Politique
Le « coup » du 13 décembre
21.12.2006
Pour un coup, ce fut un coup: tous les quotidiens, radios et télévisions en ont parlé. Et pas que les Belges: les grands médias européens l’ont aussi évoqué. Si la RTBF était une entreprise de communication événementielle, il faudrait l’en féliciter chaleureusement. Même si son opération n’a pas spécialement brillé par l’originalité ni par la qualité du produit fini. Mais il se fait qu’elle est une «entreprise publique autonome à caractère culturel» dont une des «responsabilités» est l’information, qui constitue même sa «base essentielle». Et, à cet égard, le 13 décembre 2006 restera dans les annales de l’histoire comme le jour où la dérive de notre radiotélévision de service public est devenue particulièrement criante. Il faut dire que la RTBF a toujours vécu corsetée par un « pacte culturel » dévoyé qui permet aux divers « piliers » d’une société étriquée de la cadenasser dans son traitement de l’information. Car le partage du pouvoir leur interdit de comprendre qu’une société démocratique a un besoin vital d’information autonome et de qualité, préférant placer des créatures de leurs sérails aux postes clés de la direction et de la rédaction. La situation s’est encore dégradée quand, voici trente ans, l’administrateur général de l’époque a commencé à plaider pour l’accès à la publicité. En 1984, la « publicité non commerciale » faisait son entrée à la RTBF. Et en 1991 c’était le tour de la « publicité commerciale ». Plutôt que de redéfinir la fonction sociale de la radiotélévision publique face à la démonopolisation de l’audiovisuel qui s’opérait et concevoir une stratégie de redéploiement adaptée aux moyens financiers, on a préféré entrer dans la logique de la concurrence et des impératifs commerciaux. Parallèlement, les responsables politiques s’avéraient incapables de concevoir un cadre légal pour l’audiovisuel privé naissant et maîtriser son développement. Ce qui a eu pour résultat une « jungle des ondes » où la création de nouvelles stations, les reprises en termes purement financiers et les concentrations parfois démesurées s’opèrent à l’écart des plus élémentaires exigences de pluralisme démocratique. Et comme tant d’indigence ne suffisait pas, on a créé un Conseil supérieur de l’Audiovisuel où des acteurs du milieu médiatique se retrouvent juges et parties (avec d’inévitables petits arrangements de mauvais aloi). Les retombées de cette incurie sautent aux yeux : une surenchère dépourvue des plus élémentaires considérations éthiques et déontologiques règne sur le paysage audiovisuel belge francophone. Et la RTBF y a été entraînée d’autant plus aisément que ceux qui ont la haute main sur sa direction ignoraient bien souvent tout des métiers d’un média de service public. Et quand d’aventure ils en sont issus, ils sont souvent passés par des cabinets ministériels ou des bureaux d’études de partis avant d’accéder aux hautes fonctions qui sont désormais les leurs. Aussi, leur premier souci n’est pas précisément la qualité du service rendu aux citoyens payeurs de la redevance (ou de ce qui en fait fonction), mais bien le dévouement à ceux auxquels ils sont redevables. Faut-il s’étonner dès lors si, à la RTBF, les émissions culturelles et les magazines d’information ont largement disparu, si le divertissement envahit tout et atteint souvent un niveau de débilité affligeant, si quelquefois la différence avec les stations privées n’est plus évidente, si le journal télévisé court après ceux de la concurrence en jouant à fond dans le fait divers, le voyeurisme et l’émotion ? A tel point que les principaux responsables de l’information ne savent plus distinguer docu-fiction et canular (à moins que les correspondants des grands quotidiens de référence européens n’aient décidément rien compris au talent subtilement éblouissant de nos orson-welleskes). Le coup du 13 décembre a jeté le discrédit sur tous ceux qui en ont été à l’origine ou qui se sont prêtés à la mascarade d’«émission spéciale» du journal télévisé. Plus grave encore: il a jeté un discrédit durable sur la raison d’être même d’un service public de l’audiovisuel. À quoi bon payer une redevance et maintenir un audiovisuel public, si celui-ci confond allégrement information et pitrerie, si la quête d’émotions devient sa principale raison d’être? Depuis un quart de siècle, l’audiovisuel public en Europe traverse une grave crise d’identité. Il ne perdra pas sa raison d’être si le pouvoir politique sait légiférer judicieusement et encadrer dûment les différents acteurs du paysage audiovisuel; si les autorités de régulation sont compétentes, indépendantes et dotées d’un réel pouvoir de décision; si l’audiovisuel public ne cherche plus à multiplier le nombre de ses stations et à élargir de façon inconsidérée le périmètre de ses activités; s’il renonce à la publicité (en acceptant tout au plus la publicité institutionnelle); s’il choisit nettement de faire écouter et voir son niveau d’exigence par rapport aux stations commerciales. Autrement, les citoyens ne croiront plus à la nécessité d’un audiovisuel public. Et ce sera justice…