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Hommage à José Gotovitch : historien du mouvement social

Inscription de José Gotovitch au VIIIème Festival Mondial de la Jeunesse Démocratique (FMJD) organisé à Helsinki en 1962 en tant que délégué de l’UNEC (Détail. Collections photographiques du CArCoB/DACOB. Fonds Commission de Contrôle politique)
Inscription de José Gotovitch au VIIIème Festival Mondial de la Jeunesse Démocratique (FMJD) organisé à Helsinki en 1962 en tant que délégué de l’UNEC (Détail. Collections photographiques du CArCoB/DACOB. Fonds Commission de Contrôle politique)

Grand historien du mouvement social, professeur, chercheur, militant, c’est une figure essentielle de l’histoire de Belgique qui s’en est allée. L’éminent professeur Jean Puissant, spécialiste de l’histoire du mouvement ouvrier, rend ici hommage au chercheur et ami, en esquissant brièvement le rôle qui fut le sien dans de nombreuses institutions de recherche. Parmi les initiatives au sein desquelles José Gotovitch s’impliqua, se trouve notamment le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique – Maitron Belgique, auquel il contribua depuis sa fondation, et qu’il intégrera bientôt lui même, en tant que figure militante et intellectuelle du mouvement ouvrier en Belgique.

José, ébranlé par la disparition brutale de sa « douce Emy », miné par la maladie, a décidé lucidement et courageusement samedi 16 février 2024, d’arrêter l’horloge de son « temps présent ».

Un enfant des Marolles

José Gotovitch est né dans les Marolles, quartier populaire du centre de Bruxelles où vivaient de nombreux immigrés juifs originaires d’Europe centrale. Enfant caché pendant la guerre, il poursuivit ensuite d’excellentes études à l’athénée Léon Lepage, puis à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il obtient en 1961 une licence en histoire. Son mémoire est consacré à la presse censurée en Belgique occupée, lors de la première guerre. Il réalise ensuite une étude sur la « flamentpolitiek » allemande, qui visait à se rallier le territoire du Nord de la Belgique en cherchant à se rallier des courants du flamingantisme.

Être chercheur et communiste durant la guerre froide

Élevé en français, José Gotovitch a cependant, dans l’oreille, le yiddisch de ses parents. Sa proximité avec les langues germaniques lui permet d’être remarqué et engagé dans la recherche sur la Seconde Guerre mondiale par les professeurs John Bartier et Jacques Willequet. Ceux-ci trouvent des sources de financement pour six chercheurs et lancent les fondations d’un Centre de recherche sur la Deuxième Guerre mondiale, qui deviendra le CegeSoma. Ce nouveau centre a pour caractéristique d’être national et pluraliste, mêlant académiques, représentants des universités belges et représentants des associations patriotiques et de résistance. Les chercheurs sont des universitaires, mais des chercheurs associés, en raison de leurs travaux de qualité sont également bientôt admis. Construction originale, fragile, instable, et incontestablement productive où José joue un rôle croissant.

Des milieux d’anciens résistants refusent qu’un communiste affirmé s’occupe de certains dossiers.

Quelques épisodes plus loin, dans une atmosphère de guerre froide relatée par Martin Conway et Pieter Lagrou dans une remarquable évocation de cette histoire, José se voit contraint, pour sa thèse de doctorat, d’étudier le monde communiste, auquel il a adhéré dès sa prime jeunesse, plutôt que la Résistance en général, à laquelle il avait consacré de premiers travaux (notamment un répertoire de la presse clandestine). Des milieux d’anciens résistants refusent en effet qu’un communiste affirmé s’occupe de certains dossiers. Le compromis trouvé le maintient en activité, mais il doit se restreindre à l’étude des actions du seul parti communiste pendant la guerre. Quelles que soient les limites imposées par les autorités à ses recherches, il est néanmoins l’auteur avec Jules Gérard Libois, directeur du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (CRISP), du très remarquable et remarqué An 40, la Belgique occupée, (CRISP, Bruxelles 1971). Il publiera ensuite sa thèse sur la Résistance communiste pendant la guerre (Du rouge au tricolore, les communistes belges de 1939 à 1944, un aspect de la résistance en Belgique, Labor, Bruxelles, 1992).

