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Impasses de la démocratie (présentation)

Le pire des régimes à l’exception de tous les autres ? Sans doute, mais ça n’excuse plus rien : nos régimes démocratiques, tels qu’ils fonctionnent, accumulent désormais tant de tares et de vices qu’ils nourrissent massivement la désaffection et le désenchantement. On ne peut plus se limiter à agiter l’épouvantail du populisme et de l’extrême droite : la démocratie élective fondée sur le suffrage universel doit sérieusement se réformer pour ne pas perdre ce qui lui reste de légitimité populaire, et si possible en regagner.

« La démocratie élective fondée sur le suffrage universel doit sérieusement se réformer pour ne pas perdre ce qui lui reste de légitimité populaire, et si possible en regagner. »

Le jugement est sévère. Sans doute trop. Car il laisse entendre que moyennant les réformes nécessaires, on pourrait réintégrer le paradis perdu de la démocratie parfaite… qui n’a jamais existé et qui n’existera jamais. En fait, la démocratie – comme régime politique assurant l’égale participation de tous et toutes à la conduite des affaires de la cité – est une « utopie directrice », à savoir un horizon jamais atteint, mais qui doit orienter un processus de perfectionnement permanent. Ce à quoi il faut s’opposer est multiforme : la tentation permanente de la « classe politique » de s’ériger en caste soucieuse avant tout de ses propres intérêts, l’apathie de la population qui se désintéresse des affaires publiques, l’incapacité de la décision politique de faire pièce aux forces du marché, le poids croissant de bureaucraties plus ou moins occultes, la propension du système médiatique à obscurcir les enjeux au lieu de les rendre intelligibles et son allégeance vis-à-vis des pouvoirs… Vaste programme. Et bataille permanente. Pour renforcer le système déficient de la démocratie représentative, on cherche désespérément à la compléter par un volet « participatif » et « délibératif ». Mais dans quelle mesure celui-ci constituerait-il un authentique progrès ? N’y a t-il pas le risque de mettre des élites élues sous le contrôle d’autres non élues, comme c’est déjà trop le cas ? À la suite de Benjamin Constant, Henri Goldman se pose la question. Pour sa part, Paul Löwenthal met en pièce l’idée trop carrée de la démocratie comme expression de « la » volonté « du » peuple. Deux singuliers trompeurs, car le peuple est divisé et il l’est chaque jour de plus en plus. C’est dans les pas de Bernard Manin que Caroline Van Wynsberghe examine le rôle joué aujourd’hui par les partis politiques, acteurs centraux et quasi monopolistiques de la scène politique que menacent les dérives jumelles du lotissement partisan de l’appareil d’État et du clientélisme. Infanterie intermédiaire d’un système où le pouvoir de décision se concentre de plus en plus « vers le haut » et les dépossède, les parlementaires cherchent leur place… et ne la trouvent pas vraiment, comme le montre Régis Dandoy. C’est trop souvent dans le cumul des mandats qu’ils recherchent des compensations, dont Christophe Van Gheluwe montre pourtant les conflits d’intérêts que de telles pratiques alimentent. Enfin, infanterie de base de la démocratie représentative, les conseillers communaux, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition, sont, selon Hadelin de Beer, le plus souvent réduits à un rôle de figurant, toutes les décisions étant déjà prises avant de leur être formellement soumises. Peut-on au moins compter sur les médias pour démêler l’écheveau des intérêts entremêlés ? Malheureusement non. Pour Jean-Jacques Jespers,les émissions politiques – surtout les dominicales qui font l’actualité autant qu’ils la décryptent – répondent désormais à une logique proprement télévisuelle, où le rythme du spectacle et ses ressorts priment sur le contenu. Il fallait des propositions, pour éviter un tableau trop noir. Celle qui s’est affirmée ces derniers mois fut le G1000, qui a connu une mise en scène remarquablement réussie, un accueil très favorable dans les médias et au sein du monde politique, pour des résultats pratiques peu consistants qui forcent évidemment à s’interroger sur la pertinence du processus. Ce à quoi s’est attachée Virginie Van Ingelgom, dont l’analyse fut ensuite discutée par Min Reuchamps et Didier Caluwaerts, responsables de la cellule méthodologique du G1000. Enfin, pour ouvrir le jeu fermé d’une démocratie délibérative cadenassée par un jeu d’acteurs trop institués, Alain Deneef plaide pour la constitution de coalitions citoyennes à géométrie variable sur le modèle anglo-saxon des growth coalitions, à établir en fonction des enjeux. Ce Thème a été coordonné par Henri Goldman et Caroline Van Wynsberghe.