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Fin des cours de religion à l’école : une annonce de retrait restée sans suite

©Simpacid
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En février 2023, on annonçait dans la presse le retrait des cours de religion et de morale de la grille horaire de l’enseignement officiel. Un an plus tard, le constat est sans appel : rien n’a changé. Pour nos enseignants, les parents, les élèves, les syndicats, les partis, les enjeux sont multiples et l’avenir demeure plus que jamais incertain.

Février 2023. « Enseignement  : les cours de religion et morale ne seront plus qu’optionnels » titre Le Soir. Qui précise : « Recevoir un cours de religion ou de morale à l’école ne sera bientôt plus qu’une option. Prudent mais déterminé, le gouvernement francophone avance vers leur retrait de la grille horaire »1.

Février 2024. Rien n’a changé en Fédération Wallonie-Bruxelles. Dans l’enseignement obligatoire, les élèves inscrits dans un établissement du réseau officiel continuent à suivre soit une heure de l’une des religions reconnues en Belgique2, soit une heure de morale non confessionnelle, soit une deuxième heure du cours de philosophie et de citoyenneté (CPC), tous les élèves suivant par ailleurs le CPC à raison d’une heure par semaine depuis 2017. Quant aux élèves inscrits dans une école du réseau libre confessionnel, ils continuent à suivre deux heures de la religion correspondant au projet de l’école, et n’ont pas de cours de philosophie et de citoyenneté. Rappelons à ce propos qu’en Belgique, une majorité d’élèves sont inscrits dans un établissement du réseau libre catholique ; leur pourcentage atteint même 68,9% dans l’enseignement secondaire néerlandophone3.

De timides avancées

Que s’est-il passé pendant l’année qui vient de s’écouler ? Bien peu de choses, en fait. Pourtant, une dynamique de changement avait été enclenchée. Décidant de s’inscrire dans le sillage des nombreux critiques qui, depuis plusieurs décennies, dénoncent le caractère monoconfessionnel de l’enseignement des religions dans les écoles officielles – puisque qu’un élève ne peut suivre, chaque année, qu’un et un seul cours de religion, à l’exclusion de tous les autres et du cours de morale –, et pointent également les lacunes des cours de religion, ainsi que les difficultés causées par leur organisation, le gouvernement Jeholet (coalition PS, MR et Ecolo) avait décidé de confier à un groupe de travail au sein du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le soin d’examiner l’extension du cours de philosophie et citoyenneté (CPC) à deux heures par semaine. Ce dernier a effectivement recommandé la généralisation du cours de CPC à deux périodes par semaine et la relégation des cours de religion et de morale non confessionnelle en dehors de la grille horaire. Dans la foulée, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté, majorité (plus le vote du parti Défi) contre opposition, une résolution demandant au gouvernement de suivre cette recommandation.

L’enjeu constitutionnel

Mais pourquoi les parlementaires n’ont-ils pas proposé la suppression pure et simple des cours de religion et de morale dans l’enseignement officiel ? Essentiellement en raison d’une impossibilité constitutionnelle. En effet, l’article 24 de la Constitution proclame, en son paragraphe 1er, que « les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ». Pour son interprétation, les constitutionnalistes sont divisés ; certains soutiennent une vision littéraliste du texte, selon laquelle les écoles sont tenues d’organiser les cours, mais les élèves ne le sont pas de les suivre. D’autres s’appuient sur l’intention du constituant de 1988, à savoir « bétonner » les garanties apportées par la loi du Pacte scolaire de 1959, pour estimer, par conséquent, que ces cours doivent faire partie de l’horaire obligatoirement suivi. Le groupe de travail a choisi de suivre la première de ces deux interprétations ; mais tant qu’elle n’aura pas subi le test de la Cour constitutionnelle, il est impossible de trancher définitivement.

La suppression pure et simple des cours de religion est une impossibilité constitutionnelle.

Remarquons que, de façon très intéressante, le prescrit constitutionnel est amené à subir un autre test. Le gouvernement fédéral a en effet déposé à la Chambre le projet de loi de reconnaissance du bouddhisme en tant que philosophie et non en tant que religion, se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 181 de la Constitution. Si la loi est votée, l’Union bouddhiste de Belgique (UBB) deviendra la deuxième organisation philosophique reconnue et financée, à côté du Conseil central laïque – dont le Centre d’action laïque (CAL) est la branche francophone. Mais le bouddhisme aura-t-il automatiquement le droit d’être enseigné dans les écoles ? Si l’on s’en tient à une interprétation littéraliste de la Constitution, non, car il ne sera pas une religion reconnue ; si l’on s’en tient à l’esprit du texte, le bouddhisme devrait pouvoir organiser ses cours dans les écoles, comme il le souhaite. Mais, la Fédération Wallonie-Bruxelles, désargentée, pourrait ne pas y être spontanément disposée. La cohérence nécessiterait en tout cas que s’impose, soit l’interprétation « minimaliste littéraliste » avec des cours facultatifs et pas de bouddhisme, soit l’interprétation « maximaliste », conforme à l’intention du constituant, ce qui signifierait des cours obligatoires et le bouddhisme enseigné.

