Politique
« Il faut générer des rapports de force favorables à la gauche »
23.02.2018
Entretien avec Noémie ROGER, secrétaire adjointe de la section du PS d’Ixelles.
Quand êtes-vous entrée au Parti socialiste ?
Noémie Roger : J’ai d’abord commencé aux Jeunes socialistes (JS) en 2011. J’étais en plein milieu de mon cursus universitaire et j’ai été invitée par un ami de longue date à rejoindre les jeunes socialistes d’Ixelles. A ce moment-là, je regarde d’abord si je veux rejoindre le mouvement des JS, mais je ne considère pas prendre ma carte au sein du parti. C’est en 2013 que je prends ma carte officielle.
Pourquoi avoir choisi le PS pour vous engager politiquement ? Qu’est-ce qui vous attirait dans ce parti ?
Je n’aurais pas pu aller ailleurs. Même si je suis la seule à avoir la carte et à être membre du PS, j’ai été éduquée dans un milieu sympathisant du PS. C’était le seul parti politique dont on parlait à table, envers lequel il y avait la formulation d’une attente ou la reconnaissance d’acquis. La question de savoir si j’étais en phase avec les idées socialistes ne se posait pas.
Ensuite, c’était le parti dans lequel je me disais que j’avais probablement le plus de latitude possible : je pensais pouvoir y trouver le juste équilibre entre le collectif et mes propres idéaux. Car la question qui m’habitait alors était bien de savoir comment allier le respect de ses convictions personnelles, dans une recherche de cohérence entre les idées et les actes que l’on pose, et le fait d’adhérer à un groupe qui est plus large que soi. C’est cet enjeu qui a justifié mes deux ans aux JS.
Dans un premier temps, j’ai préféré être dans un mouvement qui se définissait moins, qui était plus en marge par rapport au parti, à sa ligne et qui pouvait dès lors se situer d’avantage dans la contestation. Il était d’ailleurs reconnu pour ça. Et puis, j’ai pris ma carte parce que j’ai pu vérifier pendant deux ans comment ça pouvait tourner. J’ai considéré que c’était un cadre dans lequel je pouvais me retrouver.
Et après 4 ans ? Qu’en est-il de cette tension entre vos propres idées et celles du parti ?
Il y a clairement des évènements qui ont pu susciter le doute quant à mon adhésion au parti. Ce qui est compliqué, c’est de pouvoir discerner entre l’exigence de vérité par rapport à soi et l’apprentissage des déceptions qui font aussi partie de la pratique politique. Je pense que malgré tout, on peut trouver un équilibre suivant la façon dont on envisage de travailler avec les autres, quelle dynamique chacun peut amener dans un contexte collectif, voir ce que des dynamiques volontaristes, inclusives et positives peuvent amener comme nouvelles orientations et comme nouvelle atmosphère.
Comment et surtout pourquoi militer au PS dans le contexte de dépérissement de la social-démocratie (scandale, crise européenne) et d’émergence de la gauche radicale ?
Je parlerais plutôt d’une impression de dépérissement. Je crois surtout qu’il y a une forte critique de nos systèmes politiques et institutionnels, du fonctionnement de nos démocraties et de nos partis. C’est un problème qui dépasse donc largement la gauche. Quant à la radicalité des idées, il me semble que l’on voit aussi des idées de gauche qui se partagent de plus en plus et qui sont de plus en plus facilement admises. Phénomène qui est concomitant à une implantation très forte du discours néolibéral.
En réalité, je pense que la question du dépérissement de la gauche peut sembler d’autant plus vraie que la droite se réaffirme. Si on n’avait pas une droite aussi forte aujourd’hui, on n’aurait peut-être moins cette impression-là. Dans ce contexte, heureusement qu’il y a une gauche qui se « radicalise ». Les idées et les discours se parlent et se répondent au-delà des individus. Cette radicalité de la gauche, je la comprends comme le signe qui nous oblige, en tant que socialistes, à nous repositionner, à nous questionner aussi. Quelque part, plus on aura une gauche radicale, plus ce sera positif pour toutes les gauches. Par ailleurs, ce contexte clivant est vraiment très intéressant et on doit le prendre comme une richesse. Il complique peut-être l’exercice politique mais ne doit pas nous décourager, bien au contraire.
