Guerres et conflits
Guerre à Gaza : à l’approche des élections, les gauches belges au diapason
25.01.2024
La gauche s’est largement mobilisée lors de la dernière marche nationale pour un cessez-le-feu à Gaza, confirmant l’importance qu’elle accorde à la solidarité avec le peuple palestinien.
Ce 21 janvier 2024 dans les rues de Bruxelles, c’est un Paul Magnette à l’assurance des grands jours qui s’exprimait depuis la manifestation de solidarité avec la Palestine dans une vidéo sur X (ex-Twitter). Quatrième mobilisation du genre à être organisée par une large coalition de la société civile, il s’agissait de la première à pouvoir s’honorer de la présence du président du parti socialiste (PS), qui entendait bien la faire savoir.
« […] Le parti socialiste a obtenu que le gouvernement belge plaide pour qu’il y ait un cessez-le-feu immédiat et que l’on soutienne la démarche de l’Afrique du Sud [auprès de la Cour internationale de justice (CIJ)] pour faire cesser le risque de génocide » pavoisait-il, en référence à la clarification politique de la majorité Vivaldi, opérée deux jours plus tôt en Conseil des ministres restreint.
L’autosatisfaction de Magnette a dû faire bondir le PTB-PVDA. Le parti de gauche radicale a en effet souligné, à juste titre, que la Belgique ne s’engageait qu’à appliquer les mesures d’urgence que pourrait demander la CIJ, et non à soutenir l’enquête à proprement parler. Des dents ont sans doute également dû grincer chez Ecolo, en entendant qu’une exigence, avancée dès le 9 janvier par les Verts, autrement dit avant la première communication du PS sur le sujet, était présentée comme un succès rouge.
La participation ostensible du pilier socialiste témoigne de la centralité prise par la cause palestinienne.
Cela dit, l’essentiel est ailleurs. La participation ostensible de l’intégralité du pilier socialiste (parti, mutualités, syndicat, jeunesse) témoigne en effet de la centralité prise en son sein par la cause palestinienne. Quel contraste avec la social-démocratie française, dont le jeune espoir Raphaël Glucksman s’illustrait quelques jours plus tôt par une série de votes anti-palestiniens au Parlement européen ! Mi-octobre 2023, la question palestinienne, ou plus exactement les querelles autour de la qualification du Hamas de « terroriste », ont d’ailleurs contribué à l’implosion de la Nupes, la coalition électorale qui réunissait outre-Quiévrain socialistes, communistes, insoumis et écologistes.
Au sein du plat pays, point de guerres des gauches sur le sujet. Après un moment de flottement suite au choc des atrocités perpétrées par les groupes armés palestiniens le 7 octobre, les divergences en la matière entre Rouges, Roses et Verts paraissent de plus en plus cosmétiques. Sur le fond, tous ces segments de la gauche belge se rejoignent de longue date sur la réalité de l’apartheid israélien, la nécessité de sanctionner Israël ou encore l’urgence d’interdire le commerce avec les colonies israéliennes situées en territoire palestinien occupé.
Propalestinien de la première heure, le PTB, tente certes de maintenir sa singularité depuis le confort de l’opposition en pointant, ici comme sur d’autres dossiers, les contradictions entre les déclarations et les actes de ses rivaux participationnistes. Reste que ceux-ci ont accordé à la question palestinienne une importance qu’elle n’avait pas jusqu’alors, au point qu’elle constitue une fréquente source de friction au sein de la majorité fédérale, en particulier depuis le 7 octobre.
Une cause également populaire en Flandre
D’ordinaire plus timorés que leurs partis frères sur la thématique, notamment lors des négociations de formation de l’actuel gouvernement, Vooruit et Groen n’ont, depuis le début de la guerre à Gaza, ni à rougir, ni à verdir de leurs positionnements. La ministre socialiste de la Coopération Caroline Gennez, qui avait déjà fait sortir de ses gonds l’ambassadrice israélienne en septembre 2023 pour avoir dénoncé le nettoyage ethnique en cours en Cisjordanie, est particulièrement en verve sur le sujet. Sa collègue écologiste Petra De Sutter a été pour sa part l’une des premières membres de la Vivaldi à exiger des sanctions contre Israël, dans une vidéo TikTok devenue virale.
Les positionnements politiques flamands réservent des surprises.
Dans un paysage politique flamand à la fois ancré à droite et historiquement sensible aux luttes de libération nationale, certains positionnements réservent des surprises. Le CD&V est ainsi l’un des signataires d’une proposition de loi d’interdiction des produits des colonies israéliennes. L’expression publique du Premier ministre libéral Alexander De Croo en faveur d’un strict respect du droit international humanitaire lors de sa tournée au Proche-Orient début décembre lui a valu d’être traité de terroriste par Israël. Son ancien président de parti, Egberg Lachaert s’est, quant à lui, parfois laissé aller à des sorties que ne renieraient pas des militants propalestiniens.
