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On enterre bien l’enseignement qualifiant. Grève prolongée dans l’enseignement communal liégeois face aux réformes Glatigny

© Adrian Thomas
© Adrian Thomas

Deux jours de grève viennent d’être annoncés à l’échelle francophone par le front commun syndical enseignant pour les 27 et 28 janvier 2025, avec une grande manifestation prévue à Bruxelles. Entretemps, des mobilisations ont déjà lieu, notamment à Liège, depuis ce 10 décembre 2024. Une manifestation se déroule aussi aujourd’hui, vendredi 20 décembre.

Des actions syndicales mobilisent le personnel enseignant de la Ville de Liège depuis le 10 décembre. En cause, le décret-programme de la ministre de l’Éducation Valérie Glatigny (MR) voté ce 11 décembre au Parlement de la FWB. Ce mouvement s’est mué en grève dès lundi dernier, 16 décembre, dans presque tous les établissements secondaires du réseau, touchant des centaines de fonctionnaires et des milliers d’élèves. Une grande manifestation se déroule aujourd’hui 20 décembre dans les rues de Liège, sous la forme d’un cortège funèbre de l’enseignement qualifiant.

Un réseau d’écoles comme tant d’autres en Fédération Wallonie-Bruxelles 

L’ECL compte une série d’écoles secondaires professionnelles qui forment des jeunes à divers métiers tels que l’horticulture, l’hôtellerie, la construction, la mécanique, la comptabilité ou l’infographie. Certaines proposent un apprentissage unique dans le bassin mosan, voire plus encore (comme Léon Mignon, l’une des seules écoles d’armurerie en Europe). Or le “décret Glatigny” met en péril leur existence même. 

Selon le calcul du pouvoir organisateur, au moins 43 emplois seraient supprimés prochainement : 10% de l’effectif concerné.

Au programme : la fin de l’accès à une 7e professionnelle aux élèves déjà détenteurs d’un CESS (ou équivalent étranger), la non-réinscription d’élèves majeurs en 3e ou 4e secondaire, la réduction de 3% des capitaux-périodes pour l’encadrement du qualifiant, la diminution de 58 à 46 millions pour le financement des bâtiments scolaires et même une remise en cause du principe de gratuité scolaire. 

Selon le calcul du pouvoir organisateur de l’ECL, au moins 43 emplois (équivalent temps plein) seraient supprimés prochainement au sein du réseau, c’est-à-dire près de 10% de l’effectif concerné : des professeurs mais aussi des éducateurs et des chefs d’ateliers. Plusieurs acteurs de terrain considèrent cette estimation trop basse et s’attendent à une saignée plus forte encore, à l’heure où les défis sont pourtant tout autre.

Les enfants de la classe travailleuse premiers touchés

L’enseignement qualifiant représente souvent une précieuse accroche sociale, une porte d’entrée vers un métier de qualité et une réelle formation citoyenne pour nombre d’enfants de la classe travailleuse. Les changements annoncés sonnent-ils la fin du modèle belge francophone, qui pourrait dériver rapidement vers un système comme on le connaît en Allemagne, éloignant les jeunes de l’instruction obligatoire pour les introduire directement en apprentissage dans les entreprises ?

L’enjeu du maintien de ces filières organisées est donc à la fois démocratique, social et économique, car elles offrent un parcours scolaire diversifié, gratuit et doté d’une approche pédagogique spécifique et reconnue. Cette variété de sections forme une sorte d’écosystème où la perte d’un emploi nommé dans un établissement aura des répercussions sur un autre, qu’il soit technique ou général. D’aucuns sont peu communes, si ce n’est très rares comme l’armurerie (fondée il y a 127 ans !). La disparition potentielle de 7,7% à 35% du cadre enseignant (selon le calcul du pouvoir organisateur) provoquerait l’effondrement de ce fleuron liégeois, qui attire pourtant des apprentis de tout le pays mais aussi des quatre coins de France. C’est tout un patrimoine industriel et un savoir-faire réputé qui s’effacerait irrémédiablement.

L’enjeu du maintien de ces filières est à la fois démocratique, social et économique.

Ces menaces sont perçues avec autant d’inquiétude dans les autres réseaux d’enseignement, publics ou libres, et de promotion sociale. De nombreux professeurs témoignent d’ailleurs d’une colère inédite du personnel enseignant partout en FWB, comme l’ont montré les multiples rassemblements du 26 novembre qui ont eu lieu à Liège (avec 10 000 manifestants) mais aussi à Bruxelles, Charleroi, Namur, Verviers, Wavre, Bastogne, …Entretemps, le mouvement à Liège va se poursuivre jusqu’aux vacances d’hiver, avec une forte mobilisation des enseignants mais aussi des élèves. Un bloc étudiant s’est ainsi constitué, en particulier au sein des écoles artistiques liégeoises, et promet un soutien sans faille aux actions syndicales, y compris par la diffusion abondante  de vidéos et publications sur les réseaux sociaux avec le mot-dièse #ecoleendanger. 

Les grévistes comptent d’ici-là tenir leurs piquets, battre le rappel pour le cortège de vendredi qui passera devant les sièges des partis de la majorité (MR-Engagés) et sensibiliser leurs collègues (et le grand public) aux multiples périls du décret Glatigny. Divers partis les ont également rencontrés et ont relayé avec plus ou moins d’ardeur leurs revendications (PS, PTB, Ecolo). Voilà un mouvement qui rappellera à beaucoup les grandes grèves des enseignants des années 1990, avec peut-être une issue différente.