Politique
Homosexuel(le) et musulman(e)
26.04.2013
Dans quel but collaborez-vous avec des associations interculturelles ? Sam : D’abord, nous souhaitons pouvoir entrer en contact pour aborder la situation des LGBTQI. Nous cherchons à travailler avec les associations de femmes car, dans la culture musulmane, comme dans de nombreuses cultures, l’éducation passe par les mères. Nous partons de leurs réalités de vie. Nous voulons briser le tabou et créer de la solidarité, mais nous visons aussi l’émancipation des femmes, qui est une question très importante pour notre association. Beaucoup de femmes ne parlent pas la langue du pays d’accueil. Parfois, elles ne savent ni lire ni écrire. Elles n’ont alors pas d’accès direct à l’information. Elles ont l’image de l’interdit religieux sur l’homosexualité. Saïd : Le second objectif est de travailler sur les discriminations. Prenons un exemple. Si je cherche un logement et que le propriétaire refuse de me le louer, que ce soit en raison de mes origines, de mon orientation sexuelle ou pour toute autre raison, au final, le résultat est le même, je n’ai pas de logement et je suis discriminé. Nous estimons qu’une discrimination est égale à une autre et qu’il faut toutes les combattre, quelle qu’en soit la cause. Nous devons être solidaires entre nous pour pouvoir mieux lutter contre les comportements discriminants. Il ne peut y avoir de hiérarchie dans le domaine parce que les conséquences sont finalement les mêmes. Quels sont les problèmes que rencontrent les personnes qui viennent à Merhaba ? Sam : Notre public cible rencontre ses principales difficultés dans les conflits d’identité. Ils sont en questionnement face à leur orientation sexuelle, mais ce questionnement s’accompagne d’une dimension culturelle et cultuelle, ils s’interrogent sur la loyauté par rapport à leur famille, leur culture, leur religion. La religion joue un grand rôle. Les personnes sont tiraillées entre leur foi et leur homosexualité. Elles font face à plusieurs choix : certaines rejettent leur religion, d’autres n’assument pas leur homosexualité ou tentent de combiner les deux et vivent une double vie. Mais il y a aussi des personnes qui ont informé leur famille, elles n’ont pas été rejetées, mais l’information reste privée. Justement, nous parlons de religion, il y a de nombreux préjugés qui existent, principalement vis-à-vis de la culture musulmane, sur le rejet de l’homosexualité. Comment percevez-vous cela dans vos relations avec les autres associations ? Saïd : Il y a beaucoup de problèmes ces dernières années autour des violences vis-à-vis des LGBTQI. Dans les médias, le problème est surtout dépeint comme issu des minorités culturelles ou un problème musulman. Si on regarde les chiffres, on ne peut pas dire qu’ils sont hyper-tolérants, mais il y a également énormément de personnes belgo-belges qui commettent ces violences. Nous avons réalisé une affiche dans ce sens contre toutes les discriminations où nous cherchons à inviter les personnes à ne pas faire subir aux autres ce qu’elles subissent elles-mêmes. Nous devons contrecarrer cette image car ce n’est pas la solution. De plus, une étude a prouvé que plus on détériore l’image de quelqu’un et plus cela engendre de violence, même si nous n’excusons nullement ces attitudes. Sam : Si on revient sur le cas du meurtre d’Ishane Jarfi à Liège, qui a été caractérisé comme crime homophobe par la juge d’instruction, on voit que la question des violences est plus complexe. On a dépeint le crime comme homophobe alors que la dimension culturelle a peut-être également joué, voire est la cause première. Mais c’est peut-être aussi d’autres éléments qui sont intervenus. Les associations LGBTQI ont plutôt mis l’accent sur l’homosexualité. Suivant le regard qu’on prend, on verra les choses différemment. Le risque n’est-il pas de créer une forme de « concurrence » entre les discriminations ? Sam : Si, justement, et c’est bien un des problèmes. Les gens sont utilisés alors qu’au final le résultat est le même, ce jeune homme a été assassiné. C’est vraiment la polarisation des discriminations et c’est très dangereux. Voilà pourquoi il est important d’avoir des associations qui combinent les questionnements d’orientation sexuelle, de genre, de religion, de culture… Et les responsables de l’association rencontrent toujours des difficultés ? Sam : Oui, bien sûr. Cela explique pourquoi vous entendez peu parler de Merhaba. Nous ne crions pas sur les toits notre travail. Nous privilégions le travail d’animation, la collaboration avec les associations. Cette double appartenance est complexe. Pour certains, être musulmane, voilée et lesbienne est simplement inconcevable. Elles existent pourtant y compris dans les pays du Maghreb. Dans ces pays-là, les homosexuels trouvent un moyen de le vivre, ils s’adaptent comme nous le faisons ici. La solution n’est pas seulement d’être visible, si je comprends bien ? Sam : Un des problèmes, c’est qu’on réduit l’homosexualité à la question de la sexualité. Le plus important pour moi, c’est de vivre une relation d’amour. Il y a des homosexuels qui font ce que leurs parents leur demandent par loyauté, par amour, par respect et c’est mal perçu en Occident. Ils choisissent de garder l’harmonie dans la collectivité. Ce n’est pas un déni, ce n’est pas pour renier. Peut-on être heureux en étant caché ? Sam : La question n’est pas d’être heureux, mais de trouver l’harmonie, trouver l’équilibre entre ses besoins et ceux de son entourage. L’aspect collectif est essentiel. C’est finalement cet aspect qui est le plus difficile à comprendre pour les Occidentaux… Sam : Oui. C’est en partie lié à la culture occidentale où la responsabilité est individuelle. Dans les cultures musulmanes, comme dans d’autres, elle est collective. Celui qui s’écarte, on doit aller le rechercher car cela perturbe l’harmonie. Notre public cible ne veut pas choisir. La famille qui peut rejeter est la même que celle qui protège. Propos recueillis par Joanne Clotuche et Maryam Benayad.
Merhaba signifie « bienvenue » en arabe et en turc. Il s’agit d’une association interculturelle Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queer ou en questionnement et intersexués (LGBTQI) créée en 2002. Elle rassemble des personnes LGBTQI issues de minorités ethniques, plus précisément des pays du Moyen-Orient, du Maghreb, de Turquie, mais pas seulement, et leur entourage. La majorité d’entre elles est de culture musulmane. Les associations LGBTQI intègrent généralement peu la question interculturelle, ce que Merhaba souhaite pour sa part développer. Activités proposées : cafés orientaux, soirées, rencontres, animations mais aussi des formations à destination des professionnels et des intervenants sociaux confrontés à ces matières. L’association a été initiée par des Flamands, mais elle cherche aujourd’hui à mieux se faire connaître en Belgique francophone. La plupart des associations LGBTQI sont avant tout préoccupées par le coming out qui vise à annoncer publiquement, à sa famille, ses amis, son milieu professionnel, son orientation sexuelle. À Merhaba, la préoccupation première, c’est le coming in, c’est-à-dire l’acceptation de sa propre orientation sexuelle, l’amélioration de l’image de soi et la capacité de rencontrer d’autres personnes.