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Le Promeneur et le pouvoir

«Le Promeneur du Champ de Mars», un film sur François Mitterrand? Oui, bien sûr, pleinement. L’incarnation est parfaite même si ou précisément parce qu’elle refuse le naturalisme. Le verbe mitterrandien est rendu comme il ne l’a jamais été, d’une manière quasi charnelle. Et c’est essentiel quand on sait que le verbe chez Mitterrand était tout: le moteur de l’action, l’auxiliaire le plus efficace de son pouvoir, l’instrument d’une séduction permanente. En cela, le film de Robert Guédiguian est déjà une grande réussite. Mais il va bien au-delà. Guédiguian est pleinement dans la fiction. «Le Promeneur» est une épure cinématographique, politique et intellectuelle. «Je ne voulais rien de factuel mais l’abstraction, la théâtralisation et la stylisation», dit Guédiguian. Le cinéaste du collectif et d’un quartier — l’Estaque à Marseille — a choisi d’affronter le pouvoir le plus haut placé, exprimé par le plus individualiste, le plus personnel et parfois le plus cynique de ses détenteurs. D’une certaine manière Guédiguian jour double jeu et gagne sur les deux tableaux. Il incarne son Mitterrand et en même temps il le désincarne pour accéder à la question fondamentale du cinéaste et du citoyen: que peut encore la politique? Le monde peut-il encore changer? Le contexte mitterrandien s’y porte bien: le 10 mai 1981, date son accession au pouvoir et qui restera sa marque dans l’histoire, c’est aussi le temps du début de la mondialisation, du triomphe du libéralisme. Dans le film, le Président prononce son dernier discours sur la justice sociale, les luttes ouvrières, le socialisme devant des anciens mineurs du Nord, sortis d’un roman de Zola. Il suspens sa phrase. Ce n’est pas la maladie: simplement, nous dit Guédiguian il s’aperçoit que ce qu’il dit n’est jamais advenu. Les paradoxes, les contradictions d’un monarque face à la mort, les interrogations et les certitudes sur son bilan nous plongent dans une réflexion et une approche cinématographique qui touchent à l’universalité de la question du pouvoir. Et pour en revenir à Mitterrand, Guédiguian raconte qu’il a ajouté une phrase au scénario et qu’il met dans la bouche du Président: «Cinquante ans de vie politique, c’est beaucoup. C’est 50 ans de confrontation avec la réalité rêvée et la réalité réelle. Ce qui compte, c’est de préserver ce qu’on estime être sa propre permanence». Tout est dit.