – coteries endogames dans lesquelles aujourd’hui on trouve beaucoup de membres du personnel politique et de mandataires mais de moins en moins de militants. Donc, quand on dit que la représentation parlementaire en 1830 est aristocratique, élitiste, on n’a pas tout à fait raison. Quand on lit les comptes rendus parlementaires, on constate que c’est maintenant que les élus sont le plus coupés de leur base. À l’époque, il y avait cette idée d’interaction : l’opinion publique éclairée, notamment grâce à une presse plus nombreuse et plus active, pouvait intervenir et interagir avec ce qui se faisait au sein de l’assemblée. Dans une « réforme de l’État citoyenne[4. Proposition détaillée d’Anne-Emmanuelle Bourgaux d’une réforme de la Constitution augmentant la capacité des citoyens et citoyennes à participer à la prise de décision publique – on peut la consulter en détail ici. Voir également l’article de Thibault Gaudin publié sur le site de Politique.] », la première chose qu’il faudrait obtenir, c’est que les parlementaires reviennent à la manœuvre. Évidemment, ne soyons pas naïfs, on sait que les arbitrages politiques en Belgique sont de plus en plus compliqués et que, du coup, la discipline de parti et le clivage majorité-opposition sont de plus en plus tyranniques. Mais il n’en demeure pas moins que si on veut que les citoyens – et en particulier les jeunes – se sentent concernés par la politique et impliqués, il faut revaloriser ce qui est normalement leur premier relais politique, à savoir les parlementaires. Bien sûr, les parlementaires obéiront toujours à une certaine logique partisane, à une logique majorité-opposition, mais il faut que les élus, et singulièrement les présidents d’assemblée, parviennent à retrouver un rapport de forces favorable envers, à la fois, les présidents de parti et les exécutifs.
La gestion de la crise du covid-19 nous apprend beaucoup à ce propos : elle nous a montré l’impuissance des parlementaires et des présidents d’assemblée. Or il n’y a pas de fatalité. On sait bien qui fait la pluie et le beau temps dans la crise du covid : c’est le Codeco[5. Comité de concertation qui réunit le « noyau » du gouvernement fédéral et les ministres-présidents des entités fédérées.]. Et au sein du Codeco, on ne voit que des ministres, voire des super-ministres. Mais qu’est-ce qui empêcherait que des présidents d’assemblées soient associés ? Je ne comprends pas. En revanche, ce que je comprends bien, c’est la logique de recrutement endogame. Dans les partis, ce sont les présidents (et cela aussi pèche en termes de fonctionnement démocratique) qui décident que telle ou telle personne devient ministre. Et le perchoir d’assemblée est pour le moment, dans la carrière, considéré comme moins important qu’un poste de ministre. De plus en plus, il y a une logique de carrière au sein des partis politiques qui ne correspond pas aux données institutionnelles. Dans un régime démocratique, ce sont normalement les présidents d’assemblée qui devraient être les plus importants. Dans notre Constitution, ceux qui ont la compétence de principe, ce sont les parlements ; les exécutifs ont une compétence subsidiaire. Mais dans la carrière politique, c’est l’inverse : le must, c’est d’être ministre. Et la présidence d’assemblée est souvent un sas entre un poste de ministre et la retraite. Cette logique interne et partisane, dont on parle si peu et qui pourtant a tant de conséquences, doit changer.
Vous évoquez la méfiance des élites envers les citoyens et les citoyennes, considérées comme n’étant pas capables par elles-mêmes d’être parties prenantes d’un processus démocratique. Dans un débat démocratique où tout le monde aurait une part à prendre, quels seraient le rôle et la place des experts et des expertes (universitaires, de la société civile, du monde associatif) ?
ANNE-EMMANUELLE BOURGAUX : Ce ne sont pas les experts qui doivent décider. Pourquoi est-ce que j’interviens, dès lors, dans les médias ? N’y a-t-il pas là une contradiction ? Je suis intervenue lors de la crise du covid-19 parce que je trouvais qu’on n’entendait que des experts de santé et qu’à un moment donné, il fallait rappeler que le principe de précaution sanitaire était peut-être important, mais qu’il y avait aussi d’autres principes, notamment le principe de précaution constitutionnelle. Une autre raison pour laquelle j’interviens, c’est parce que je constate à quel point il est difficile pour les citoyens de comprendre le modèle, de comprendre qui décide. Auparavant, dans le modèle classique de démocratie représentative, même les plus aristocrates, les plus élitaires des congressistes ou des élus belges ne pensaient pas que c’était la Nation, c’est-à-dire le personnel politique, recroquevillée sur elle-même qui devait décider. Il y avait cette idée d’interaction, d’aller-retour avec l’opinion publique éclairée, nourrie par la presse, par les pétitions, par le droit de manifester. On ne pensait pas que les citoyens devaient être atones, coupés de tout rôle politique. Moi je crois à une citoyenneté plus défensive, qui n’est pas au centre du Parlement mais qui veille, qui s’exprime, quand elle manifeste, quand elle signe des pétitions. On doit promouvoir la citoyenneté directe, mais aussi cette citoyenneté défensive qu’on doit rénover et revaloriser.
Or, pour que cette citoyenneté défensive s’exerce, il faut qu’elle comprenne ce qui se passe. Je ne me sens pas tant comme une experte qui va décider du chemin, je me sens comme une experte qui va dire : « Le chemin est ici et les bordures sont là ; après, la décision vous appartient. » La première condition d’exercice de la citoyenneté, c’est la compréhension. La complexité belge a atteint un tel stade que la citoyenneté belge peine à s’exprimer, même quand elle est seulement défensive, même quand elle est seulement « négative ». Charles Woeste[6. Avocat et homme politique belge d’origine prussienne (1837-1922), héraut intraitable du conservatisme catholique ultra de 1874 à 1922, ennemi juré du mouvement ouvrier et de la gauche libérale.], un des hommes politiques les plus conservateurs qu’ait connus ce pays (il parvenait même à être encore contre le suffrage universel masculin en 1919-1921 et était évidemment contre la consultation populaire et le référendum), incarne en quelque sorte l’exemple type des réactions conservatrices dont ce pays a été capable. Mais il y a plus efficace encore que Charles Woeste pour mettre un couvercle sur la citoyenneté des Belges : c’est la complexité. Non seulement la complexité du fédéralisme belge, mais aussi la complexité de la prise de décision (on l’a vu dans la gestion de la pandémie). On ne comprend plus très bien qui décide de quoi, ce qui ouvre la porte à des décisions différentes de chaque entité, comme on l’a vu en matière de culture. Ce qu’on entend, c’est : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre. » Pour que la citoyenneté s’exerce, il faut qu’elle ait un interlocuteur, un niveau de pouvoir sur lequel buter. Si on ne parvient pas à identifier ce niveau de pouvoir, et si au sein de ce niveau de pouvoir on ne sait pas très bien qui fait quoi, alors, on peut dire que la citoyenneté existe sur le papier, mais en réalité elle n’existe pas. En tant que juriste, mon rôle n’est pas de dire au citoyen : « Vous devez penser ceci ou cela. » Mon rôle est de l’aider à acquérir les outils pour comprendre ce qui se passe, à chercher la vérité et à exprimer son opinion. Les outils existent, mais la complexité est telle qu’il est difficile de les activer.
Lors du mouvement des « gilets jaunes », vous aviez fait se rencontrer des « gilets jaunes » et des juristes, des magistrats. Que retenir de cette expérience ?
ANNE-EMMANUELLE BOURGAUX : Il y avait une demande citoyenne très forte et un conflit assez tendu. En tant que juriste, je me suis dit : « Ces gilets jaunes, sur leurs ronds-points, ça tourne en rond et ça sent le désespoir. Il y a sûrement quelque chose à faire avec l’université. » Parce que l’université, du point de vue des gilets jaunes, c’est une institution, mais par rapport au politique ou à la magistrature, c’est aussi un contre-pouvoir. Dans la recherche, on est autonome et indépendant d’eux et on doit pouvoir décoder et critiquer ce qu’ils font. À partir de ce positionnement tiers – une institution, mais pas tout à fait comme les autres –, je me suis dit : « Invitons ces gilets jaunes à quitter leurs ronds-points, avec comme objectif de les initier à la Constitution (parce qu’il est inutile de réinventer la roue), de leur faire comprendre qu’il existe des moyens, des outils constitutionnels. » Je ne voulais pas leur dire ce qu’ils devaient penser, je voulais leur montrer qu’il y avait moyen d’apprendre. Ils se sentaient écrasés par la complexité de la politique, ils avaient du mal à trouver des repères, donc il y avait moyen d’agir. Par ailleurs, on sait que quand les gens se parlent, ça produit toujours des effets, au-delà des clichés de part et d’autre. Les clichés des gilets jaunes sur « ces gouvernants, ces dominants » autant que les clichés des dominants eux-mêmes. J’étais prise entre deux feux : il y avait aussi les clichés des collègues, des juristes, des magistrats, même des journalistes, me concernant. À la lecture des gilets jaunes, qui voyaient tous ceux qui n’étaient pas sur les ronds-points comme des possédants complices, répondait la vision de ces tenants des situations installées, qui voyaient les gilets jaunes comme des nouveaux sans-culotte qui allaient guillotiner le roi. Mais les clichés, ça se travaille. On a mis ensemble dans un lieu tiers, donc à l’université, des gilets jaunes et ceux qu’ils voyaient comme des tenants de l’ordre établi (des magistrats, des avocats, mais aussi des journalistes et des syndicalistes), en les invitant à la confrontation, donc au dialogue.
