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Face aux nouvelles majorités progressistes, le MR s’invente des cordons sanitaires

© Simpacid
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C’est officiel ! Suite aux élections communales, Mons et Forest seront dirigées par une tripartite PS-PTB-Écolo, tandis qu’à Molenbeek une alliance PS-PTB a vu le jour. Une première pour le parti marxiste en Wallonie et à Bruxelles. Face à cet événement historique, partis de droite et médias s’enflamment. Y aurait-il une « rupture de cordon sanitaire » ? Analyse d’un faux cordon et d’une vieille ficelle, remise au goût du jour.

C’est acté. Le jeudi 7 novembre 2024 au soir, Nicolas Martin, chef de file du PS montois, scelle le destin de la commune de Mons. Béatrice Delvaux, l’éditorialiste en chef du journal Le Soir, rappelle que la question de la rupture du cordon sanitaire ne peut s’appliquer au PTB, même s’il faut reconnaître le caractère exceptionnel de la coalition progressiste montoise. De même, La Libre rapporte les propos du nouveau bourgmestre en ces termes : « La théorie du cordon sanitaire à l’égard du PTB est une invention de la droite, de Mr. Bouchez, avec pour seul objectif de se rendre incontournable sur la scène politique en faisant en sorte de diviser les partis de gauche. Le PTB n’est pas un parti raciste. Le seul cordon sanitaire que je connais, c’est à l’égard de l’extrême droite. »

Ce pas de géant pour le PTB, qui s’est répété ce mardi 12 novembre avec la conclusion d’une nouvelle majorité de gauche à Forest, s’accompagne donc d’une controverse tombée du ciel, issue notamment de la bouche de Georges-Louis Bouchez et de Denis Ducarme, celui-là même qui nous rappelle sur ses réseaux qu’en 2016, il adoptait déjà cette rhétorique : celle de la « rupture du cordon sanitaire » face au parti de gauche radicale.

Insister jusqu’à ce que l’on vous croie

Le recours à la rhétorique du « cordon sanitaire » contre le PTB n’est pas anodin. S’inscrivant dans une stratégie plus large de la droite belge, on cherche à diaboliser le PTB en créant un amalgame entre la gauche radicale et l’extrême droite. Or, l’origine du cordon sanitaire remonte à 1989 et visait exclusivement l’extrême droite, représentée par le Vlaams Blok, devenu le Vlaams Belang.

En utilisant cette expression, la droite tente d’implanter l’idée que le PTB, par ses positions critiques du capitalisme, serait aussi dangereux pour la démocratie que les formations d’extrême droite.

L’accusation de rupture n’est donc pas seulement infondée, elle relève d’une manipulation délibérée de l’opinion publique. En utilisant cette expression, la droite tente d’implanter l’idée que le PTB, par ses positions critiques vis-à-vis du capitalisme, serait aussi dangereux pour la démocratie que les formations d’extrême droite. Georges-Louis Bouchez parle sur ses réseaux sociaux de « véritable danger pour notre ville », et « lance donc un appel aux démocrates », car « le PTB n’est pas un parti comme un autre ». Il s’agit, on le voit, de multiples glissements sémantiques pour saper la légitimité démocratique du PTB et en faire un parti infréquentable.

Le cordon sanitaire n’a jamais concerné la gauche radicale

Historiquement, le concept de cordon sanitaire est une réponse sans fondement légal, à la montée de l’extrême droite en Belgique. À ce sujet, l’ensemble des partis traditionnels adoptent une position ferme : aucun pacte ni aucune coalition ne seront formés avec le Vlaams Belang, en raison de son discours raciste et xénophobe. C’est un choix éthique, visant à protéger les valeurs démocratiques face à une idéologie fondamentalement discriminatoire. Ce n’est donc pas l’extrémisme qui est visé par le cordon sanitaire, mais bien les idéologies fascisantes qui nient le fait que tout le monde, peu importe l’origine, la religion ou le genre, est égal.

Assimiler le PTB à cette catégorie relève d’un raccourci idéologique. Ce parti se définit comme marxiste, et prône une transformation radicale de la société par des moyens démocratiques. Son programme est axé sur la justice sociale, la redistribution des richesses, et la défense des droits des travailleurs et travailleuses. Contrairement à l’extrême droite, il ne remet pas en question les droits fondamentaux des minorités ni ne promeut un discours de haine.

Le numérique : terre d’élection de la propagande

Cette controverse autour du prétendu cordon sanitaire révèle un autre enjeu : celui de la factualité dans le débat politique. L’usage d’une terminologie incorrecte et trompeuse, comme le « cordon sanitaire » à l’encontre du PTB, contribue en effet à brouiller les lignes idéologiques et à déformer le débat public.

En entretenant ainsi la confusion, le MR contribue à l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, marquée par un relativisme généralisé. La polarisation croissante du débat public joue un rôle clé, puisque, en opposant systématiquement la gauche radicale aux autres formations, on tente – avec plus ou moins de succès – d’empêcher toute coalition large qui pourrait remettre en cause l’ordre économique établi. Cette manière d’agir, c’est-à-dire justifier par sa seule opinion ce qui relève ou non du cordon sanitaire, ne provient pas des journaux traditionnels, mais s’observe essentiellement sur les réseaux sociaux.

En entretenant ainsi la confusion, le MR contribue à l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, marquée par un relativisme généralisé.

Nous avons changé d’époque. L’ère numérique a aboli la plupart des intermédiaires professionnels, permettant aux politiques de s’exprimer en leur nom, sans vérification extérieure quant au fondement factuel de ce qui est affirmé. La difficulté à exercer notre esprit critique et notre discernement en ligne est ainsi utilisée sans sourciller, en rendant simple une explication subtile, facilitant notre appréhension de la réalité : « extrême = cordon sanitaire ». Il devient simple de dire que les extrêmes sont les « méchants » et de les désigner soi-même, sans jamais ce qui l’est ou non, sans jamais se référer aux faits.

Cordon imaginaire, ficelle bien réelle

La polémique autour de cette coalition à Mons et l’usage du terme « cordon sanitaire » pour discréditer le PTB montrent à quel point le débat politique est devenu polarisé et dominé par les stratégies de communication. Derrière cette controverse se cache une lutte de pouvoir : la droite, inquiète de l’ascension d’un parti de gauche radicale, tente de freiner sa progression en invoquant un cordon imaginaire, une tactique insidieuse qui augmente la confusion politique.

Cette alliance tripartite PS-PTB-Ecolo doit être perçue comme un test pour l’avenir de la gauche en Belgique. Face à la montée du libéralisme et de l’extrême droite, le rassemblement de la gauche semble être une nécessité stratégique. Si cette expérience montoise s’avère concluante, elle pourrait servir de modèle à d’autres communes, où la question de l’alliance PS-PTB-Ecolo s’est posée, notamment dans des communes de Bruxelles.