Pour répondre à votre question, je continue à militer au PS dans ce contexte parce que je pense que le changement des pratiques est possible. Je suis convaincue qu’on peut faire évoluer les choses en amenant une nouvelle dynamique, plus collective, avec une volonté d’avoir des échanges plus ouverts mais aussi, et cela me semble fondamental, une volonté d’assurer la lisibilité des décisions politiques prises. Je comprends qu’il y ait des contextes qui font et qui exigent qu’il y ait une discrétion dans la pratique politique. Ce qui me va moins c’est quand on oublie qu’il y a toute une chaine de militant·e·s et qu’on a oublié de s’extraire du contexte présent. Il me semble capital de veiller à inclure tous les militant·e·s dans un processus explicatif à défaut de pouvoir inclure tout le monde dans un processus décisionnel. Ce type de démarche est rare en politique, souvent parce qu’il est difficile de s’extraire de la pratique pour se demander quel acte est-on en train de poser ? Qui suis-je quand je le pose ? Qu’est-ce que je représente ? Et à qui dois-je rendre des comptes ? Se poser constamment ces questions pour s’extraire du temps présent changerait beaucoup de choses.
Que penser du processus de rénovation idéologique initié en interne, le fameux chantier des idées ? C’est un énorme travail. Je pense que tout peut se parfaire. Il y a aura donc de toute façon des éléments à améliorer la prochaine fois. Mais il y a vraiment quelque chose d’intéressant qui s’est produit : l’interaction entre tous les niveaux du parti. Des militant·e·s de base dans leur section jusqu’aux commissions nationales avec les représentants fédéraux. Il y a eu beaucoup de retours positifs des militant·e·s qui ont vu leur avis pris en considération. Il y a eu une réelle construction collective permise par l’interaction et l’échange.
C’était aussi important, me semble-t-il, de veiller à rendre compte aux militant·e·s des discussions et décisions prises après la lecture en section. C’est ce que nous avons fait à Ixelles : chercher à garantir un accès et une lisibilité des amendements, de leur réécriture et du résultat final. Pouvoir faire naître des moments comme cela, c’est très riche. La réussite de ce chantier devrait nous encourager à tenir ce genre d’exercice plus souvent, mais aussi à travailler au départ des militant·e·s eux/elles-mêmes.
Quelle est votre position par rapport à une coalition PS-Ecolo-PTB ?
Spontanément, je dirais mille fois oui mais je pense qu’il ne faut pas être naïf. Une fois qu’on aura signé, il y aura la réalité politique. Des gens autour d’une table avec des visions différentes qui vont devoir se mettre d’accord. Ce n’est donc pas un mariage de cœur, c’est un mariage de raison au même titre que toute coalition. Quand on voit cet hypothétique mariage dans la presse, on aurait envie de s’imaginer sur une île déserte pour un congrès tripartite (Ecolo, PTB et PS), seuls, où l’on pourrait juste rêver entre nous. Mais on sait très bien que derrière ce beau tableau il y a la question de sa concrétisation dans le réel. Que va-t-on exiger de nous ? Qu’est-ce qu’on ne voudra pas lâcher ? Qu’est-ce que les autres seraient capables de mettre sur la table avec lequel on ne serait absolument pas d’accord ? De nouveau, c’est peut-être réducteur, mais la vraie sortie de tout ça, c’est de voir dans quelle disposition les représentant·e·s de ces partis se mettent pour discuter, quelle dynamique ils/elles souhaitent apporter et influer dans un partenariat et quel état d’esprit elles/ils prêtent à l’objectif final. Finalement, quel est l’objectif final : être réélu ou porter un projet de société ? Et ça c’est une question qui est intéressante mais qui ne révèle pas non plus les contraintes du politique aujourd’hui. On sait très bien que ça appartient à un système politique bien plus vaste dans lequel les politiques eux-mêmes ne sont pas les seules parties prenantes.
Le PS a toujours été plus un parti de masse de cadres que de militant·e·s. Comment est-ce qu’on perçoit tout ce qui se passe au sommet ?
Il y a évidemment pas mal de choses que l’on perçoit de manière très lointaine. Elles peuvent alors devenir difficiles à comprendre. Mais on ne peut pas être à 30 000 dans une pièce : c’est la réalité d’un parti aussi important que le PS. Cela n’empêche pas de voir aussi dans cette distance, peut-être une peur du contact. Ce qui est dommage. Et en ce sens-là, ne pas se soucier de savoir ce que l’autre a vraiment retenu et compris d’un processus de décision politique peut être à l’origine de beaucoup de malentendus ou de méprise. Cette déconnexion avec la base et l’accès difficile aux sphères décisionnelles du parti doivent faire l’objet d’une profonde réflexion. En même temps, il y a aussi de la place pour ceux et celles qui aimeraient s’investir quand ils ou elles marquent leur intérêt et leur disponibilité à être constructifs. Il n’y a pas de mystère. Les choses sont simples quand on peut se les approprier, les comprendre. L’enjeu se situe donc dans l’aptitude d’un parti comme le PS à être suffisamment ouvert et lisible pour ne faire qu’un avec ses militant·e·s tout en conservant la discrétion vis-à-vis de l’extérieur, nécessaire à la pratique politique.
Comment continuer à faire de la politique dans un contexte où la politique n’est plus crédible aux yeux des citoyens ?
Pourquoi fait-on de la politique ? Si on prétend la faire pour les autres, je pense qu’on n’est pas totalement lucide. En vérité, les citoyen·ne·s ont tou·te·s bien le droit de dire « qui êtes-vous pour faire de la politique à ma place ? ». Je trouve que c’est d’ailleurs l’élément le plus positif et le plus constructif qui peut ressortir de cette grande crise de la démocratie : cette prise de conscience que la politique appartient à tout le monde.
Si on veut continuer à faire de la politique, la meilleure posture est celle de l’ouverture et d’être capable de se remettre en question. Dans le même temps, je ne pense pas que l’on puisse se passer des partis. De nombreuses structures infra-politiques ont vu le jour ces dernières années, notamment des mouvements de gauche qui ont été féconds dans la production d’idées nouvelles. Ces espaces sont indispensables, je pense. Ils sont autant de lieux d’apprentissage où l’exercice politique est déjà effectif : comment décider à plusieurs, comment organiser une action politique, etc. Et il est certain que pour redorer la figure politique, il faut passer par un travail collectif de ce genre, qui dépasse largement le cadre de la sphère strictement politique, au plan institutionnel.
Mais cette reconstitution doit se boucler avec et dans les partis. C’est la seule manière pour notre démocratie, me semble-t-il, de pouvoir effectivement se renouveler.
De l’influence de ces mouvements spontanés, du résultat de ces évènements qui marquent cette crise de la démocratie, la question est de savoir que va-t-on gagner, que va-t-on perdre dans tout ça ? Comment replacer le citoyen au centre du politique ? Quoiqu’il en soit, les réponses ne seront pas simples, mais en même temps, si on ne veut pas ça, on ne peut prétendre défendre les meilleures valeurs du monde. Il faut demander l’impossible sinon cela ne sert à rien.
Peut-on encore parler d’une opposition droite/gauche à l’heure actuelle ? Les frontières ne sont-elles pas devenues remarquablement floues ?
Oui. Évidemment qu’il y a une gauche et une droite. L’enjeu est justement dans cette hypothèse du flou entre les deux. Il n’y aurait plus de ligne de démarcation alors qu’en réalité, cette ligne de démarcation est plus criante que jamais. S’il y a du flou c’est parce qu’on s’est fait voler notre syntaxe de gauche par des discours beaucoup plus généralisés de tendance libérale. C’est aussi cela qui participe de cette impression d’un dépérissement de la gauche. On ne sait plus comment se dire nous-mêmes parce que chaque mot qu’on avait inventé, on se l’est fait piquer. Pour moi c’est un faux débat. La question c’est juste de savoir comment est-ce que les socialistes ou la gauche en général peut générer des rapports de force qui lui sont favorables.
Propos recueillis par Violaine Wathelet.