Politique
Etre acteur de son bien-être : est-ce à la portée de tous ?
01.01.2004
Ce texte a été publié dans le n°28 de la revue Politique de février 2003. Il s’agit de la synthèse de la deuxième réunion publique du chantier santé itinérant des « Assises pour l’égalité ».
Que l’on ait 20, 45 ou 75 ans, qu’on soit fils d’ouvrier, enseignant ou cadre supérieur, peut-on correctement prendre en charge son bien-être physique ou mental ? Pour aller plus loin, doit-on souhaiter que chacun se responsabilise face à sa santé ? On s’en doute, ces interrogations n’ont pas manqué de susciter le débat parmi les participants de la deuxième rencontre du chantier santé itinérant des « Assises pour l’égalité ». Pour donner un cadre conceptuel à la discussion et pour apporter un début de réponse à la première question, le Docteur Luc Berghmans, directeur de l’Observatoire de santé en Hainaut (OSH), a tout d’abord voulu souligner le changement de conception du système de santé en général. Pour être synthétique, ces dernières années, au gré du développement récent de l’épidémiologie, nous sommes passés d’un modèle biomédical de la santé à un modèle socio-écologique de la santé. Schématiquement, cela signifie simplement qu’un état de maladie n’est plus causé par un seul facteur, ou agent pathogène, comme on le pensait précédemment, mais bien par un ensemble de déterminants de santé. Ces derniers allant de l’efficacité des services de santé à l’environnement physique ou encore des conditions sociales et économiques au système politique d’une société donnée. En terme de thérapie, le médecin n’est donc plus considéré comme le seul et unique remède aux problèmes de santé publique. Emploi stable, réseau d’amis, environnement atmosphérique sain, sont désormais reconnus comme autant de réels critères de qualité en matière sanitaire. La multiplicité des déterminants de santé laisse supposer que chacun est différemment exposé aux risques de maladies. Ce qui revient à dire que nous ne sommes pas tous égaux face à la santé. Une récente étude française Etude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Les chiffres cités dans ce texte datent de 1989-1991 montre ainsi que le nombre de décès chez les hommes âgés de 25 à 64 ans travaillant comme ouvrier ou employés est trois fois supérieurs au nombre de décès des cadres supérieurs et des professions libérales pour la même tranche d’âges ! Dans la même lignée, en Hainaut, une étude de l’OSH auprès des écoliers relève que les facteurs associés à la surcharge pondérale sont, principalement, la fréquentation de la filière d’enseignement professionnel, la qualification de père (non manuelle non qualifiée et manuelle qualifiée) et l’appartenance à une famille monoparentale. Responsabilisation, oui mais… Avec l’avènement de l’Etat social actif (ESA), il est désormais dans l’air du temps de parler de responsabilisation de chacun dans la vie qu’il mène. Face à ce discours politique qui voudrait faire croire qu’avec un peu de bonne volonté toute le monde aurait la possibilité de trouver un travail ou le choix de se soigner correctement, Christian Léonard, directeur du service d’étude à l’Alliance nationale des mutualités chrétiennes, ne tourne pas autour du pot, et met en garde. On nous laisse penser qu’en matière de santé, chacun peut s’en sortir seul à condition de simplement écouter les signaux que nous envoie notre corps. Ce discours est tout à fait pervers! Bientôt pour qu’un malade ait le droit de se faire soigner, devra-t-il prouver qu’il a porté attention à son corps dans les semaines ou les mois précédant sa maladie ? Mais pourquoi parler au futur puisque ce principe est déjà appliqué en dentisterie comme le souligne Pierre-Yves Loiseau, de l’association pour une dentisterie sociale. Le patient est remboursé pour un détartrage préventif mais doit par contre ouvrir son portefeuille quand il s’agit d’un détartrage curatif. Ainsi, à partir du moment où une gingivite Inflammation des gencives arrive au stade du saignement, le patient débourse. C’est totalement aberrant! Devant les inégalités de santé, qui apparaissent quasiment dès la naissance selon qu’on naît dans telle ou telle catégorie sociale plus ou moins privilégiée, et face aux risques d’autonomisation, voire d’individualisation, de la gestion des problèmes de santé, que convient-il de faire pour arriver à contrebalancer le levier afin de poindre vers un équilibre souhaitable pour tous ? Pour toute l’assemblée, il est clair que le pouvoir politique détient une part de responsabilité dans le processus. Au Québec, intervient Liliane Leroy, du service d’études des Femmes prévoyantes socialistes, chaque initiative politique importante (que ce soit dans le domaine de l’enseignement, des infrastructures, des transports, du logement, de la législation du travail…) passe sous les yeux du ministre de la santé pour voir si elle est susceptible d’avoir des répercussions positives ou négatives en matière de santé… De son côté, Natacha Carrion, médecin généraliste à Seraing, recommande vivement les campagnes de vaccinations en tant que réelles opportunités égalitaires. Il faut à nouveau envoyer des messages clairs aux patients ! Les gens ne comprennent plus, à raison, le langage trop technique qu’on leur administre. Qui sait aujourd’hui ce que signifie ROR Rougeole, Rubéole, Oreillon ? Bref, parlons simplement aux gens en partant de ce qu’il savent. Pierre-Yves Loiseau donne à cet titre une méthode révélatrice (salvatrice ?). Pour être efficace, il faut aussi parler à l’imaginaire. Quand j’accueille un enfant qui a de la « plaque dentaire », je ne lui parle pas de microbes mais de champignons. Pour lui faire comprendre la perversité de ces champignons pour sa dentition (étant de la couleur des dents, ils sont en effet difficiles à déceler), je lui dis qu’ils vivent tels des caméléons dans sa bouche. Pour l’enfant, le brossage quotidien de ses dents devient alors un jeu qui consiste à «débusquer les caméléons de leurs cachettes». De l’avis de tous, parallèlement au rôle des politiques, il faut donc absolument reconnaître les aptitudes des citoyens face à des situations sanitaires problématiques. Nous pouvons en effet tous nous approprier certaines actions visant à la maîtrise de nos maux. Celles-ci vont de la consultation d’un médecin au développement de sa vie sociale dans le quartier en passant, le cas échéant, par l’administration d’un câlin plutôt que d’un calmant à son bambin. Dans le même temps, les personnels de santé doivent penser à considérer les personnes qu’ils aident comme des sujets et non pas comme de objets de soin ou de profit. Pour ce faire, il est nécessaire d’arpenter le quotidien de tous les types de populations et d’adapter ses outils de travail aux modes de fonctionnement et aux préoccupations de chaque public. En termes de solutions, le débat ne s’est cependant pas clôturé dans l’unanimité. L’épineuse question de l’expertise de santé – qui du patient ou du personnel soignant sait ce qu’il est bon de faire pour le premier ? – a effet dégagé deux points de vue opposés parmi les participants. Pour les uns, l’expertise se trouve d’abord dans les mains des patients, qui vivent plus au cœur des réalités sociales. Pour les autres, ce sont les prestataires de soins qui détiennent une telle davantage cette compétence, de par leur expérience générale, qui dépasse les sphères locales et les expériences strictement individuelles sur lesquelles les patients appuient leurs connaissances.