Politique
Rapprocher l’incomparable
23.09.2004
Parfois pour comprendre l’état d’une société, il faut s’efforcer de rapprocher des événements ou des situations apparemment incomparables. Prenons-en trois récents. En France, il y a deux semaines, deux inspecteurs du travail ont été assassinés à coups de carabine par un employeur agricole. Deux hommes tués parce qu’ils accomplissaient leur tâche consistant à faire respecter le droits des salariés. Ce meurtre a été traité avec une discrétion hors du commun par des médias pourtant avides de faits divers. Dans une société obsédée par le sécuritaire, cette délinquance-là passe inaperçue. Peut-être tout simplement parce le droit du travail est aujourd’hui la cible d’une campagne sans précédent. Au nom de la modernité et de la compétitivité, sous le sceau de la concurrence et du marché, pour le contrat contre le droit, les fondements du droit social sont sapés. Par des organisations patronales, par des gouvernements, et par la justice parfois. Depuis l’été dernier, dans plusieurs pays européens, dont le nôtre, une offensive tous azimuts est dirigée pour allonger la durée du temps de travail. Toujours au nom des mêmes principes, le chantage à l’emploi et la délocalisation en plus. D’une manière unilatérale et autoritaire des accords sont mis en cause, des droits sont déniés, alors même que les arguments économiques avancés n’ont pas sérieusement été discutés d’une manière contradictoire. Et puis cette semaine, il y a la décision du tribunal correctionnel de Liège dans l’affaire de l’explosion de Cokerill-Sambre en 2002. Deux ouvriers condamnés à des peines de prison avec sursis, des cadres responsables de la sécurité et les dirigeants de l’entreprise acquittés ou bénéficiant de la suspension du prononcé. Comment ne pas comprendre le sentiment d’une différence de traitement ressenti par les travailleurs condamnés? Sous des aspects différents, plus ou moins dramatiques, mais toujours emprunts de violence, les relations sociales sont plus que jamais affaire de rapports de forces.