Politique
La Cour constitutionnelle défavorable à un enseignement supérieur plus accessible ?
25.04.2013
Dans un récent arrêt, la Cour chargée de vérifier la conformité des textes législatifs avec la Constitution a rejeté un recours de la Fef et, par-là, validé le « décret Marcourt » (ou « décret Wendy ») relatif à la gratuité et à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Mais les motivations et l’argumentation de la Cour interpellent.
Par un récent arrêt .arrêt 52/2013, .consultable en ligne , la Cour constitutionnelle belge vient de valider un décret de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) du 6 octobre 2011. Selon nous, cet arrêt questionne fortement toute avancée en matière d’accessibilité depuis 1983 dans l’enseignement supérieur. Revenons, en quelques lignes, sur la genèse de cette décision et sur les conséquences qu’elle pourrait avoir par la suite.
Rétroactes
Le 19 juillet 2010, le Parlement de la FWB adoptait un décret relatif à la gratuité et à la démocratisation de l’enseignement supérieur. Si la Fédération des étudiants francophones (Fef) et le ministre se disputent la paternité de ce décret (la première l’appelle le décret Wendy du nom de sa campagne menée avant le décret, le second, le décret Marcourt), et malgré les critiques que les étudiants y apportent, il n’empêche, ce décret constitue une avancée majeure pour les étudiants de la FWB : gratuité du minerval pour les boursiers, diminution du minerval pour les étudiants de « condition modeste », gel du minerval (non-indexation) pour les autres étudiants, mise en ligne « gratuite » des supports de cours obligatoires, et impression gratuite de ces supports de cours pour le boursiers. Les mesures concernant les frais d’inscriptions sont entrées en application dès la rentrée académique 2010-2011. En ce qui concerne les supports de cours, la mise à disposition on line et l’impression gratuite des supports de cours pour le boursiers sont entrés en vigueur pour les Bac 1 en 2010-2011 et cela devait s’étendre dès l’année suivante (2011-2012) à l’ensemble des étudiants. Cependant, dès le début, certaines universités ne l’ont pas entendu de cette oreille. Certains services sociaux universitaires s’agitent en coulisse contre la gratuité du minerval pour les étudiants boursiers et contre la mise à disposition on line des syllabus. Ils jouent sur la mauvaise rédaction (il faut le reconnaître) du décret du 19 juillet 2010 qui évoque les supports de cours obligatoires. Que signifie « obligatoire », demandent-ils au ministre ? Autre gros écueil : les universités s’estiment lésées car aucun financement n’est prévu pour donner gratuitement les syllabus aux étudiants boursiers. Marcourt édicte, et les universités doivent délier la bourse.
La pression sur le ministre est forte, ce qui le pousse à revoir le décret. Ce sera chose faite le 6 octobre 2011. Le nouveau décret prévoit un étalement dans le temps de la mesure. Ce n’est que lors de la rentrée académique 2013-2014 que les étudiants de master recevront leurs syllabus via Internet et que les boursiers en masters les recevront en papier gratuitement. Pour préciser les supports de cours qui devront être mis à disposition des étudiants, le nouveau décret précise que c’est le Conseil d’administration (pour les universités) ou pédagogique (pour les Hautes écoles et les Ecoles supérieures des arts) qui fixe la liste des supports de cours à rendre accessibles. Les autres mesures du décret du 19 juillet 2010 demeurent. Fâchée, la FEF lance une campagne de mobilisation une campagne de mobilisation et après le vote du décret, dépose un recours devant la Cour constitutionnelle.
