Élections • Partis politiques
Formation des gouvernements : pourquoi ça bloque ?
06.11.2024
Officiellement, les élections ont été marquées, en Flandre comme en Wallonie, par une progression de la droite. Mais la situation est plus complexe.
Alors que les coalitions semblaient pouvoir se mettre en place facilement à l’issue des élections régionales, l’échafaudage institutionnel belge continue de grincer à plusieurs niveaux, amenant les journalistes à se livrer à toutes sortes de considérations psychologiques sur les difficultés à former un gouvernement. Au risque d’évacuer trop rapidement les facteurs structurels pesant sur le jeu des coalitions.
Un jeu moins évident qu’il n’y paraît
Les supputations entourant les actions de Georges-Louis Bouchez dans les négociations pour former un gouvernement fédéral sont l’exemple le plus frappant de la psychologisation de la vie politique. Alors qu’une version de la taxation des plus-values se trouvait déjà dans une précédente note, le président du MR a choisi symboliquement de faire dérailler les négociations. Sa victoire aux élections de juin lui donne des ailes. Et il n’entend pas que le Vooruit vienne contrecarrer ses projets marqués à droite.
Pour Bart De Wever, les choses sont différentes. Comme l’a indiqué le rédacteur en chef d’Apache, Karl Van den Broeck, sur le site internet d’information, le chef de la N-VA joue sur trois échiquiers à la fois : à Anvers, en Flandre et au fédéral. Il a besoin en toute hypothèse de l’appui du Vooruit pour deux de ces niveaux. Or, ce dernier parti n’entend pas remiser trop vite ses valeurs de gauche, d’autant que le PTB-PVDA le talonne en Région flamande.
Par ailleurs, l’arithmétique de ces coalitions fédérale et flamande n’est, elle, pas aussi intuitive qu’on l’aurait cru. Officiellement, les élections ont été marquées en Flandre comme en Wallonie par une progression de la droite. Mais les flamingants y voient autre chose : une asymétrie grandissante entre les partis-frères.
Le politologue Bart Maddens de la KU Leuven, va jusqu’à affirmer que la convergence droitière entre Flamands et Wallons dissimule des divergences grandissantes entre les anciens piliers unitaires. « Le MR et Vooruit se trouveraient placés dans une position difficile si leur parti frère opte pour l’opposition », a-t-il déclaré il y a peu. « Il n’y a pas de gouvernement homogène de centre-droit », et cette « erreur de construction » « pèse plus lourd que les humeurs de Bouchez ».
Zizanie à la N-VA
Maddens donne ainsi une meilleure explication aux inconstances de Bouchez que les analyses psychologiques de ces dernières semaines. L’entêtement du président du MR sert surtout à contre-argumenter face à l’idée de deux cultures politiques distinctes. D’abord porté aux nues dans l’opinion flamande, il s’y trouve aujourd’hui discrédité. Il allait offrir au Flamand de droite la politique que ce dernier espérait ; il est désormais le saboteur, qui fait primer son ego sur la raison d’État.
Les raisons de cette frustration sont logiques. D’une part, le monde des affaires en Belgique voit dans le résultat général des élections une opportunité historique pour mener à bien des réformes structurelles déjà mises en place par les États voisins. Ce qui, selon Bouchez, peut se réaliser sans problèmes au fédéral – impliquant, du même coup, la mise au rebut des plans séparatistes de Bart De Wever.
D’autre part, cependant, l’arrière-garde des anciens de la N-VA ne peut que s’en trouver frustrée. La Flandre est en effet un cas unique au niveau européen : c’est la seule majorité régionale qui n’ait pas réussi à se doter d’un État à la fin du vingtième siècle, comme le membre de la Volksunie, Hugo Schiltz, s’en plaignait déjà.
Le nationaliste flamand, et futur Vice-Premier ministre belge (1988-1991), attribuait cette impuissance au fait que le flamingantisme était dépourvu d’une tradition « étatique » et ne disposait donc pas d’un projet clair d’émancipation politique.
Un pouvoir économique vacillant
Des ressorts économiques semblent également jouer un rôle. C’est précisément parce qu’une bourgeoisie flamande a pris en main le pouvoir économique, à la fin du vingtième siècle, que le projet institutionnel, lui, a été négligé. Mais quelle est la solidité actuelle de ce pouvoir économique flamand ?
On n’en a guère parlé dans le tumulte de ces dernières semaines, mais plusieurs journaux ont récemment fait part d’une observation inquiétante : 2023 a été l’année la plus difficile en termes de faillites industrielles, avec des records tout aussi sanglants dans l’Horeca et la construction.
L’arrière-garde de la N-VA ne peut qu’être frustrée par cette convergence Nord-Sud.
La cause principale de la crise industrielle est facile à deviner : c’est moins la dette publique ou le handicap salarial en Belgique que la stagnation de l’économie allemande, qui perd du terrain sur le marché international des véhicules électriques et souffre du coût élevé de l’énergie. Ce mois encore, on a entrepris des tentatives désespérées pour exploiter des réserves de lithium en Serbie, une initiative qui a poussé à l’action jusqu’au directeur de la CIA.
Ce retard sera-t-il résorbé à temps ? La question est délicate. En définitive, le handicap salarial de l’économie belge ne représente pas grand-chose face à la force concurrentielle du noyau allemand en Europe. Et sous cet angle, l’analyse psychologique des observateurs de la rue de la Loi paraît bien futile.
Initialement paru dans DeMorgen. Traduction française et adaptation par Serge Govaert et Martin Georges.