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L’effacement d’une guerre oubliée

La «décennie sanglante» dit-on en Algérie au sujet de cette guerre civile et religieuse qui, dans les années 90, a fait sans doute plus de 150.000 victimes et quelques 20.000 disparus. Les chiffres exacts ne sont pas connus, ils ne le seront jamais. Pendant 10 ans, les intégristes musulmans et le pouvoir militaire se sont affrontés prenant en otage une population victime de massacres et d’enlèvements sans que l’on sache exactement qui tuait qui dans la longue nuit algérienne. Les intégristes massacraient des villages entiers, les militaires organisaient des représailles, les uns et les autres enlevaient. Terrorisme et éradication, manipulations et manœuvres sanglantes : le secret était de mise dans une société algérienne façonnée à l’extrême violence par une longue guerre coloniale. Les médias occidentaux n’en parlaient presque pas : il n’y avait pas d’image ! Aujourd’hui, en Algérie, où un certain calme est revenu malgré les violences terroristes occasionnelles, on vote sur la «Charte pour la paix et la réconciliation» proposé par le président Bouteflika. Une amnistie sera accordée sous conditions. Mais pour beaucoup ce texte soumis à référendum vise à rayer la guerre civile de la mémoire collective. La réconciliation – indispensable à la vie collective où se côtoient quotidiennement bourreaux et victimes- ne peut être synonyme d’effacement. Au contraire elle exige la parole, la vérité, la reconnaissance des faits nécessaire au pardon. C’est ce que demandent les proches des disparus : ils ne crient pas vengeance, ils n’exigent même pas justice, ils veulent simplement savoir. Mais le texte proposé aujourd’hui aux Algériens veut enterrer la «sale guerre» et ses secrets. Le texte confond les victimes des terroristes et celles des forces de l’ordre. Aucune enquête n’a été et ne sera menée sur les responsabilités exactes des uns et des autres. L’issue du vote ne fait cependant pas de doute. Seuls les partisans du texte ayant pu faire campagne, le referendum prend l’allure d’un plébiscite présidentiel. Mais aucune réconciliation n’est jamais née de l’amnésie officielle et collective.