Politique
L’éclectisme du Montois Di Rupo
02.12.2009
L’appel de Di Rupo a une vote idéologique («pas de coalition avec le MR») aux élections de juin 2009 n’est pas à interpréter comme un signe de retour à une identité sociale, ouvrière, forte au PS. Dans son fief, le président du Parti socialiste a résolument fait le choix de la modernité. Sans négliger la proximité avec les «gens», il a surtout misé sur la culture et le monde académique.
Une fois encore, la fin de la domination du PS sur la Wallonie est postposée. En l’occurrence, c’est plutôt la fin de la domination de Didier Reynders sur le MR qui serait à l’ordre du jour – mais historiquement, l’évènement est de moindre importance. Vincent de Coorebyter, directeur du CRISP, explique qu’il ne croit pas que les sondages qui prédisaient l’effondrement du PS étaient erronés ou mensongers : pour lui, le coup de poker d’Elio Di Rupo, à quelques jours du scrutin, a réellement retourné une partie de l’électorat, suffisante pour infirmer les conclusions tirées des avis des sondés. Ce sera le MR ou le PS, mais pas les deux. Attitude radicalement différente de celle qui a suivi d’autres scrutins, par exemple les communales de 2000, où à Mons et ailleurs, le PS avait ouvert sa majorité au MR, alors qu’il pouvait s’en passer. La proximité idéologique entre le social-libéralisme des consolidations stratégiques et le libéralisme social de Louis Michel et de Richard Miller n’est plus de mise, Fortis et la crise sont passés par là. Attitude aussi insolite dans le contexte de la vie politique belge, où toutes les coalitions sont a priori réputées possibles, à l’exception de celles qui intégreraient l’extrême droite. Et l’électorat wallon a réagi positivement à ce coup de poker, ce qui appelle des questions de fond : c’est en réactivant le clivage gauche/droite, dont on nous répète sur tous les tons qu’il a fait son temps, que le PS a sauvé sa peau. Réactivé symboliquement, bien sûr, et ce symbole ne vaut pas pour le gouvernement fédéral, où MR et PS poursuivent leur cohabitation, mais cela signifie que celles et ceux que ce retournement a séduit-e-s éprouvent au moins de la nostalgie à l’égard de ce critère proclamé désuet.
Identité sociale
On touche ici du doigt la rémanence de la stratification sociale typique du vieux sillon industriel wallon ; l’identité sociale de ce sillon a été structurée par le mouvement ouvrier, et bien que beaucoup d’eau ait coulé sous les ponts depuis l’époque où cette identité s’est forgée, il faut sans doute se dire qu’il en reste quelque chose aujourd’hui – sous la forme d’une réceptibilité à la symbolique de la gauche, notamment dans le Borinage.
Le coup de dés d’Elio Di Rupo n’entend pour autant pas renouer avec les antécédents qui ont vu le mouvement ouvrier wallon coupler revendication d’autonomie régionale et réformes de structure, l’époque est décidément autre. Pas d’ambition d’hégémonie sociopolitique derrière cette coupure, pas d’appel aux forces sociales qui pourraient en être le contrefort ; l’Olivier est simplement une coalition qui regroupe des forces politiques d’accord entre elles pour ne pas mettre en œuvre les mesures brutales voulues par le MR de Reynders afin de sauver les taux de profit. On reste donc loin des tentatives passées de regrouper les forces progressistes afin de constituer une majorité wallonne porteuse d’un projet de développement alternatif – et le bain de sang social prédit en cas de victoire du MR illustre en creux ce manque : « sans nous, ce serait pire ». Ce qui est probablement vrai, mais peu ambitieux. En d’autres termes, la majorité politique qui sort des urnes ne se pense pas comme porteuse des intérêts d’un bloc social dont la cohérence est déjà présente, ou qu’il convient de construire. Il faut aussi dire que les partenaires du PS au sein de l’Olivier s’accommodent très volontiers de ce creux. Le CDH a fait son fond de commerce de l’idée que l’humanisme dont il se revendique n’est ni de gauche, ni de droite – il est au-delà, et ce positionnement est essentiel pour lui. La question concerne davantage Ecolo : on aurait pu imaginer Ecolo concurrençant le PS sur le terrain de la défense des victimes de la crise. Tout se passe plutôt comme si Ecolo avait abandonné ce terrain au PS, en mettant presqu’exclusivement l’accent sur ce qui fait sa spécificité – la défense de l’environnement, le réchauffement climatique, et, plus récemment, l’opposition au nucléaire. Avec une exception heureusement assumée, à propos des sans-papiers et de l’ouverture à l’immigration. Ecolo répète qu’il fonde son engagement sur des valeurs de gauche, mais ne conteste pas au PS le statut, que celui-ci revendique, d’expression légitime de « la gauche ». Vraisemblablement pour deux raisons : d’une part, chat échaudé craint l’eau froide, parce que l’épisode des convergences de gauche d’il y a une dizaine d’années a laissé des traces douloureuses (le PS avait instrumentalisé l’accord pour cantonner Ecolo dans la position d’une force d’appoint, par ailleurs mouillée par des décisions gouvernementales impopulaires) ; moins anecdotiquement, parce qu’Ecolo ne dispose pas des réseaux sociaux lui permettant de s’investir pleinement comme relais du monde du travail (on ne trouve que peu de délégués FGTB militants d’Ecolo, encore moins de responsables de centrales FGTB, et la présence plus affirmée d’écologistes labelisés à la CSC n’est pas suffisante pour infirmer le diagnostic), ni davantage du lien plus direct avec les laissés pour compte assuré par les permanences sociales du PS.