Argumentation
Pour fonder son recours, la FEF se base essentiellement sur l’article 13 du Pacte de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (dit Pacte de New-York), qui stipule que « l’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité (…), notamment par l’instauration progressive de la gratuité ». La Cour constitutionnelle a reconnu en 1992 .arrêt 33/92, .consultable en ligne un effet standstill à cette disposition : « L’article 13 (…) du Pacte n’a donc pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne et, en soi, ne fait pas naître un droit à l’accès gratuit à l’enseignement supérieur. Cette disposition s’oppose toutefois à ce que la Belgique, après l’entrée en vigueur du Pacte à son égard – le 6 juillet 1983 -, prenne des mesures qui iraient à l’encontre de l’objectif d’une instauration progressive de l’égalité d’accès à l’enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, compte tenu de la situation des finances publiques ».Cour Constitutionnelle, 33/1992, p. 29. Dans d’autres arrêts ultérieurs, la Cour a maintenu cette position (voir par exemple l’arrêt .56/2008). Les arguments de la Fef dans cette affaire étaient doubles. D’une part, il s’agirait d’un recul dans les droits acquis des étudiants. En effet, les étudiants en master (et plus spécifiquement les quelques milliers de boursiers en master) voient un droit acquis qui allait dans le sens de l’instauration progressive de la gratuité (à savoir la mise on line des supports de cours et surtout la mise à disposition gratuite d’une version papier pour les boursiers) remis en cause. D’autre part, le fait que la liste des supports de cours à mettre à disposition soit fixée par un organe de l’institution d’enseignement supérieur, permettrait de réduire ce droit à néant : une institution peut valablement décider que cette liste de supports de cours sera totalement vide. Il s’agit donc d’un recul sur la voie de l’instauration progressive de la gratuité.
L’arrêt
Le 18 avril 2013, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt rejetant le recours et validant par là le décret. Nous n’allons pas polémiquer sur le résultat de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. En revanche, ce qui nous semble davantage surprenant, est le raisonnement mis en place pour arriver à ce rejet. C’est (devenu) une habitude pour les arrêts de cette juridiction, la motivation et l’argumentation sont plutôt brèves et pour le moins étonnantes : « Le 21 juillet 1983, il n’existait pas d’obligation pour les établissements d’enseignement supérieur (…) de mettre des « supports de cours » à la disposition des étudiants régulièrement inscrits via leur intranet, ni d’obligation (…) de fournir une version imprimée de ces « supports de cours » .aux étudiants boursiers.. De telles obligations n’existent, au profit des étudiants inscrits pour suivre les années d’étude d’un deuxième cycle, que depuis le 15 septembre 2011 (…). .Cette mesure. ne peut donc être considérée comme une mesure portant atteinte à l’objectif de l’instauration progressive de la gratuité (…). » Cour constitutionnelle, 53/2013, p. 10-11 En résumé, la Cour dit ceci : retirer une disposition qui n’existait pas en 1983 ne porte pas atteinte à l’instauration progressive de la gratuité. Sous-entendu : si la décision ne rend pas l’enseignement moins accessible que ce qu’il n’était en 1983, pas de problème. Ce raisonnement nous paraît très dangereux pour toutes les avancées sur le chemin de l’instauration progressive de la gratuité dans le sens du Pacte de New-York. Prenons un exemple plus flagrant : si le gouvernement de la FWB décidait de supprimer la gratuité du minerval pour les étudiants boursiers (mesure d’application lors de l’année académique 2010-2011), le raisonnement tenu ici par la Cour constitutionnelle serait à notre sens scandaleux. Dans la lignée de l’arrêt 53/2013, elle tiendrait le raisonnement suivant : la gratuité du minerval pour les étudiants boursiers n’existait pas au moment de l’entrée en vigueur du Pacte de New-York pour la Belgique (1983). Elle est seulement née en 2010. Cette mesure, qui va clairement dans le sens d’atteindre l’objectif d’instauration progressive de la gratuité (puisque l’inscription est totalement gratuite pour les boursiers), peut être retirée sans violer l’obligation de tendre vers la gratuité car elle ne rend pas l’enseignement supérieur moins accessible que la situation de 1983. Ce raisonnement fallacieux revient à donner carte blanche au gouvernement de la FWB pour remettre toute avancée sociale (en termes d’accessibilité financière des études supérieures) en cause. De quoi donner des sueurs froides aux étudiants et à leurs représentants quand on connaît l’importance du facteur socio-économique dans l’accès à l’enseignement supérieur. Une attitude à l’antipode de ce qu’il peut se passer dans d’autres États européens, comme au Portugal, où la Cour constitutionnelle n’a pas hésité à sanctionner une partie du budget. Au final, si la Cour constitutionnelle (belge) confirme cette jurisprudence, elle indique clairement qu’elle ne sera d’aucune utilité pour tous ceux qui s’opposeraient à la régression sociale et à la restriction financière de l’accès à l’enseignement supérieur.