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Au-delà du journalisme

Ceux qui étaient ses amis, nous l’avaient dit. Ceux qui l’avaient lue, le savaient. Ceux qui ne la connaissaient pas l’avaient deviné. La libération de Florence Aubenas et le récit qu’elle a fait de sa captivité, la personnalité hors du commun qui en émane nous font mieux comprendre a posteriori les raisons de l’extraordinaire mobilisation qui s’est manifestée tout au long des 157 jours de sa détention en compagnie de Hussein Hanoun. L’humilité et l’humanité, la distance et l’humour, l émotion et la lucidité submergent les paroles de l’ex-otage. Sa modestie dut-elle en souffrir, Florence Aubenas a cristallisé ces valeurs qui nous manquent le plus souvent dans les médias et dans cette société de marché. L’obstination contre l’obscurité et la force de vie contre la violence : nous ne savions pas exactement tout cela tout au long de sa détention mais d’une certaine manière nous le pressentions. Et c’est pourquoi en Belgique comme ailleurs des milliers d’hommes et de femmes se sont reconnus dans ce visage et dans ce combat. Des esprits chagrins ont dit et diront encore qu’on en a fait trop: pourquoi «elle» et pas les autres, ou moins les autres? On a simplement envie de répondre précisément «parce que c’était elle, parce que c’était nous». Injustice d’une mobilisation dont la justesse portait l’énergie exceptionnelle. Et le débat stratégique sur les effets de la médiatisation des prises d’otages est une autre question qui peut, en effet, être discutée, tout comme d’ailleurs celle de l’envoi de journalistes en Irak. L’émotion retombée, il y aura bien des chevaliers blancs de l’investigation pour mettre en cause les silences de Florence Aubenas sur certains aspects de sa détention. Ici aussi pourtant une belle leçon : journaliste dans la plénitude du terme, Florence Aubenas considère qu’il y a évidemment des choses plus importantes que l’information et qu’il y a des circonstances où le silence s’impose à tous. Quand le journaliste se retrouve à la fois sujet et objet d’un drame collectif, il vit les limites du questionnement et la vérité de la hiérarchie des devoirs. C’est Jean Lacouture qui rappelait récemment à ce propos que « sauver des vies humaines exige parfois que l’on renonce à une question ou, au moins, à une réponse ».