Et c’était vraiment incroyable : dans le dialogue, les clichés se déconstruisent. Les gilets jaunes sortaient de là en se disant que tous les juristes n’étaient pas des personnes répressives vouées à asservir le peuple, et les magistrats et les avocats voyaient bien que les gilets jaunes n’étaient pas des hordes sanguinaires. On a mené un travail de recherche important sur les déclarations de révision de la Constitution, une de mes plus grandes satisfactions. Un de ces gilets jaunes avait travaillé à repérer qui avait voté quoi, et il a constaté que la possibilité de référendum d’initiative citoyenne, revendiqué par les gilets jaunes, avait été votée au sein des Chambres lors des déclarations de révision. Le gilet jaune qui avait fait cette recherche s’est retrouvé sur un marché face à un mandataire qui lui disait : « Je l’ai voté. » Il a pu lui répondre : « Ce n’est pas vrai, ton parti politique a voté contre. Pourquoi racontes-tu des bêtises ? » Je me suis dit : « Voilà, c’est pacifique, c’est utiliser les moyens de la démocratie, et même de la démocratie représentative. » C’est très simple : on va lire les comptes rendus des travaux parlementaires, on voit qui fait quoi et quand on va trouver les mandataires en période préélectorale, on demande la reddition des comptes. Et cette demande est pacifique, respectueuse – les parlementaires sont quand même des gens qui se dévouent pour le bien public. La démocratie, pour moi, c’est toujours pacifique. Cela, c’est un mécanisme simple, rien que pour pouvoir nourrir une « citoyenneté électorale ». Modestement, parce que c’était centré sur le Hainaut, j’espère que cela a contribué à pacifier une confrontation potentiellement violente et à nourrir cette indignation par le savoir – d’où le passage par l’université. La promesse que fait la connaissance, ce n’est pas d’éteindre le feu de l’indignation, ni de souffler dessus pour l’attiser, mais seulement de l’alimenter.
On a souvent soulevé des éléments qui faussent le débat public, notamment sur les mesures covid, en particulier la toxicité des échanges sur les réseaux sociaux. En avez-vous perçu les effets ? Et plus spécifiquement, en tant que femme ?
