Politique
Fer et beau
24.06.2004
Un cirque, avait dit Jean-Denis Lejeune, avant d’aller bravement y faire un tour de piste. Un leurre, une mascarade, un faux procès… Auraient-ils raison, finalement, ceux qui prédisaient que le procès d’Arlon n’accoucherait d’aucune vérité? En tout cas, ils auront tout fait pour que leur sinistre prédiction se vérifie. Rarement procès aura été l’objet d’autant de diversions, tissant jour après jour une sorte de cocon autour du principal accusé. Que pèseront, au moment du verdict, les quelques heures de vérité (dépositions de Sabine et Laetitia, descente dans les caves de Dutroux) face aux interminables semaines de brouillage, d’auditions de témoins délirants et discrédités, de chasses aux coupables sur toutes les fausses pistes annexes possibles et imaginables? Que la défense de Dutroux s’évertue dans ces diversions, c’est son droit et sans doute sa seule marge de manœuvre. Mais l’accusation? Mais les parties civiles? À ce jeu malsain, il y a deux champions : Beauthier et Fermon. Fer et Beau. Faire le beau, ils savent faire. Ils agitent leur toge dans les allées du palais d’Arlon. Ils ont l’art des questions allusives, des regards qui en disent long, des petites phrases avec points de suspension. Dans le grand jeu de rôles du procès Dutroux, ils ont choisi le contre-emploi. Du banc des parties civiles, ils travaillent pour la défense de Dutroux. Quand ils ferraillent, c’est contre le juge et les enquêteurs qui ont accumulé les preuves accablant Dutroux et ses comparses, quand ils pointent les zones d’ombre, c’est pour relativiser la culpabilité de Dutroux, quand ils désignent la geôle de Marcinelle comme une « cache de transit », c’est au mépris du témoignage de celle qui y a vécu l’horreur pendant 81 jours. Fer et Beau varient au gré des audiences. Chaud et froid, un coup à gauche, un coup à droite. Pour un peu ils renverraient dos à dos Dutroux et Langlois. C’est leur côté Vergès. On ne sait trop pourquoi ils sont là, sinon peut-être pour enfoncer Nihoul, ce qui serait assez logique mais qui n’est même pas sûr. Fer et Beau interviennent à tout bout de champ, ils multiplient les coups de gueule, à l’adresse de toutes sortes de témoins, surtout ceux qui représentent le pouvoir judiciaire. On se prend à douter de leur intérêt réel pour l’affaire elle-même. Chacun a un passé d’avocat engagé pour les meilleures causes, ouvriers licenciés, étrangers expulsés, demandeurs d’asiles, persécutés de tous les pays. Chacun a donné de la voix et de son temps pour les victimes des injustices sociales et mondiales. Mais chacun dans son genre : Fermon est un vieux compagnon de route d’Amada. »Alle Macht aan de Arbeiders », l’ancêtre du PTB.. et du PTB, Beauthier a papillonné, des marges de l’ultra-gauche à l’éphémère alliance électorale avec Hendrick, le fondateur de l’UDRT.l’Union démocrate pour le respect du travail, une formation ultra-libérale « poujadiste » créée en 1978 et qui disparut au milieu des années quatre-vingt.., et déployé un grand activisme associatif, chez les Juristes démocrates.L’Association des juristes démocrates regroupe des juristes progressistes d’Europe et du monde.. notamment. Poujadisme ici, gauchisme là, stalinisme et droits de l’homme… Curieux parcours qui ont conduit Fer et Beau jusqu’à Arlon, où ils encadrent la frêle Laetitia de leur noire silhouette justicière. Dans quel but exactement? Disculper Dutroux? Non bien sûr, l’exceptionnelle perversité du personnage les met à l’abri de ce soupçon. Ils savent mieux que nous qui est Dutroux, et ils n’oublient jamais de stigmatiser le monstre en passant, pour nous rappeler qu’ils sont du côté du bien contre le mal. Mais pour eux Dutroux n’est qu’un prétexte et le procès qu’une tribune. Mais quelle tribune! Jamais Fer et Beau n’en retrouveront de pareille. Ils peuvent y remuer la boue tout à loisir, aucun micro, aucune caméra ne leur fera défaut à la sortie. Ils peuvent, sur la scène judiciaire la mieux éclairée de l’histoire belge, insinuer la thèse d’une justice pourrie et d’une démocratie maffieuse, tout empreints de leur noble cause, sans égard pour les victimes de Dutroux, retrouvées mortes, enterrées de ses mains, ou encagées dans ses caves.