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Marcel Liebman : la nostalgie, camarades…

En ce temps-là, tout intellectuel devait être de gauche. Normal: l’avenir était forcément du côté de l’émancipation humaine et de l’abolition des privilèges. Et pour galvaniser cet espoir, de grandes voix furent nécessaires. Personne, en Belgique francophone, n’a mieux rempli ce rôle que Marcel Liebman dans les années de l’après-Mai 68. De l’archétype de l’intellectuel de gauche, il cumula avec bonheur les différentes facettes: scientifique reconnu dans son domaine (il était historien), enseignant charismatique adulé de ses étudiants de l’ULB qui se pressaient à ses cours comme au spectacle, inlassable animateur de revues, orphelin du parti idéal, il mit en jeu son crédit de professeur en refusant l’enfermement dans la tour d’ivoire de son institution. Car en ce temps-là, un universitaire qui intervenait dans l’espace public ne se sentait pas obligé de produire du consensus. Marcel Liebman a disparu il y a exactement 20 ans. Aujourd’hui, deux publications évoquent des aspects inédits de sa personnalité. Dans « Le dilemme israélien. Un débat entre Juifs de gauche » dont l’écriture remonte à 1967, Liebman nous livre une pensée tranchée dont on comprend mieux avec le recul qu’elle l’ait fait passer pour traître aux yeux de la communauté juive. Mais ce qui frappe surtout, c’est la puissance évocatrice du socialisme, cette perspective régulièrement invoquée comme critère de tout engagement alors qu’elle n’est jamais définie, sauf négativement. Dans la revue Politique (à paraître en avril), Liebman se révèle nouvelliste. « Le Pingouin imaginaire » fut un one shot, ironiquement inspiré par le succès du « Juif imaginaire » sorti en 1981de la plume d’un jeune polémiste promis à un brillant avenir, Alain Finkielkraut. Mais la nostalgie, camarades… En ce temps-là, l’intellectuel prêtait sa voix aux dominés. Aujourd’hui, elle sert trop souvent à leur expliquer pourquoi ils doivent sagement rester à leur place. Voilà pourquoi Liebman nous manque.