José Gotovitch à l’avant-plan, travaillant à la construction de la Ciudad Escolar « Camilo Cienfuegos » à Cuba en 1960, dans le cadre de la Première brigade internationale de travail des jeunes (collections photographiques du CarCoB/DACOB)

Un fondateur

En 1989, José Gotovitch devient le directeur du Centre d’Études de la 2e Guerre mondiale, aujourd’hui le CegeSoma, un centre bilingue, pluraliste, et intégré maintenant aux Archives de l’État. Le Centre d’Études Guerre et Société, est à mettre en relation avec l’Institut du Temps Présent de Paris. Il est unanimement reconnu, en Belgique comme au delà, pour la qualité de ses travaux et sa contribution au débat public et médiatique. Enseignant, assistant du professeur Bartier, puis professeur lui même à l’ULB, José Gotovitch y participe également à la création du « Groupe d’histoire et sociologie du communisme », qui est aujourd’hui le « Centre d’Histoire et de Sociologie des Gauches », toujours en activité.

Vers un grand dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique

Le professeur John Bartier pense à l’époque, avec son collègue l’historien Francis Sartorius, à un Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier en Belgique. José est sans doute déjà sensibilisé à l’idée de biographies multiples, constitutives d’une méthode de compréhension des phénomènes sociaux. Pour sa thèse, José utilise déjà largement l’histoire orale, dont il a été un précurseur en Belgique, sans en faire un objectif, mais un moyen heuristique nécessaire. Il utilise aussi la biographie qui, répétée, ouvre la voie à une véritable prosopographie de la résistance communiste, à Bruxelles, en particulier. La fréquentation des archives allemandes, puis de celles du Komintern à Moscou lui ouvre sa collaboration à la conception et à la réalisation du dictionnaire des Kominterniens (Komintern, l’histoire et les hommes, dictionnaire biographique de l’Internationale communiste, (1921 1945), Éditions Ouvrières, Paris 2001. Il a participé à plu sieurs activités du Maitron à Paris. Son dernier ouvrage Allons au devant de la vie, une histoire des jeunesses et étudiants communistes en Belgique » (1921  1945), Bruxelles 2023, met en valeur nombre d’engagements individuels, et fait également écho à ses idéaux de jeunesse. Il n’est donc pas étonnant de le voir participer activement aux premières réalisations du Dictionnaire biographique des Militants du mouvement ouvrier en Belgique, A B, Bruxelles 1996, puis au DBMOB en ligne (maitron.fr) et à la préparation en cours d’un volume de plusieurs centaines de notices.

En 1989, José Gotovitch devient le directeur du Centre d’études de la 2e Guerre mondiale, aujourd’hui le CegeSoma. Il est unanimement reconnu en Belgique et au-delà pour la qualité de ses travaux et sa contribution au débat public et médiatique.

José Gotovitch était membre, très présent, du comité de rédaction et du comité scientifique du groupe de contacts du Fonds national de la recherche scientifique (FNRS), qui accompagne l’entreprise du DBMOB. Ses contributions concernent principalement les communistes, mais sans exclusives, comme on peut le lire avec sa belle biographie d’Isabelle Blume, importante militante socialiste, féministe, antifasciste, exclue du PSB lors de la guerre froide. Sa dernière notice à venir concerne le dirigeant socialiste Victor Larock, personnalité forte du mouvement socialiste clandestin. Il contribua également, de la même manière, à la Nouvelle Biographie Nationale éditée par l’Académie Royale de Belgique. José était également directeur scientifique et longtemps animateur du Centre d’archives communistes de Belgique (CArCoB).

Chercheur rigoureux, animateur d’équipes, communicant recherché, José Gotovitch était également « bon camarade ».

Un homme engagé dans le siècle

Doté d’une plume alerte, aiguisée depuis l’adolescence, au Drapeau Rouge, à En Avant, organe des Étudiants communistes de Belgique qu’il a dirigés (l’organe et les EC), elle le conduit à de véritables bonheurs d’écriture. José, chercheur rigoureux, animateur d’équipes, communicant recherché, était également « bon camarade » et toujours prêt à faire la fête. José Gotovitch, revendiquait ses origines juives, son engagement francmaçon et communiste, et était membre de l’Académie Royale de Belgique (Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques).