Education
Faut-il supprimer les cours de religion à l’école ? Oui !
13.03.2023
En février, le journal Le Soir annonçait que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (PS-MR-Ecolo) avançait vers le retrait du cours de religion et morale de la grille horaire des écoles du réseau officiel, à partir de septembre 2024, au bénéfice d’un supplément d’éducation à la philosophie et citoyenneté. À l’occasion de cette annonce, le débat, qui traverse de nombreux milieux, a repris. Outre le milieu politique, il oppose également des personnes qui partagent l’objectif d’une société inclusive accueillant la diversité culturelle et religieuse. Politique a donné la parole à deux d’entre elles dans son numéro 102 ; sorti en 2017. Vous pouvez retrouver l’opinion contraire, signée Hafida Hammouti, dans cet article.
Au moment où j’écris (août 2017), l’organisation des cours dits « philosophiques » est en train de changer dans l’enseignement officiel (public)… Si le Pacte scolaire de 1959 impose toujours aux écoles des réseaux publics d’offrir le choix entre différents cours, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 oblige désormais ces écoles à accorder une dispense de tout cours de religion ou de morale laïque sur simple demande d’un élève (s’il est majeur) ou de ses parents[1.Cette possibilité d’être dispensé de fréquenter tout cours « philosophique » existe dans les écoles dépendant de la Communauté flamande depuis… 1985.]. Ceci a eu pour conséquence, après l’instauration, dans l’urgence, d’un éphémère « encadrement pédagogique différencié » (rapidement surnommé ironiquement « cours de rien »), la création d’un nouveau cours « de philosophie et de citoyenneté » (CPC), obligatoire pour tous, de la première primaire à la sixième secondaire, à raison d’une période (cinquante minutes) par semaine. Cette période doit remplacer une des deux périodes de cours philosophique pour tous les élèves inscrits à l’un de ces cours. Quant aux élèves dispensés de cours philosophique, ils se voient imposer le cours de CPC à raison de deux périodes par semaine. Cette nouvelle organisation est entrée en vigueur dans l’enseignement primaire en septembre 2016. C’est aussi le cas dans le secondaire au moment où vous lisez ces lignes puisque la date choisie pour ce niveau d’enseignement était le mois de septembre 2017[2.Remarque : si ces changements ne concernent pas l’enseignement libre confessionnel, ils s’imposent tout de même à celles des écoles libres non confessionnelles qui proposaient jusqu’ici le choix entre un cours de morale non confessionnelle et certains cours de religion].
Dès le début de l’année scolaire 2016-2017, Caroline Sägesser tirait un premier bilan, catastrophique, de l’instauration du cours de CPC dans l’enseignement primaire[3.C. Sägesser, « Les débuts chaotiques du cours de citoyenneté », Politique n° 97 (novembre-décembre 2016), p. 12-13.] : problèmes d’organisation horaire quasi inextricables (voir plus loin), difficulté de trouver des professeurs ayant le titre requis, problèmes liés au fait qu’il avait été initialement demandé aux enseignants concernés de choisir de devenir soit professeur de CPC soit de demeurer professeur de religion ou de morale non confessionnelle. Puis, pour permettre aux enseignants de conserver des horaires complets, ceux-ci ont ensuite été autorisés à exercer les deux fonctions à condition que ce soit dans des établissements scolaires différents. Mais comme cette disposition se révéla elle aussi trop difficile à mettre en œuvre, des professeurs furent finalement autorisés à donner les deux cours dans le même établissement, à condition que cela soit dans des classes différentes. Il n’en reste pas moins que durant l’année scolaire écoulée, des professeurs concernés par cette réforme ont parfois dû se partager entre plus de dix implantations différentes. Pour l’année scolaire 2017-2018, la ministre s’est engagée à ce que ce nombre soit limité à un maximum de six.
