Politique
Être vraiment de gauche, c’est être anticapitaliste
05.12.2007
Clarifier le paysage politique
Être de gauche, c’est considérer que le principe de valorisation maximale du capital n’est pas le dernier mot quant à l’organisation de la vie économique et de la vie en société. Être de gauche, c’est prôner une démocratie anticapitaliste, un syndicalisme anticapitaliste, un secteur associatif anticapitaliste, un État anticapitaliste. Le mot fait un peu peur, certes. Il semble démodé et bien peu à même de mobiliser un électorat important, en dehors de quelques franges dites aujourd’hui d’«extrême gauche». Mais voyons ce que cette terminologie implique. Dans la campagne électorale française, le PS a dit craindre un morcellement de l’électorat de gauche à cause de la multiplication de petits candidats au sein de la «gauche anticapitaliste». Il faut donc en inférer qu’il existerait une importante «gauche pro-capitaliste» (et qui n’est pas anticapitaliste est nécessairement pro-capitaliste par omission). Qu’est-ce qui distinguerait la gauche pro-capitaliste de la droite? La droite pense que la logique de système du capitalisme est la bonne, et que tout changement social doit s’inscrire à l’intérieur de cette logique capitaliste. La gauche dite «anticapitaliste» prétend, à l’opposé, qu’aucun changement social durable ne peut avoir lieu sans qu’on porte atteinte à la logique du capitalisme lui-même. Quant à la gauche pro-capitaliste, elle maintient qu’il est suffisant, pour créer une société libératrice, de réformer le capitalisme «du dedans», sans toucher à sa logique de fond. La droite dit que la logique capitaliste ne doit pas être réformée mais, au contraire, servir de point d’appui pour les avancées sociales, toutes portées peu ou prou par la valorisation de certains capitaux ; la gauche pro-capitaliste, elle, dit que la logique capitaliste ne peut pas être réformée, mais peut être «encadrée» par règles et normes, dont aucune ne porte atteinte à la valorisation des divers capitaux. Au plan des résultats observables, est-ce qu’il y a une réelle différence ? Je ne le crois pas, et c’est ce qui rend de plus en plus illisible le paysage politique. Dans la campagne présidentielle française, le seul moment où Ségolène Royal s’est démarquée comme clairement «de gauche» fut quand elle montra des velléités d’instaurer des mesures fiscales anticapitalistes, telles qu’une consolidation de l’impôt sur la fortune ou un accroissement des taux marginaux sur les hauts revenus. Ce qui caractérise ces mesures, c’est qu’elles vont à l’encontre du principe de valorisation maximale des capitaux et sont donc perçues, par les élites capitalistes, comme des «confiscations». La gauche pro-capitaliste crie alors au scandale, ce en quoi elle ne se distingue en rien de la droite, si ce n’est par une chose fondamentale: la mauvaise conscience J’ai discuté cette question plus en détail dans mon article «John Rawls ou la mauvaise conscience du socialisme français», Revue socialiste, n°14, décembre 2003, pp. 100-110. Là où la droite voit le capitalisme comme le bon système, la gauche pro-capitaliste le voit comme un mauvais système qui lui a échappé et qu’elle ne se sent plus la force de contester en profondeur. Elle avance alors les exemples, devenus classiques, des «acquis sociaux» de la social-démocratie : amélioration des conditions de vie ouvrières, libération de la femme, Sécurité sociale. Question : laissée à elle seule, la logique du capitalisme aurait-elle permis ces avancées ? Réponse : oui, dans la mesure où des ouvriers moins pauvres, des femmes émancipées et des citoyens mieux soignés sont nécessaires à un capitalisme qui fonctionne d’une manière optimale. La mauvaise conscience de la gauche pro-capitaliste actuelle, et du PS français en particulier, c’est de ne plus se sentir «autorisé» à critiquer le capitalisme en soi. La social-démocratie est donc, tout autant, un produit du capitalisme qu’une avancée du socialisme. Du coup, entre la droite et la gauche pro-capitaliste, tout est question de minuscules degrés, de détails régulatoires, certes importants, mais sans impact sur la vision de fond d’une société plus libre, plus libératrice puisque devant passer le test de la compatibilité avec la logique capitaliste et ses contraintes.
L’avenir? L’économie sociale!
Une gauche pro-capitaliste est, dans une large mesure, un non-sens. Il existe des pro-capitalistes décomplexés et des pro-capitalistes mal à l’aise. Le rôle de ces derniers est sans doute non négligeable, mais seulement s’ils acceptent de répondre un jour à la question-couperet: le capitalisme est-il porteur de toute la libération que je souhaite? Si oui, alors je passe à droite; si non, alors je passe dans la gauche anticapitaliste. La gauche anticapitaliste est donc, en ce sens, la seule «vraie» gauche. Elle part du principe que la logique capitaliste (qui, aux dires mêmes de Marx, fut une force de libération majeure au cours de l’Histoire moderne) est arrivée au stade où elle aliène ceux qu’elle prétend libérer. Progresser au-delà du capitalisme, c’est œuvrer en faveur d’une économie de marché non capitaliste; le marché en soi n’est pas néfaste, mais il le devient dès qu’on lui donne le rôle de servir de lieu d’accumulation de profits et de capitaux. Il faut donc, en tant que gens de gauche, mettre en place une logique alternative qui interdise purement et simplement la concentration du pouvoir économique sous forme de capitaux accumulés. Pour éviter de devoir passer exclusivement par une fiscalité jugée oppressive, il importe pour la gauche de propager de nouvelles façons — non capitalistes — d’être humains, ce qui requiert une place centrale pour un État non capitaliste (mais libéral, donc non «étatiste»), une éducation non capitaliste et un associatif non capitaliste. Le secteur d’avenir, c’est l’économie sociale, pourvu qu’on en radicalise suffisamment les fondements et les objectifs Sur cette nécessaire (re-)radicalisation, voir mon article «Le ‘social’ dans l’économie sociale : Pour une nouvelle radicalisation», La Revue Nouvelle, n°1-2, janvier-février 2007, pp. 74-77.