Education
Faut-il supprimer les cours de religion à l’école ? Non !
13.03.2023
En février, le journal Le Soir annonçait que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (PS-MR-Ecolo) avançait vers le retrait du cours de religion et morale de la grille horaire des écoles du réseau officiel, à partir de septembre 2024, au bénéfice d’un supplément d’éducation à la philosophie et citoyenneté. À l’occasion de cette annonce, le débat, qui traverse de nombreux milieux, a repris. Outre le milieu politique, il oppose également des personnes qui partagent l’objectif d’une société inclusive accueillant la diversité culturelle et religieuse. Politique a donné la parole à deux d’entre elles dans son numéro 102 ; sorti en 2017. Vous pouvez retrouver l’opinion opposée, signée Michel Staszewski, dans cet article.
Pour comprendre la rentrée chaotique 2016-2017 dans les établissements de l’enseignement officiel au niveau fondamental, il est utile de replacer les événements dans leur chronologie…
En juillet 2014, la Déclaration de politique communautaire (DPC) consacra l’un de ses points à l’éducation à la citoyenneté, mettant en évidence l’idée de remplacer l’une des deux périodes de cours philosophiques par de « l’éducation à la citoyenneté ». Et cela devait se faire « progressivement à partir de la première primaire », dans les écoles de l’enseignement officiel, tout en garantissant le maintien de l’emploi pour les enseignants en place[1.Voir ici la déclaration ici, (p.10).].
Si la DPC annonçait clairement une volonté de proposer une nouvelle formule dans les écoles, le débat n’a pas été véritablement amorcé lors de la rentrée 2014-2015. Les tragiques événements français (Charlie Hebdo, Hyper Casher) qui ont eu lieu en janvier 2015 ont, dans les faits, précipité une volonté de changement de la part de nos responsables politiques. Les médias n’étaient pas en reste et la notion du « vivre-ensemble » comprise presque exclusivement à l’école sous le prisme de la suppression des cours philosophiques, a fait son chemin[2.« Ce qu’il faut retenir de la polémique sur les cours philosophiques », Le Soir, 20 mars 2015.].
Suite à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 mars 2015, les parents ont eu la possibilité, lors de l’année scolaire 2015-2016, d’opter pour une dispense en lieu et place des cours de religion et de morale. C’est le début de la saga de l’EPA (« Encadrement pédagogique alternatif »)[3.Voir ici l’arrêt.]. Plus connu sous l’appellation du « cours de rien », il sera remplacé par l’EPC l’année suivante[4.Uniquement pour le fondamental. Pour le secondaire, il faudra attendre l’année suivante.].
Progressivité ?
Quels sont les éléments qui n’ont pas permis de trouver un consensus sur cette épineuse question (hors des sphères politiques) ? La précipitation avec laquelle cette réforme s’est imposée aux écoles n’a pas permis de construire un dialogue serein avec les principaux concernés, à savoir les élèves, les parents, les enseignant·e·s.
La volonté de « progressivité » soulignée par la DPC n’a donc pas du tout été respectée.
Par ailleurs, relier le contexte de l’actualité française sur les scènes tant médiatiques que politiques à la suppression des cours philosophiques comme nécessaire au « vivre-ensemble », a fait porter à ces derniers une charge émotionnelle qui ne supportait plus le débat de raison. Il semblait urgent de poser un acte fort d’un point de vue éducatif, ce qui n’aura pas été le plus judicieux à mon sens.
Déjà en février 2015, je soulignais que la question du «décloisonnement» était problématique dans le cas d’écoles où le profil socioculturel des élèves est très homogène[5.En opinion sur le site de la RTBF.]. Ainsi, quel sens cela aurait-il de vouloir « décloisonner » une population scolaire quasi exclusivement « issue de l’immigration », de confession musulmane et de culture maghrébine ? Cet exemple constitue l’une des réalités bruxelloises, transposable également en Wallonie pour d’autres cours philosophiques. J’ajoutais : « Il y a quelque chose de burlesque dans cette soudaine volonté de supprimer d’urgence des “séparations” entre des élèves alors que notre pays s’est construit dans une séparation entre des Communautés, des Régions… » (et j’ajouterais : « des réseaux »).
N’aurait-il pas été plus pertinent de commencer par dépoussiérer les manuels scolaires en faisant référence à l’histoire des immigrations, afin qu’ils puissent vraiment faire sens pour l’ensemble des élèves et leur permettre de se retrouver dans la lecture de récits nationaux communs à tous ? C’est très certainement dans les cours d’histoire qu’une réelle approche du « vivre-ensemble » aurait d’abord du être entamée.
En ce qui concerne la pertinence du maintien des cours philosophiques, j’y suis tout à fait favorable, tant les élèves ont besoin d’un espace protégé où ils puissent aborder les questions de sens, notamment celles liées aux identités plurielles.
En tant qu’enseignant·e·s, nous demandions une évolution de l’encadrement de nos cours (y compris la révision du nombre maximum d’élèves par classe, qui dépassent très souvent quarante). La formule des deux périodes[6.Deux périodes de 50 minutes de cours par semaine (NDLR).] permettait de mettre en place des espaces d’échanges et de dialogue entre les différents cours philosophiques. Il eût été utile de formaliser officiellement des pratiques pédagogiques – finalement très courantes – qui permettaient aux élèves de différentes convictions philosophiques de débattre entre eux. La suppression d’une des deux heures ne permettra plus ces riches échanges.
L’année 2015-2016 aura eu son lot de tragédies, tant en France qu’en Belgique (Bataclan à Paris, 22 mars 2016 à Bruxelles). Nous avons été confronté·e·s au lockdown, les écoles ont été amenées à déterminer une safe room… La question du terrorisme islamiste est omniprésente. Il est urgent d’écouter et de rassurer les enfants. Or les réponses politiques apportées suite aux attentats, aux départs en Syrie… manquent cruellement de créativité et de bon sens. Là où les enseignant·e·s de religion (en particulier islamique) auraient pu être les partenaires privilégiés de la prévention de la radicalisation, certains iront rencontrer les imams de mosquées… que les jeunes ne fréquentent pas et qui n’ont aucune influence sur eux, alors qu’ils passent la majeure partie de leur temps sur les bancs de l’école et que leurs professeur·e·s de religion auraient dû s’imposer d’évidence comme des personnes médiatrices. Il y a clairement erreur de casting.
Pour revenir à la question du rôle de l’école, le décret Missions détermine des objectifs que tout enseignement se doit de poursuivre. L’article 6 souligne dans son premier point le fait que l’école a le devoir de « promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves ». Mais comment rencontrer cette exigence sans avoir à aucun moment pris le temps de dialoguer avec les élèves quant à leurs attentes concernant les cours philosophiques ? Les débats sur les notions d’identité plurielle sont au centre des préoccupations des jeunes. Est-on sûr que le nouveau cadre proposé permettra de mieux répondre à ces préoccupations, de favoriser ces divers questionnements ? À partir de ma propre expérience, j’en doute. Il me semblait au contraire que les cours philosophiques entraient parfaitement en phase avec ce point du décret Missions car ils créent un espace où les élèves ont l’opportunité de découvrir et de travailler, dans un espace protégé, leurs multiples identités narratives.
Depuis l’instauration du CPC au mois d’octobre 2016, mon quotidien d’enseignante de religion islamique dans le fondamental et le secondaire a été rythmé – ainsi que celui de mes collègues – par la question que les enfants nous ont posé et à laquelle nous ne savons que répondre : « Pourquoi on nous a retiré une heure de religion ? »
Des réseaux en sens divers
La question se pose autrement dans l’enseignement libre confessionnel (très majoritairement catholique), où l’éducation à la philosophe et à la citoyenneté ne se verra pas dotée d’un cours séparé mais sera « ventilée » à travers l’ensemble des cours existants. Pourquoi ce qui est possible là ne l’aurait-il pas été dans les écoles des réseaux officiels ? Cette différence ne fera que renforcer la logique de marché scolaire avec les dommages collatéraux que cela implique. Un enfant n’est plus égal à un enfant, et un·e enseignant·e de cours philosophiques dans le libre confessionnel – qui n’organise un cours que pour une seule confession – ne vivra pas la double mobilité de celui qui preste dans l’officiel ainsi que le burn out qui s’annonce du fait d’une réforme mal réfléchie, comme s’en est inquiétée la profession tout au long de cette année[7.Quant aux écoles libres non confessionnelles, elles ont choisi de se caler sur le dispositif compliqué qui s’appliquera aux réseaux officiels, alors qu’elles n’y étaient pas obligées.].
