Politique
Indignés : les raisons d’agir d’une jeunesse pas gâtée
21.10.2011
Derrière les chiffres, ce sont des dizaines de millions de vies humaines qui sont ainsi bousculées, oppressées. Des parcours interrompus, des perspectives détruites. Des études qu’on ne fera pas, des vocations qu’on ne réalisera pas, des emplois qu’on n’aura pas… Et qu’ont eu à dire les populations là-dessus ? Rien. D’une crise économique à une crise des finances publiques, nous nous retrouvons aussi en pleine crise démocratique. Contestation face à la crise du système et critique du manque de participation démocratique qu’offre notre système politique : voici les premières raisons d’agir du mouvement des Indignés. Mais l’émergence de ce mouvement ne peut être appréhendée sans parler du rôle des partis traditionnels. Alors même que la crise économique et démocratique actuelle montre chaque jour l’essoufflement du système capitaliste, plus aucun des partis qui se partagent le pouvoir ne porte de projet de changement de société. Au contraire, même les partis sociaux-démocrates participent aux gouvernements de l’austérité : en Espagne, en Grèce, jusqu’il y a peu au Portugal… et bientôt en Belgique. Même ceux qui se disent de gauche se sont condamnés à l’impuissance en acceptant l’agenda du capital. Loin de verser dans l’humilité, certains ténors comme Louis Tobback (SP.A) ont préféré attaquer le mouvement des Indignés, plutôt que de porter un regard critique sur leurs propres choix politiques. « C’est une génération gâtée, qui préfère manifester du lundi au vendredi car ils ont déjà booké un vol Ryanair en last minute pour le weekend. Nous avons négligé leur éducation », a-t-il ainsi déclaré au Standaard fin mai « Tobback begrijpt de jongeren niet meer », De Standaard, 28 mai 2011. « Ils ne nous représentent plus », disent, à juste titre, les Indignés. Le pas est vite fait, dès lors, pour une partie de ce mouvement de rejeter en bloc les partis et la « politique ». Comme organisation politique de jeunes de gauche, nous n’applaudissons pas cette orientation et nous en débattons dans le mouvement. Mais nous soulignons que la responsabilité de cette évolution incombe avant tout à cette gauche de gouvernement qui semble tout mettre en œuvre pour tenir les jeunes à distance de la prise de décision politique. Nous travaillons à politiser les jeunes, et si nous critiquons un certain apolitisme, nous ne le faisons pas au bord du chemin, en spectateurs mais en participant à ce mouvement. D’autant plus que, dans tous les débats des Indignés, se retrouvent des opinions politiques différentes qui recouvrent tous les grands courants politiques historiques de la gauche : anarchistes, communistes, sociaux-démocrates, écologistes. Les nombreuses listes de revendications qui ont circulé sur Internet sont un signe de la richesse des débats politiques. Rejeter les Indignés pour leur apolitisme, ce serait être aveugle aux débats et contradictions présents dans le mouvement. Ce serait nous interdire de mener le débat de société que la crise du capitalisme met pourtant bruyamment à l’ordre du jour. Ce serait condamner le mouvement à être récupéré par les tenants du pouvoir établi.
Une remise en cause de nos fondamentaux ?
Les organisations politiques de gauche doivent-elles être interpellées par le mouvement des Indignés ? Bien sûr. L’émergence de ce genre de mouvement est inévitable en temps de crise. Mais l’expression de la révolte n’est pas toujours celle qu’on attend, ni la reproduction de ce qui s’est passé auparavant. Et, on le constate, cette révolte est très diverse. Les luttes organisées sont toujours bien présentes, comme en Grèce contre l’austérité, en Grande-Bretagne dans l’enseignement supérieur, en France contre la réforme des retraites. À côté de cela, il y a les formes plus nouvelles de contestation, plus floues et portées par les réseaux sociaux : les Indignés, mais aussi chez nous la manifestation Shame de janvier 2011. Enfin, on ne peut passer à côté d’autres formes de contestation, comme l’étaient les émeutes en Grande-Bretagne, qui rappellent que la détresse ne mène pas spontanément à un projet politique et que des organisations militantes sont nécessaires pour donner des perspectives. La contestation sociale est en constante transformation, qui est tout sauf linéaire. Nous sommes aujourd’hui face à une crise jamais vue, qui pose le défi de s’ouvrir aux nouvelles évolutions. Nous n’avons ni recette, ni mode d’emploi pour inverser le rapport de forces, pour renverser la vapeur, pour faire payer la crise à ceux qui l’ont causée. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai été à la rencontre des Indignés de Madrid au début de leur campement. Pour comprendre, mais aussi pour apprendre. J’ai été impressionnée par le nombre de gens qui y faisaient leur première démarche politique. Par l’esprit collectif qui y régnait. Par ce campement, véritable bricolage construit progressivement, grâce aux connaissances multiples de tous ceux qui s’y sont impliqués. Par ces assemblées quotidiennes de centaines et de centaines de personnes, dans lesquelles on tentait tant bien que mal de prendre les décisions au consensus. J’en suis aussi ressortie convaincue de la nécessité de s’organiser pour assurer une contestation durable. De la nécessité de rassembler autour de revendications claires et de mener le débat sur la nécessaire alternative de société au capitalisme.
Une vieille marchandise dans un nouvel emballage ?
Si les nouvelles formes de lutte doivent être une source permanente d’apprentissage pour la gauche organisée, nous ne pensons pas pour autant que tout soit à réinventer. Le système capitaliste connaît une des crises les plus importantes de son histoire, qui est loin de toucher à sa fin. Il est donc bien normal que l’on se réfère à Marx. Serait-ce donc ressortir une vieille marchandise ? Oui, cela le serait si cela consistait à répéter aveuglément quelques citations sans lien avec la réalité. Mais non, si l’on se nourrit de la théorie marxiste pour faire une analyse vivante des contradictions telles qu’elles se présentent actuellement. Un mouvement de jeunes marxistes comme Comac pose un regard critique mais nuancé sur les expériences positives et ratées du socialisme au XXe siècle. Il s’oppose à un anticommunisme primaire qui a servi à justifier la doctrine Tina There is no alternative qui a voulu paralyser les mouvements de contestation. Une théorie marxiste qui montre toute sa jeunesse à l’heure où il y a unanimité pour accepter le dogme de la course au profit. Une marchandise qui se doit d’être toujours renouvelée donc, dans un emballage qui lui aussi se doit de l’être. Car parler d’une société en permanente évolution exige une approche dynamique et créative.