Politique
Et si les jeunes gagnaient moins ?
21.03.2018
Un jeune de 18 ans verra son salaire brut baissé de 18 %, un jeune de 19 ans de 12 % et un jeune de 20 ans de 6 %. Par exemple, au lieu du salaire minimum de minimum 1562,59 €, un jeune travailleur de 18 ans ne pourrait plus prétendre par exemple qu’à un salaire brut de minimum 1281,32 €. Le gouvernement a prévu la compensation de la perte du salaire net via une prime pour que le jeune ne soit pas impacté sur son salaire-poche mensuel. Mais à l’heure actuelle, la réforme ne prend pas en compte que la baisse du salaire brut du jeune a comme conséquence des pertes de salaires (pécule de vacances et prime de fin d’année) et de droits sociaux pour le jeune.
Intéressons-nous plutôt à la philosophie de cette mesure. L’idéologie sous-jacente à la réforme des starters jobs est qu’il faut adapter les salaires à la productivité réelle des travailleurs, ici les jeunes. En novembre 2015, nous attirions déjà l’attention dans un article de la revue Démocratie, « La jeunesse, une cible privilégiée », sur l’envie patronale de détricoter les salaires minimums des jeunes. Force est de constater que le gouvernement a cédé aux sirènes patronales.
Rappelons qu’une grande partie des jeunes en début de carrière, dans la transition école-entreprise ou simplement comme jobiste étudiant, sont déjà rémunérés en-dessous du salaire minimum interprofessionnel :
- Les jeunes travailleurs de 16 et 17 ans (70 % et 76 % du revenu minimum mensuel moyen garanti [RMMMG])
- Les apprentis en formation en alternance [entre 265 et 500 euros]
- Les stagiaires de transition [3 ou 6 mois en entreprise] pendant le stage d’insertion professionnelle à la sortie des études, payés 200 euros par l’employeur et 680 euros par le Forem
- Les jobistes étudiants [70 % du RMMMG à 16 ans, 76 % à 17 ans, 82 % à 18 ans, 88 % à 19 ans et 94 % à 20 ans]
Pour encourager les employeurs à engager des jeunes, il faudrait donc selon le gouvernement instaurer des salaires minimums inférieurs au RMMMG ! Notons que l’inspiration de la réforme des starters jobs est à tirer directement des « Recommandations de l’OCDE » à la Belgique en 2015 qui précise : « les autorités et les partenaires sociaux devraient donc envisager de rétablir le salaire minimum légal réduit pour les jeunes ».
Les jeunes sont-ils réellement moins productifs ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser à la théorie affirmant qu’une augmentation du salaire minimum a un impact négatif sur l’emploi et va augmenter le chômage des jeunes.
Effet négatif du salaire minimum sur l’emploi ?
L’OCDE déclare qu’en 2012 le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est de 19,8 %. Selon leurs statistiques, il était ensuite de 23,68 % en 2013, de 23,30 % en 2014 et à 22,10 % en 2015. Or, entre 2013 et 2015, les salaires dégressifs jeunes ont été progressivement supprimés. On ne peut donc pas affirmer que l’augmentation salariale des jeunes a eu un impact négatif sur le chômage des jeunes.
Le salaire minimum serait, selon la doxa libérale, une entrave pour les employeurs à engager les jeunes qui seraient en début de carrière moins productifs que le salaire auxquels ils sont payés.
Les études économiques sur le salaire minimum et son impact négatif sur l’emploi n’arrivent pas à des résultats similaires qui valideraient dans tous les cas l’hypothèse. Parfois, on y trouve une corrélation, parfois pas. Les études montrent généralement que l’introduction d’un salaire minimum peut avoir un effet positif sur la cohésion sociale et la lutte contre la pauvreté et un effet négatif sur l’emploi des peu qualifiés [jeunes ou non]. Quand on investit l’hypothèse de l’introduction d’un salaire minimum jeune inférieur au salaire minimum, si une reprise à la hausse du taux d’emploi des jeunes est prédite, les auteurs doivent souvent admettre qu’elle aura comme conséquence des « effets de substitution », c’est-à-dire que les nouveaux emplois créés en évincent dans d’autres catégories d’âges.
Un effet positif d’un salaire minimum jeune (SMJ) identifié est controversé. D’un côté, certains employeurs qui n’étaient pas capables d’engager peuvent ainsi engager, la rentabilité du travailleur est proportionnellement plus forte car il est payé moins cher, ce qui permet d’adapter l’offre des produits sur des prix plus bas, renforçant ainsi la position concurrentielle de l’entreprise. D’un autre côté, lors des débats du BIT en 1927 sur le salaire minimum, on se demandait si « une industrie qui, de façon permanente se trouve dans l’impossibilité de payer des salaires suffisants représente-t-elle vraiment un apport économique ou industriel pour le pays ? ».
Et les aspects non-économiques dans la productivité ?
Les études économiques ont le désavantage d’être focalisées sur l’angle économique qui peut constituer un biais à la compréhension en sous-estimant les effets cognitifs par exemple : les jeunes qui seront payés 7,50 euros de l’heure, ce qui ne leur permettra pas de s’autonomiser, de payer un loyer, acheter une voiture… seront-ils toujours autant motivés dans leur travail et donc resterons-ils aussi productifs ? Comment les travailleurs payés au-dessus du salaire minimum accueilleront et travailleront avec ceux qu’ils peuvent voir comme des concurrents aux prix bradés ?