Casse-tête organisationnel
Quand le Pacte scolaire fut conclu, seuls trois cultes (catholique, protestant et israélite) étaient « reconnus ». Les écoles de l’enseignement officiel ne devaient donc organiser « que » quatre cours philosophiques différents. Ont été « reconnus » depuis lors, les religions orthodoxe, islamique et anglicane[4.En pratique, jusqu’ici, le cours de religion anglicane n’est organisé qu’en communauté flamande.]. Avec le cours de CPC à deux périodes par semaine, les écoles officielles seraient donc susceptibles de devoir organiser, en plus du cours de CPC à une heure, désormais obligatoire pour tous, jusqu’à huit cours différents, en principe simultanément pour éviter aux élèves des heures « de fourche ». Outre le fait que cela coûterait de plus en plus cher à la collectivité (puisque toutes les écoles officielles sont tenues d’instaurer un cours « philosophique » ou un cours de CPC à deux heures/semaine, même s’il n’est demandé que pour un seul élève), l’offre en parallèle de tant de cours différents pose des problèmes d’organisation de plus en plus insolubles. Ces deux seules raisons suffisent à disqualifier ce système.
Mais d’autres raisons, plus fondamentales à mes yeux, devraient conduire à abandonner les cours philosophiques « à la carte ». Et aussi le cours de CPC.
Apprendre le « vivre-ensemble » à l’école
L’École constitue aujourd’hui, pour la quasi-totalité de la population, un passage obligé, du préscolaire au secondaire. Elle est devenue une institution-clé de toute société démocratique. Et, contrairement à ce qui se passe dans le monde associatif où les personnes se trouvent réunies en fonction de leurs affinités (communauté de centres d’intérêts ou d’opinions, mêmes origines géographiques, groupes d’entraide réunissant des personnes affrontant le même type de difficultés…), les écoles, au moins celles qui appartiennent aux différents réseaux publics, font se fréquenter sur le long terme des enfants et des jeunes qui ne sont pas réunis sur base de leurs goûts, opinions ou appartenances culturelles. Elles constituent par conséquent des mini-sociétés où peut s’expérimenter le « vivre-ensemble ». Si cette expérience se passe mal, c’est-à-dire si les élèves vivent comme une épreuve désagréable, voire douloureuse la fréquentation quotidienne d’autres élèves – et de professeurs – issus de « mondes » différents, cela laisse mal augurer de la manière dont ils appréhenderont ensuite le monde « du dehors ».
Dans les écoles publiques, qui sont censées accueillir tous les élèves sans discrimination, la reconnaissance du fait multiculturel devrait, à mon sens, passer par des actes concrets posés par l’institution scolaire. Exemples : acceptation d’éléments vestimentaires témoignant d’appartenances ethniques ou philosophico-religieuses minoritaires (hormis ceux qui relèveraient d’idéologies fascistes ou racistes, manifestement contraires aux valeurs démocratiques qui sont au fondement de l’École publique) ; prise en compte, dans la mesure du possible et en fonction du contexte local, des demandes des parents d’élèves en matière alimentaire dans les cantines scolaires ; aménagement du calendrier scolaire pour tenir compte des absences pour raisons religieuses quand elles concernent un grand nombre d’élèves de l’école concernée. Ces éléments constitueraient des signes indéniables d’ouverture à la diversité ethnique ou philosophique susceptibles de faire en sorte que les élèves issus de minorités se sentent acceptés tels qu’ils sont. Mais si l’École publique doit prendre en compte la diversité culturelle des élèves qu’elle accueille en le manifestant concrètement, cela ne doit pas être au prix du renoncement à ses missions d’enseignement et d’éducation.
Chapelles idéologiques
J’estime qu’il relève des missions de l’école publique d’initier les enfants et les adolescent·e·s au questionnement philosophique (les notions de vérité, de sacré, le sens de la vie, l’amour, la mort, les règles de vie en société, les questions éthiques…) et de les instruire des réponses proposées à ces questions par les principales options philosophiques et religieuses. Ce qui n’est pas le cas jusqu’ici parce que l’état des choses instauré par le Pacte scolaire ne favorise nullement les comparaisons et donc la réflexion personnelle des enfants et des jeunes à propos de ces questions : le fait de séparer les élèves et de les confiner dans des « chapelles » idéologiques choisies une fois par an par leurs parents (ou par eux-mêmes quand ils et elles deviennent majeur·e·s) favorise au contraire l’endoctrinement, d’autant plus que les enseignant·e·s chargé·e·s de ces cours, à la différence de leurs collègues, ne sont pas soumis à l’exigence légale de « neutralité » (interdiction de toute forme de prosélytisme)[5.Cf. Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté (31.3.1994) et Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (17.12.2003).]. Cette séparation me semble aussi propice à une certaine forme de repli communautaire.
Le cours de philosophie et de citoyenneté
L’introduction d’une heure obligatoire de CPC pour tou·te·s, tout en maintenant le droit de choisir, pour une période de cours par semaine, un des cours philosophiques, m’apparaît comme une demi-mesure non seulement ingérable d’un point de vue organisationnel (comme expliqué ci-avant) mais de plus tout à fait inadéquate en regard des objectifs qu’elle est censée poursuivre.
Tout d’abord parce que tous les cours philosophiques ainsi que le cours de CPC pour les élèves (ou leurs parents) ayant opté pour un des cours « philosophiques » seront réduits à une période (cinquante minutes) par semaine. Une durée beaucoup trop courte pour permettre la mise en œuvre de dispositifs didactiques rendant possible pour les élèves des questionnements philosophiques dignes de ce nom[6.Je pense d’ailleurs, plus généralement, qu’une durée de cours de cinquante minutes par semaine est insuffisante pour la plupart des apprentissages, quel que soit le domaine concerné.].
Je m’interroge aussi sur l’intitulé de ce cours : pourquoi le nommer cours « de philosophie ET de citoyenneté » ? L’initiation au questionnement philosophique ne contribue-t-il pas à la formation citoyenne ? Les programmes de ce cours pour le secondaire sont pourtant explicites sur ce point ; dans le paragraphe consacré aux objectifs du CPC, on peut lire qu’il « articule la démarche philosophique aux enjeux et à la pratique de la citoyenneté » et qu’il a pour objectif « de former aux différents enjeux de la citoyenneté ».
Mais il faut par ailleurs noter que le décret relatif à l’organisation de ce nouveau cours lui assigne des objectifs de formation qui, s’ils concernent la formation citoyenne, ne ressortissent pas du domaine de la philosophie[7.Cf. le titre II, article 3, § 3 du Décret relatif à l’organisation d’un cours et d’une éducation à la philosophie et à la citoyenneté.]. Exemples : « la connaissance de notre démocratie : les normes et sources de droit, les droits fondamentaux des personnes, les différents pouvoirs, l’organisation des institutions » ; « la formation aux dimensions politique, sociale, économique, environnementale et culturelle de la citoyenneté, tant sur le plan local que global » ; « la connaissance des grands enjeux et débats des sociétés contemporaines » ; « la connaissance de la communication et des différents moyens d’information » ; « la participation à des activités liées à la démocratie scolaire ou locale ». À la lecture de ce décret et des programmes qui en découlent[8.Programme du cours de CPC pour l’enseignement fondamental. Programme du cours de CPC pour le premier degré du secondaire. Programme du cours de CPC pour les deuxième et troisième degrés du secondaire.], on peut en fait constater que les objectifs d’apprentissages dévolus à ce cours – que sa durée soit d’une ou de deux périodes par semaine – sont démesurés en regard du peu de temps qui lui est accordé dans l’horaire de travail des élèves. Qui trop embrasse…
Je crains également qu’un des effets pervers de cette réforme sera de déresponsabiliser les autres enseignant·e·s et les directions d’école quant à la formation citoyenne des élèves puisqu’un cours sera désormais prévu pour cela. Le décret Missions de juillet 1997 a pourtant fait de l’éducation à la citoyenneté responsable un des quatre objectifs généraux valables pour l’ensemble de la scolarité obligatoire et pour tout l’enseignement organisé ou subventionné par l’État[9.Décret définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire […], article 6.]. Et le décret Citoyenneté de 2007[10.Décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française.] établit non seulement la « mise en place d’activités interdisciplinaires pour une citoyenneté responsable et active » (Titre III) mais aussi des « structures participatives pour les élèves », ceci depuis la cinquième année primaire (Titre IV).
