Politique
Entreprise
23.10.2006
L’ENTREPRISE est considérée par les économistes comme la mise en commun des facteurs de production. L’individu n’est pas possesseur d’un travail mais source d’une activité indifférenciée que l’ENTREPRISE, en la coordonnant aux autres facteurs de production, transforme en travail. L’ENTREPRISE devient ainsi la condition nécessaire de l’accès à la sphère économique. Le travail peut alors être réduit alors à sa seule fonction de facteur de production et le travailleur à une ressource humaine. L’ENTREPRISE, comme lieu d’établissement du contrat de travail, est l’organe premier du droit du travail et a permis l’institution par l’État, dès l’entre-deux-guerres, de partenaires sociaux investis du droit de décider pour l’ensemble des travailleurs. Dès lors, s’il devait contester sa logique, le salarié ne pouvait le faire qu’en tant que membre de l’ENTREPRISE. Que l’on soit partisan du libéralisme, de la planification ou de l’autogestion, l’ENTREPRISE s’est ainsi trouvée au centre des conflits et des luttes de pouvoir autour du travail. L’institutionnalisation des relations collectives du travail et le développement des systèmes de protection sociale, en préservant le rapport salarial des incertitudes du marché par des procédures administratives, ont pu faire croire pendant les « 30 glorieuses » à une « démarchandisation » du salaire. À partir des années 1980, avec la montée du libéralisme, la flexibilité sera érigée en impératif par les ENTREPRISES. Elle entraînera le démantèlement de protections juridiques considérées désormais comme autant d’obstacles à la perméabilité des rapports de travail vis-à-vis du marché. Il ne suffit pas de constater l’importance du chômage, l’extension du travail intérimaire, la multiplication de contrats de travail atypiques, à temps partiel ou à durée déterminée, et les formes de regroupement d’employeurs pour conclure à l’effritement de la condition salariale. Au contraire, le salariat s’étend désormais à des catégories de travailleurs qui échappaient à son emprise et représente à présent environ 85% des actifs. Si bien que sa diversité apparente cache tout autant l’incorporation de nouvelles catégories de salariés. On perçoit cependant moins l’importance des activités qui échappent aux périodes temporelles habituelles de travail : la sous-traitance qui se généralise jusqu’à dissoudre l’ENTREPRISE dans un ensemble de relations, les formes diverses de consultance, l’importance prise par des emplois de service (chèque service, ALE…) qui s’organisent hors du cadre défini par les ENTREPRISES. Ces agencements d’activité SANS ENTREPRISE donnent consistance à l’idée suivant laquelle l’engagement à un projet économique non seulement n’implique pas l’appartenance à une ENTREPRISE particulière mais peut s’accommoder des statuts d’emploi traditionnels. La fin programmée de l’emploi à durée indéterminée et à temps plein pourrait dès lors s’avérer moins probable que celle de la coordination des activités par la forme classique de l’ENTREPRISE. Des modalités nouvelles de subordination salariale autour de projets ne sont-elles pas observables dans de nombreuses situations ? En d’autres termes, la diminution des capacités d’intervention des syndicats reflète peut-être plus la régression de l’ENTREPRISE comme modalité de coordination des activités économiques que la perte d’emprise des syndicats par rapport aux salariés. « L’organisation en projets et en réseaux » a-t-elle libéré le travail de ses contraintes institutionnelles ? L’ENTREPRISE, au contraire, est-elle entrée en clandestinité pour échapper au salaire social et à ses obligations d’employeur ? Le salariat avait certes libéré le travail du métier pour l’enfermer dans l’ENTREPRISE. Libérée de l’ENTREPRISE, la « servitude volontaire » instaurée par le salariat trouverait-elle son accomplissement ultime ou au contraire les voies de son émancipation ?