ANNE-EMMANUELLE BOURGAUX : Je suis en grève des réseaux sociaux. À un moment donné, la violence des échanges a été telle que je n’ai pas pu le supporter. Tout mon travail et tout mon objectif de vie, c’est l’inverse, c’est créer des ponts, comme avec les gilets jaunes, c’est faire en sorte qu’on se parle. Au fond, quand on prend le temps de se parler et de s’écouter de manière pacifique, quand on déconstruit les clichés, il y a toujours un minimum minimorum sur lequel on peut se retrouver. Sur les réseaux sociaux, c’était l’inverse. J’ai même reçu des menaces de mort, par des courriers anonymes. Je n’ai pas l’impression d’avoir cédé à ces menaces, car on voyait bien qu’elles émanaient de gens qui n’étaient pas très clairs dans leur tête. Mais j’ai privilégié les espaces où il y a moyen de discuter. Sur les réseaux sociaux, souvent, ce ne sont plus des discussions, ce sont des mises en cause. Je n’avais plus l’impression d’y avoir l’espace pour mener des discussions. Les réseaux sociaux ont la profondeur de l’écrit mais l’immédiateté de l’oral. Donc, cela fait des dégâts terribles. On peut aller aussi vite qu’à l’oral, mais pour notre génération, en tout cas, l’écrit semble plus important, il laisse plus de traces. On n’a pas été formé à cela. C’est comme si on nous avait mis en mains un bazooka qu’on ne sait pas manipuler. Donc, on se fait mal les uns aux autres en écrivant, avec cette profondeur qu’on attribue encore à l’écrit dans une société. En plus, il y a une question de temps : il aurait fallu pouvoir prendre le temps, à chaque fois, de déconstruire les discours, de pointer les inexactitudes. Si ce que j’écris sur les réseaux sociaux contribue à la radicalisation, à la binarisation et à la conflictualité du monde, c’est l’inverse de ce que je veux produire. À ceux qui m’ont menacée de mort, je n’ai pas pu répondre, hélas, parce qu’ils étaient anonymes, mais j’aurais aimé pouvoir leur dire : « Voilà, vous avez gagné un prix, je vous offre une formation gratuite et accélérée en arrêtés royaux et arrêtés ministériels covid pour vous permettre de suivre tout ce qui a l’air de vous intéresser au plus haut point. »
Est-ce que le fait d’être une femme a joué un rôle ? Oui, mais plutôt dans les médias. Même si les journalistes sont de plus en plus attentifs à la pluralité, je constate que pour avoir la parole dans la presse en tant que femme, il faut vraiment être hyper-spécialisée. Quand vous parvenez à avoir un sujet sur lequel vous vous profilez, vous devenez une interlocutrice des médias. En revanche, il y a des experts qu’on consulte quand on ne sait pas très bien qui appeler, des figures intellectuelles, des baromètres de ce qu’il faut penser, tendanciellement à la mode. Et ceux-là, ce ne sont jamais des femmes. Les femmes, comme dans la vie professionnelle, elles doivent montrer deux fois plus de compétence, être deux fois plus au taquet pour être acceptées comme interlocutrices valides sur tel ou tel sujet. Et je constate aussi que ce sont des moments fugaces. À un certain point, j’étais très active à propos du vote électronique, puis sur la gestion sanitaire, et c’étaient des présences médiatiques par à-coups, des montagnes russes.
Dans ma pratique, les réseaux sociaux ont certainement contribué à informer. Mais à un certain moment, je ne suis plus arrivée à contribuer à la pacification du débat et à la construction de ponts au-delà des clivages. En défendant la position qui était la mienne, une position médiane (à savoir que la question n’est pas tant « covid safe ticket ou non », « obligation vaccinale ou non », mais plutôt : « du point de vue de la procédure, quelles sont les garanties démocratiques dans cette gestion du covid-19 ? »), je m’exposais aux critiques des deux camps. Je disais aux uns : « Parce qu’on lutte contre le covid, donc qu’on poursuit un but légitime, tous les moyens sont-ils bons ? C’est un peu court. Non, la fin ne justifie pas toujours les moyens. » Et je disais aux autres : « Il faut prendre au sérieux cet objectif sanitaire, simplement parce qu’on n’est pas égaux par rapport au covid, qu’il y a des personnes fragiles et que l’accès aux soins de santé n’est pas équitable. » De part et d’autre, il y a un terrain d’entente, mais chacun doit se remettre en question. Les réseaux sociaux sont trop immédiats et trop superficiels pour permettre à chacun de sortir de ses tranchées, mais il y a d’autres moyens, notamment l’écriture, les rencontres, les débats, et c’est la bonne nouvelle. La pandémie – et les confinements associés – a eu pour effet de limiter le débat public aux réseaux sociaux et c’est ainsi qu’il est devenu violent, avec la gravité de l’écrit et l’immédiateté de l’oral. Laisser les gens se rassembler, se voir, se parler face à face, c’est primordial en termes démocratiques, c’est la première cellule de la démocratie. C’est quand les gens se voient et échangent, dans la vraie vie, physiquement, que le lien d’humanité peut se construire et se nouer. On l’a vu, il ne se noue pas sur les plateformes. La démocratie, ce sont les associations, les sections de partis politiques, les mouvements. Ils ont été mis sous cloche, et ça a fait des dégâts.
Entretien réalisé par Thibault Scohier le 4 février 2022 et retranscrit par Jean-Jacques Jespers.
(Image de la vignette et dans l’article sous CC-BY-NC-SA 2.0 ; photographie des travées du Sénat en novembre 2017, prise par Antonio Ponte.)