Les aspects médicaux, physiques et éducatifs ne sont pas non plus investigués. L’absentéisme pour raison médicale tend, en effet, à croître avec l’âge. L’employeur aura moins de coûts de salaire garanti avec un jeune travailleur. Sur le plan physique, le pic de forme au niveau de la force musculaire croît jusque 25-30 ans, avant de décroître lentement mais sûrement. Pour les métiers physiques, un jeune n’est certainement pas moins productif qu’un ainé. Quant au volet éducatif, il convient de dire que le niveau général d’instruction de la jeunesse est largement supérieur à celle de ces ainés actuellement à l’emploi.
Des réalités différentes par secteurs ou selon la qualification initiale
Par ailleurs, la plus-value par unité de production [la productivité de chaque travailleur] est très différente de métiers en métiers. Un jeune friturier qui vend 20 paquets de frites par heure voit très bien qu’il rapporte plus de 7,5 euros de l’heure à son employeur, tout comme le jeune barman qui vend 25 cocktails par heure. Un jeune magasinier ou un jeune caissier chez Carrefour est-il 50 % ou 100 % moins rapide que ses collègues pour réapprovisionner ou scanner les articles ?
Selon le secteur d’activité, l’écart de productivité dépend surtout de la formation initiale à l’entrée en entreprise. Cela peut varier de quelques semaines à quelques mois pour apprendre les compétences requises. Mais ce serait plutôt la tendance des entreprises à rechigner à former ses travailleurs qui est plus handicapante que l’âge du travailler. Quels que soient son âge, c’est l’ancienneté dans l’entreprise ou dans le secteur qui est déterminante.
Même s’il est bien tendance de dire qu’il y a une inadéquation de qualification entre les compétences attendues par les employeurs et celle du travailleur, nous savons que le niveau général d’instruction de la jeunesse est largement supérieur à celle de ces ainés actuellement en emploi. Malheureusement, le problème réside dans l’évolution des métiers avec le développement technologique, avec des employeurs à la recherche d’une main d’œuvre hautement qualifiée mais également des travailleurs peu qualifiés prêt à travailler dans des métiers en pénurie ultra-précaires. Ce n’est pas une honte qu’une partie de nos jeunes n’acceptent pas les conditions ultra-précaires et rêvent d’un meilleur avenir. Mais il est en effet plus facile de faire accepter à quelqu’un qui n’a pas encore de maison, d’enfants, etc… de travailler pour un salaire inférieur au salaire digne. C’est le seul objectif de la discrimination salariale.
La productivité est différente d’un individu à un autre, d’une branche d’activité à une autre, dépend des conditions médicales, éducatives de chacun, mais aussi selon la santé de l’entreprise, selon l’ancienneté du travailleur, selon le niveau d’automation de l’appareil productif. La caractéristique de l’âge n’est pas la principale et ne peut donc pas être retenue.
Retardement de l’âge de la sortie d’étude avant d’entrer dans la file d’attente…
Qu’est-ce qui fait que le taux de chômage des jeunes est plus élevé ? Il l’est particulièrement chez les plus jeunes [18-21 ans] et chez les peu qualifiés. Les jeunes de 18-21 ans qui ont quitté le système éducatif sont surtout pénalisés car ils sont peu qualifiés, tout comme le reste du public peu qualifié, qu’ils soient issus de la migration ou éloignés de l’emploi. Les jeunes de moins de 25 ans au niveau d’étude élevé ont d’ailleurs en 2015 un taux de chômage plus faible que celui de toute la population peu qualifiée [14,7 % contre 17,0 %]. Les peu qualifiés de moins de 25 ans sont eux à 40,0 % de taux de chômage, bien loin des 18,9 % des jeunes au niveau d’étude moyen.
En 2015, 44,15 % des jeunes de 18 à 20 ans s’inscrivant au Forem en stage d’insertion n’ont pas le diplôme du secondaire. Si on compare les chiffres d’inscription au Forem entre 2013 et 2015, les jeunes de 18 à 20 ans subissent une chute de 25 %. Ils ne sont plus que 11 017 Wallons à s’y être inscrits à la sortie des études contre 14 701 en 2013 [chute de 3 684 unités]. 3 analyses sont possibles : soit ils ont trouvé un emploi et ne s’inscrivent pas au Forem [peu probable], soit ils continuent leurs études, soit ils font partie des exclus suite à la mesure de restrictions d’accès aux allocations d’insertion pour les jeunes de moins de 21 ans sans diplôme prise en janvier 2015. C’est préoccupant.
Finalement, n’oublions pas que le taux de chômage d’une catégorie de la population n’est pas indépendant de la politique générale de l’emploi. Avec l’allongement général des carrières via la suppression des prépensions et le recul à 67 ans de l’âge de la retraite, le nombre de places libérées chaque année dans les entreprises publiques et privées diminue. Cela impacte l’entrée dans le monde du travail des personnes qui n’y sont pas encore, essentiellement les jeunes. Cela crée une file d’attente qui mène à une précarisation de l’emploi et une augmentation de la durée des études. Mais peut-être est-ce finalement ça le but de la mesure ? Avec ses mesures, le gouvernement fédéral est en tout cas le sponsor officiel de la précarité des jeunes.