Un angle d’attaque pour la droite
À l’inverse, le camp nationaliste flamand s’est, à quelques nuances près, aligné sur Tel-Aviv. À l’image de l’écrasante majorité des forces d’extrême droite occidentales, le Vlaams Belang, qui y voit une occasion de se laver à peu de frais des accusations d’antisémitisme, perçoit Israël comme le rempart de l’Occident contre le fondamentalisme islamique. Cette conception est partagée par le Président de la NVA Bart De Wever, qui affirmait quelques jours après le 7 octobre : « Aujourd’hui, il n’y a qu’un seul camp à choisir : c’est le côté d’Israël. Le côté de la démocratie, le côté de la lumière. Contre les forces de la tyrannie et des ténèbres. » Tournant le dos aux sympathies nationalistes propalestiniennes historiques de la Volksunie pour privilégier un ancrage conservateur, son parti y trouve prétexte pour mieux marginaliser la gauche, y compris à travers une criminalisation accrue du milieu associatif.
Ce qui pourrait apparaître comme une croisade anti-palestinienne s’inscrit dans la stratégie de polarisation du MR contre les « cinquante nuances de gauche ».
Cette stratégie est aussi celle du MR. Si les libéraux francophones revendiquent une position d’équidistance sur la question israélo-palestinienne, leur parti-pris pro-israélien est manifeste. À bien des égards, leur communication épouse le discours du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Le parti s’efforce également d’empêcher l’adoption de mesures susceptibles de mettre fin à l’impunité dont bénéficie Israël. À l’issue d’un débat de « Jeudi en prime », sur la Une le 9 novembre, face à un Paul Magnette alors encore hésitant sur le sujet, son président Georges-Louis Bouchez s’était félicité d’avoir démontré que la Vivaldi n’exigeait pas un cessez-le-feu immédiat.
Ce qui pourrait apparaître comme une croisade anti-palestinienne des libéraux s’inscrit dans leur stratégie de polarisation consistant à tracer une frontière entre eux et les « cinquante nuances de gauche ». À mesure que progressait l’indignation devant le désastre humanitaire à Gaza, le MR a timidement infléchi son positionnement, en manifestant une plus grande empathie pour les victimes civiles palestiniennes. Sans pour autant dévier de sa ligne : s’insinuer aux yeux de l’opinion dans les failles que peuvent représenter, pour la gauche, les soupçons d’antisémitisme, de communautarisme ou de complaisance avec le terrorisme. Une manœuvre dont Bouchez, aficionado de la politique française, sait qu’elle a fait ses preuves contre la gauche hexagonale.
Des positionnements payants électoralement ?
À moins de six mois des élections du 9 juin, ces différents partis-pris porteront-ils leurs fruits ? Un rare sondage réalisé sur le sujet à l’occasion du baromètre trimestriel Ipsos/Le Soir/RTL de décembre appelle à la prudence. À prendre avec les précautions d’usage – en particulier s’agissant de l’unique enquête sur la question depuis le 7 octobre – il laisse entrevoir un public avant tout circonspect à l’idée de « choisir son camp » : seuls 12% des Belges affirment qu’il faudrait opter pour celui des Palestiniens et 8% celui des Israéliens, une majorité privilégiant la neutralité (38%) ou l’absence de positionnement (25%).
La popularité de la cause palestinienne grimpe parmi la jeunesse, mais les disparités régionales compliquent l’équation.
Si la popularité de la cause palestinienne – 23% – grimpe parmi la jeunesse, cœur de cible de la gauche, les disparités régionales compliquent l’équation. Alors qu’elle atteint 23% à Bruxelles, soit près du double de la moyenne nationale, elle tombe à 9% en Wallonie, légèrement en dessous de celle exprimée pour Israël (11% en Wallonie, soit davantage qu’en Flandre). Symétriquement, l’opportunité d’une reconnaissance belge d’un État de Palestine, plébiscitée à 33% et rejetée à 17%, recueille 46% d’avis favorables à Bruxelles, contre seulement 31% en Wallonie.
Signe d’une certaine fébrilité, le député libéral bruxellois Michel De Maegd a récemment opéré une courbe rentrante…
La plus forte centralité de la question palestinienne dans la capitale pourrait donc y contrarier les ambitions régionales du MR. Sa ligne pro-israélienne pourrait en effet grever sa marge de progression dans les quartiers d’immigration turque et maghrébine, dans laquelle il tablait sur l’impopularité du plan de mobilité « Good Moove ». Signe d’une certaine fébrilité, le député libéral bruxellois Michel De Maegd a récemment opéré une courbe rentrante en réfutant fermement l’idée que le MR bloquerait toutes mesures en faveur d’un cessez-le-feu, ce que déploraient certains de ses partenaires de gouvernement. Présentée comme l’ « atout diversité » des listes régionales du MR à Bruxelles, la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib pourrait également malencontreusement pâtir de l’intransigeance de son parti.
À l’inverse, ce qui pourrait être perçu comme un surinvestissement de la question palestinienne pourrait couter des plumes à certains partis de gauche en Wallonie. La brusque chute du PTB constatée dans ce même baromètre de décembre dans le Sud du pays (- 6 points par rapport à celui de septembre, contre + 4 à Bruxelles), pourrait servir d’avertissement au PS, dont un certain électorat populaire apparaît moins sensible à la thématique. Une hypothèse qui ne tient pas compte de possibles glissements futurs de l’opinion, dans un contexte où les nouvelles révélations sur la tragédie qui se joue à Gaza affaiblissent de jour en jour le récit des autorités israéliennes.