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Le retour d’une autre bête immonde : la rumeur

Francis Martens, psychologue clinicien réputé, anthropologue et érudit passionné en est victime. Aujourd’hui. En Belgique.

Francis Martens, par ailleurs psychologue clinicien réputé, est un intellectuel éclectique. La preuve: la conférence sur le thème “L’Amour a-t-il changé?” où il était annoncé en compagnie de Jacques Sojcher, Caroline Lamarche et Foulek Ringelheim, sous la présidence de Roger Lallemand. La conférence était programmée pour le 26 mai au CCLJ Centre communautaire laïc juif, de sensibilité sioniste pacifiste… Elle a été annulée sans explication. C’est qu’entre temps, Francis Martens a publié (le 4 avril) une “libre opinion” dans “La Libre Belgique” sur le conflit israélo-palestinien et ses antécédents Publiée également dans La Revue Nouvelle de mars-avril sous le titre “La Vérité a péri”. Dans ce texte, il risque une appréciation un peu carrée sur le destin des Juifs dont “les récits nous font part d’une identité prompte à s’adapter sans pour autant s’assimiler”. Il ajoute que c’est là “ce qui insupporte les plus fragiles parmi les autochtones. Il y a là, dans leurs réactions, comme un baromètre du prix à payer pour pouvoir s’intégrer sans se désintégrer » et formule l’hypothèse que l’intolérance à l’égard des Juifs “n’est jamais que la contrepartie aux procédures mise en œuvre par les Juifs pour ne pas disparaître”. Sans doute le choix du mot “contrepartie” n’est-il pas le plus heureux. Mais l’anthropologue qu’est aussi Francis Martens sait bien que c’est ce mixte de différence et de ressemblance, d’intégration sans assimilation qui alimente le plus les sentiments d’angoisse identitaire des populations majoritaires. Cette caractéristique, aujourd’hui partagée par de nombreuses immigrations, fut longtemps une singularité juive. J’aurais aimé discuter ce point de vue que je ne partage qu’à moitié. Emboîtant le pas au discours réflexif de la pensée juive traditionnelle, il pose la volonté de séparation des Juifs comme première, alors qu’on pourrait y voir tout autant la rationalisation a posteriori d’un rejet, dans un jeu d’action-réaction en miroir, selon la formule “ces évènements nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur”. Malheureux que j’étais: le crime de Francis Martens était bien pire. Car la réplique fut cinglante. Trois jours plus tard et toujours dans “La Libre Belgique”, treize intellectuels juifs accusèrent Francis Martens “d’entonner l’ignoble antienne selon laquelle, pour ce qui est de l’antisémitisme, le Juif n’a qu’à chercher en lui les causes des persécutions qu’il subit”. Lui est aussi violemment reproché d’avoir affirmé que “le péché originel de l’État d’Israël était un fait”, ce en quoi il ne faisait que reprendre à son compte le propos des nouveaux historiens israéliens, présentés par Dominique Vidal, rédacteur en chef adjoint du “Monde Diplomatique”, dans un ouvrage paru en 1998 et intitulé justement “Le pêché originel d’Israël”, avec une postface de Joseph Algazy, journaliste au quotidien israélien de référence Ha’aretz. Trois semaines plus tard, lesdits intellectuels se réjouirent publiquement que l’auteur d’un texte ressenti comme “violemment antisémite” ait vu son intervention annulée par le CCLJ dans le cadre de la conférence prévue sur le thème particulièrement sulfureux “L’Amour a-t-il changéC’est qu’entre-temps, un des treize Fouquier-Tinville s’était plaint de la “prose” de Francis Martens auprès des autorités académiques de l’UCL dont celui-ci relève partiellement, souhaitant qu’elles prononcent à son égard “quelque chose de l’ordre du désaveu public”. Le recteur de l’UCL, Marcel Crochet, piqué par on ne sait quelle mouche, s’est prestement exécuté, fournissant l’argument demandé. Dans sa réponse, il déclare “ne pas pouvoir admettre une référence à ce qu’il (Francis Martens) appelle “le péché originel” d’Israël », ajoutant que ce langage est “lié, comme vous l’écrivez, à l’antisémitisme séculaire qui est une honte de l’humanité”. Je connais Francis Martens. J’apprécie son érudition pénétrante, sa rigueur intellectuelle et la passion de ses engagements. Il est de ceux dont on dit qu’il ne laisse pas indifférent. Mais s’imaginer et faire courir le bruit qu’il puisse être d’une quelconque façon antisémite est une stupidité et une abjection. Maintenant que la rumeur en est lancée, comme elle le fut il y a quelques mois, dans un style un peu différent, pour Josy Dubié, il faut sans plus attendre lui couper les ailes avant qu’elle ne s’envole.