Di Rupo, éponge politique
A Mons, le résultat des élections régionales de juin 2009 va au-delà du diagnostic général pour la Wallonie : le PS ne s’est pas contenté de limiter la casse, il a progressé. Malgré la version locale des affaires : Didier Donfut, épinglé pour son cumul de revenus, légal mais immoral, présent sur la liste PS faute de pouvoir s’en retirer, élu, puis démissionnaire… Et pourtant, l’importance de ses émoluments, dans un arrondissement réellement pauvre, où les chômeurs sont légion, a fait figure de provocation. Oui, mais sur l’arrondissement de Mons (la Ville, le Borinage et le canton de Lens, plus picard que borain), le PS passe de 45,33 % en 2004 à 47,05 % en 2009 (+ 1,73 %). L’autre gagnant des élections est Ecolo, comme partout, qui passe de 7,16 à 13,35 % (+ 6,19 %), alors que le MR, qui passe de 18,13 à 17,27 %, perd 0,86 %, et le CDH, de 13,22 à 12,69, perd 0,53 %. Les pertes les plus massives sont celles du FN, – 7,17 % : de 10,75 à 3,79 %, soit un effondrement.
Ces résultats ne s’interprètent pas facilement : les mouvements de voix les plus importants concernent Ecolo, en gain, et le FN, en perte. Personne ne pense à un simple transfert, mais à un jeu bien plus largement rebattu, avec des glissements de voix entre toutes les formations. Ces glissements sont à corréler avec une réelle qualité du président du PS, qui a quelque chose d’une éponge politique : il manifeste une étonnante capacité d’assimilation de diverses expériences politiques, qu’il s’efforce à l’occasion de reproduire, avec des fortunes diverses. Ainsi, il est revenu d’un voyage à Porto Alegre, au forum social mondial, porteur de l’idée de conseils de participation, formes de démocratie locale et directe, mis en œuvre dans quelques anciennes communes de sa ville ; cet épisode a fait long feu, notamment parce que les prérogatives de ces conseils de participation ne furent jamais clairement définies – mais la tentative a mobilisé, modestement certes, mais y compris dans des quartiers populaires, comme à Jemappes et à Flénu.
Le pari de la modernité
L’idée de faire de Mons la capitale culturelle européenne de 2015 a probablement été suscitée par le succès de ce qui s’est passé à Lille, d’où provient aussi le concept de Maison Folie, concrétisant « une vision décloisonnée des pratiques artistiques » (arts de la scène, arts plastiques, arts numériques, littérature, poésie, architecture, … comme précisé dans le texte de présentation). L’effort de mobilisation autour de la candidature montoise pour 2015 est notable, tout en restant très centralisé : on joue des médias, la TV, la presse locale, le net, mais les milieux associatifs, qui préfèrent qu’on ne cite pas nommément leur témoignage à ce sujet, se plaignent d’être tenus à l’écart du processus et de la prise de décision. Mais cela n’empêche qu’une authentique dynamique culturelle a été lancée à Mons, vivante et en expansion, que ce soit à partir des programmes locaux ou des collaborations avec la région de Maubeuge. La rénovation urbaine, initiée, certes, par Maurice Lafosse, le prédécesseur honni d’Elio Di Rupo, se poursuit sur le registre de la réussite. Tout pour le centre ville et la Grand ‘Place, grognent les opposants, parfois relayés par le groupe Ecolo au conseil communal : mauvais procès, si l’on s’en tient à la répartition des subsides – Jemappes, par exemple, la commune la plus importante d’avant les fusions de communes (à part Mons elle-même), n’a pas été oubliée. Et pour le centre, les critiques se contentent souvent d’épingler le coût jugé excessif des travaux, sans s’en prendre aux transformations en elles-mêmes, qui bénéficient, me semble-t-il, d’un consensus favorable parmi les Montois. Sur le terrain universitaire, pas négligeable à Mons, la fusion de l’UMH et de la Faculté Polytechnique au sein de l’UMONS est un incontestable succès – 30 ans de palabres avant de conclure, c’est long. Le bourgmestre-président du PS n’est pas pour rien dans l’aboutissement du dossier, qui éloigne les craintes de démantèlement, et qui fut précédé par l’installation de centres de recherche performants nourris par des fonds publics. La communauté universitaire montoise lui reconnaît ce mérite, au-delà des fidélités politiques traditionnelles. Le succès électoral du PS sur Mons et sa région n’est donc pas bâti que sur du vent.
Mais le PS est souvent, nous dit-on, traité à la hussarde : les gens qui comptent, dans l’entourage du maïeur, ne sont généralement pas les militants blanchis sous le harnais – pas plus que ne le sont les ministres, à un autre niveau. Mais tant que ça marche, on fait avec, tout en n’abandonnant pas le terrain de la proximité quotidienne ; Mons a reçu en 2007 la City Parade, qui attire les jeunes branchés, mais on n’oublie pas les pensionnés, et les permanences fonctionnent. Bref, on peut confirmer (affirmation personnelle datant de quelques années, déjà dans les colonnes de Politique) que «le choix de la modernité comme vecteur principal, si pas exclusif, du progrès, ce choix a été payant, au moins partiellement», et dans la dite «modernité», il y a aussi la toute puissance de l’image et l’autoritarisme du management. Elio Di Rupo incarne le choix de cette modernité, côté pile et côté face, il incarne cet espoir – il matérialise le lien entre l’immigration, dont il est issu, et les centres de recherche installés aux Grands Prés, derrière la gare, comme docteur en chimie. Au moins localement, cette ligne politique, qu’on qualifiera d’éclectique, peut se targuer de succès, en termes d’adhésion populaire, et en réalisations plus durables.