La réforme soulève aussi le problème de l’emploi des professeurs de religion. Même si, je le reconnais, cette préoccupation doit passer derrière l’objectif pédagogique, il devrait couler de source que toute réforme doit, dans ses modalités, intégrer les questions liées à l’emploi du personnel, qui ne doit pas subir les effets de décisions politiques. Il tombe sous le sens qu’en divisant par deux le nombre d’heures de cours philosophiques, on divise par deux le nombre de postes nécessaires pour y pourvoir. Quant à savoir si certains professeurs de religion pourraient compenser les heures perdues en donnant des CPC, cette question n’est toujours pas tranchée et il semble acquis que certains d’entre eux seront mis en disponibilité, malgré toutes les promesses. Cette désinvolture en dit long sur le « football panique » qui a présidé à la réforme.
Théoriquement, certains gardent la possibilité de passer de l’officiel au libre. Cette possibilité n’est effective que pour les professeur·e·s de religion catholique. Pour les autres, les opportunités de ce type se présenteront au compte-gouttes.
Enfin, de nombreuses écoles dans lesquelles nous travaillons, mes collègues et moi-même, sont des écoles dites « spécialisées », regroupant des élèves atteints de déficiences physiques, de troubles caractériels, de maladies diverses… Bien que la Constitution garantisse la liberté de choix aux parents en matière d’instruction, le choix d’un établissement adapté est ici fort restreint. Un des derniers choix qui reste, celui du cours philosophique, va disparaître…
Dans l’enseignement officiel, l’incompréhension a atteint son comble lorsque les parents ont dû compléter le document de choix optionnel philosophique lors de l’établissement – dans un premier temps – de de l’EPA en 2015. Ce document « sondage » devait constituer un indicateur très clair de la volonté des parents de conserver ou non le volume des cours philosophiques. Résultats : dans le fondamental, près de 93 % des parents ont opté pour le maintien des deux périodes de cours philosophiques, et près de 82 % dans le secondaire.
Premier bilan
Qu’en est-il aujourd’hui, là où le CPC est installé dans le primaire et où l’EPA disparait des grilles horaires ? Les chiffres oscillent toujours aux alentours des 92 % pour le choix d’un cours philosophique dans le fondamental.
Doit-on y lire l’affirmation claire de la part des parents/élèves de maintenir ces deux périodes ? S’il est vrai que nous pouvons faire dire aux chiffres ce que nous voulons et les interpréter dans tous les sens selon sa sensibilité, la campagne fort active menée par la Fapeo[8.L’association des parents d’élèves de l’enseignement officiel, très engagée en faveur de la liquidation des cours philosophiques.] à la rentrée 2016 en faveur de l’abandon complet des cours philosophiques et donc du choix de deux heures de CPC – campagne toujours en cours à l’heure actuelle –, aura été l’un des éléments marquants de cette saga[9.Voir le site dédié à cette campagne.].
Si, au terme de ces réflexions, je dois répondre à la question « Faut-il conserver le choix entre différents “cours philosophiques” dans les écoles officielles ? », ma réponse est clairement « oui ». J’ajoute que, dans cette confrontation d’idées, on a omis l’essentiel en ne créant pas les conditions d’un débat serein avec les différents protagonistes dont l’opinion n’a jamais été prise en compte.
Construire la société du « vivre-ensemble » ne peut se faire qu’« ensemble ». Faire l’économie de ces discussions en précipitant une décision, c’est exprimer aux jeunes, adultes de demain, l’idée que le dialogue dans nos sociétés est en voie d’obsolescence programmée…
(Image de la vignette et dans l’article sous CC BY 2.5 ; photo d’une salle de classe prise en 2019 par J.Barande.)