L’éducation à la citoyenneté ne devrait pas être confinée dans une partie d’un cours d’une ou deux périodes par semaine, mais plutôt faire partie du projet éducatif de chaque établissement scolaire et prise en compte non seulement dans chaque cours mais aussi dans l’organisation générale de l’école (réunions de classe, délégués de classe, conseil des délégués, projets « citoyens » interdisciplinaires…).
Pour un seul cours de philosophie
Je suis convaincu que si l’on veut que l’école publique devienne un lieu qui favorise vraiment l’apprentissage positif du « vivre-ensemble » dans une société multiculturelle telle que la nôtre, il faut non seulement que les écoles adoptent des mesures symboliques (plus de liberté en matière d’habillement) et pratiques (aménagements concernant la nourriture et les congés scolaires) pour accueillir vraiment la diversité culturelle en leur sein, mais qu’il faut aussi en finir avec les « cours philosophiques » multiples tels qu’ils ont été imposés par le Pacte scolaire depuis 1959.
La séparation des élèves en fonction de leurs affiliations philosophiques ou de celles de leurs parents pour les initier au questionnement philosophique me paraît contreproductif au regard de l’objectif de l’apprentissage du « vivre-ensemble ». Ma proposition est donc que les « cours philosophiques » soient remplacés par un cours unique (le même pour tou·te·s), non partisan, d’initiation aux questions et aux principaux courants philosophiques. Ce cours dont le but principal serait de nourrir la quête identitaire de tous les jeunes par l’examen comparé des réponses que les différents systèmes philosophiques, religieux ou non, apportent aux questions existentielles que ces jeunes se posent forcément, aurait un·e titulaire formé·e à la didactique de la philosophie. Contrairement aux professeurs chargés d’un des « cours philosophiques » tels qu’ils ont été institués par le Pacte scolaire, ce·tte titulaire serait, comme ses collègues, soumis·e aux décrets sur la « neutralité » de l’enseignement[11.Voir note 5.]. Ce qui n’empêcherait pas qu’interviennent, dans le cadre de ce cours unique, au moins dans le secondaire, des personnes, non seulement spécialistes d’un courant philosophique (religieux ou non) mais engagées philosophiquement pour témoigner de leur engagement personnel. Ce dernier élément devrait d’ailleurs être institué officiellement (prévu dans les programmes) de manière à ne pas privilégier un seul ou quelques-uns de ces courants. Une marge de choix devrait cependant être laissée aux titulaires de ces cours, de manière à leur permettre de tenir compte de contextes particuliers (exemple : le fait que dans une école ou dans une classe soient surreprésentée une même minorité religieuse, par ailleurs peu présente en Belgique).
Il ne m’échappe pas que le remplacement des multiples cours « philosophiques » par un cours commun d’initiation au questionnement philosophique causerait des pertes d’emplois pour les professeurs titulaires des différents cours « philosophiques ». Ce problème doit être résolu par les pouvoirs publics mais ne peut pas servir de prétexte à l’immobilisme en la matière. Il pourrait d’ailleurs l’être partiellement, par le réengagement d’un certain nombre de ces enseignant·e·s en tant que professeur·e·s de philosophie, à condition qu’ils/elles soient titulaires des titres pédagogiques requis.
(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.5 ; photo d’une salle de classe prise en 2019 par J.Barande.)