La délicate question des enseignants

S’appuyant sur la résolution adoptée par le Parlement, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a rédigé une note d’orientation qu’il a soumise à la concertation, avec les pouvoirs organisateurs et les syndicats. La question de l’emploi des professeurs de religion actuellement en poste a constitué une pierre d’achoppement, dans le contexte d’une possible disparition, ou plutôt quasi-disparition, de leur cours, et compte tenu du fait que tous et toutes ne pourraient pas être chargés du cours de CPC, en raison des lacunes de leur formation, mais aussi de la diminution globale du volume d’heures enseignées.

Interrogée en commission de l’Enseignement, la ministre Caroline Désir (PS) a indiqué : « Si les conditions ne sont pas réunies pour mener à bien cet ambitieux projet au cours de cette législature, la prochaine Déclaration de politique communautaire (DPC) ne pourra en faire l’économie. De mon côté, je poursuis les travaux pour continuer à faire mûrir le dossier et laisser les éléments les plus constructifs possibles aux négociateurs du prochain gouvernement »4.

Il est à noter toutefois que, dans un entretien au journal Le Soir, la ministre a également admis qu’une majorité politique n’était pas réunie en faveur de la réforme. En effet, il semble que le MR ne soit pas, ou plus, partisan de la relégation des cours de religion et de morale en dehors de la grille-horaire5.

Des problèmes en cascade

La situation sera donc inchangée à la rentrée 2024, mais elle est appelée à évoluer. L’organisation actuelle est en effet peu satisfaisante. Le cours de philosophie et de citoyenneté peine à remplir ses missions, avec une seule période horaire par semaine, et l’ajout de la possibilité d’opter pour une deuxième heure de CPC a encore complexifié l’organisation des cours philosophiques, à propos de laquelle les directeurs et directrices d’école s’arrachent les cheveux à chaque rentrée scolaire…

La qualité du contenu des cours et de la formation des professeurs de religions minoritaires continue à être en-dessous de ce que l’on pourrait attendre.

En outre, la qualité du contenu des cours et de la formation des professeurs de religions minoritaires continue à être en-dessous de ce que l’on pourrait en attendre, et l’incertitude actuelle ne permet pas de les améliorer : qui, actuellement, se lancerait avec confiance dans des études pour devenir professeur de religion ? L’exigence de la possession d’un certificat en didactique de religion (CDER) pour pouvoir être engagé a été reportée au 1er septembre 2024.

En particulier, l’enthousiasme en faveur du CDER pour la religion islamique a baissé depuis son inauguration à l’UCL en 2016, alors que les besoins sont grands : le cours de religion islamique est suivi par près d’un quart des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles – et plus de la moitié à Bruxelles. Du côté flamand, en revanche, un investissement soutenu a été consenti en faveur de l’amélioration de la formation des enseignants et du contenu de leurs cours, pour lesquels de nouveaux programmes ont été publiés; ils comprennent impérativement une dimension interconvictionnelle, et les enseignants des différents cours de religion et de morale travaillent en coopération de plus en plus soutenue. Notons également que les premiers manuels belges pour l’apprentissage de la religion islamique sont désormais disponibles en néerlandais.

Un monde francophone encore pilarisé

Si le gouvernement flamand s’est engagé résolument dans la voie d’une amélioration de la qualité des cours de religion, en Fédération Wallonie-Bruxelles, le débat reste plus profondément marqué par l’ancien clivage philosophique et le poids des piliers. Entre un pilier chrétien, désireux de maintenir des cours de religion, et un pilier laïque favorable à leur suppression pure et simple, il n’est pas facile de trouver un compromis. L’opposition qui s’est construite entre la philosophie d’une part, la religion d’autre part, n’est pas aisée à dépasser. Alors qu’il paraît cependant raisonnable de ne pas lier ces deux matières, de développer l’enseignement de la philosophie – et de la citoyenneté – tout en réfléchissant à la façon dont les différentes religions pourraient faire l’objet d’un enseignement idéalement multiconfessionnel, destiné à « faire découvrir aux élèves les religions qui se pratiquent dans leur pays et celles de leurs voisins, à leur faire voir que chacun a le même droit de croire que sa religion “est la vraie” et que le fait que d’autres ont une religion différente, ou n’ont pas de religion, ne les rend pas différents en tant qu’êtres humains »6.

Rendez-vous au prochain gouvernement

Ce dossier sera plus que vraisemblablement débattu lors des négociations pour la conclusion d’un nouvel accord de majorité en Fédération Wallonie-Bruxelles après les élections du 9  juin prochain. Pour que ce futur gouvernement ait les coudées plus franches, il faudrait en fait que l’article 24 de la Constitution soit révisé, ce qui permettrait à chaque Communauté de définir librement les contours de l’enseignement des religions dans ses écoles. Et, si elle le souhaite, de suivre, sait-on jamais, l’exemple des pays qui ont déjà opté pour un cours de religion unique et multiconfessionnel.