Écologie • Élections
En échec électoral, Groen doit faire face à des questions existentielles
31.10.2024
Alors que se met en place la coalition arizona, anti-climat, antisociale et néolibérale, les Verts sont en crise, et doivent urgemment trouver des réponses à certaines questions. Face à la défaite, seule une analyse critique de leurs erreurs pourra inverser la tendance. Un commentaire de Lode Vanoost, militant et ancien député fédéral belge de Groen.
Groen est victime du fédéralisme belge. La mise sur un même niveau des législations fédérale et régionale fait de la Belgique un système complètement à part. Ceci a des conséquences importantes en ce qui concerne la perception des participations gouvernementales aux deux niveaux de pouvoir, et cela joue des tours aux Verts depuis 2019.
Je pense en effet que l’opposition verte au Parlement flamand en a été fortement victime, pratiquement invisible en raison de l’attention presque exclusive accordée à la participation du parti au gouvernement fédéral. Avec le transport public et l’énergie, les Verts avaient pourtant en main deux thématiques fédérales qui auraient dû être idéales pour eux.
Or, cette participation a encore eu moins d’effet que celle de la période 1999-2003, la toute première de Groen. Et le rail se porte vraiment mal aujourd’hui, encore plus mal que durant la première participation fédérale.
Groen a-t-il tourné le dos à son histoire ?
Il était une fois des pionniers du combat contre l’énergie atomique. C’est l’une des raisons de l’apparition du mouvement écologiste, dès la fin des années 1960, qui s’étendit alors sur l’ensemble de la planète. Aujourd’hui, les ministres verts sont devenus des défenseurs de cette méthode de création d’énergie, par exemple en soutenant le mythe des petits réacteurs SMR.
Il était une fois des leaders du plaidoyer pour la suppression de l’OTAN, la réforme de l’armée en une institution de l’ONU pour le maintien de la paix, et l’enlèvement des armes nucléaires états-uniennes de Kleine Brogel.
Le deuxième pilier de la création du mouvement écologiste est le mouvement pour la paix. Mais aujourd’hui, les ténors écologistes soutiennent avec enthousiasme l’élargissement de l’OTAN aux pays voisins de la Russie et ont défendu, auparavant, des guerres illégales contre la Libye et la Syrie.
Il était une fois des leaders du plaidoyer pour la suppression de l’OTAN, la réforme de l’armée en une institution de l’ONU pour le maintien de la paix, et l’ enlèvement des armes nucléaires états-uniennes de Kleine Brogel. Mais ces points n’ont même pas fait l’objet d’une bataille lors des négociations gouvernementales de 2019.
Groen, les syndicats et les services publics
Durant ce dernier gouvernement, la ministre Petra De Sutter est apparue comme charismatique et intègre. Malheureusement, elle n’a pas su offrir, comme ministre des Entreprises publiques et de la Fonction publique, suffisamment de résistance à la virulente volonté des autres partis de privatiser et démanteler les services publics.
Les verts n’ont jamais cherché ou réussi à établir des convergences avec les travailleurs, travailleuses, et leurs organisations syndicales.
Auparavant la plupart des parlementaires Groen étaient des syndicalistes convaincus.
Au cours des deux dernières législatures, ils ont compté dans leurs rangs des députés qui désignaient même les syndicats comme étant « un élément du passé ».
Auparavant la plupart des parlementaires Groen étaient des syndicalistes convaincus, la plupart du temps, mais pas uniquement, au sein du syndicat ACV–CSC.
Des promesses non tenues
Les autres partis ont trahi sciemment les verts de manière préméditée lors de chaque participation gouvernementale (par exemple en 1999-2003, avec la promesse non tenue de l’écotaxe, contenue dans lesdits « accords de la Saint-Michel »).
Mais, comme chaque parti qui souhaite se ressourcer, les verts doivent en premier lieu jeter un regard sur leurs propres responsabilités dans leurs échecs.
Groen et Écolo vont-ils définitivement devenir des libéraux-softs-de gauche, les restes verts de la troisième voie de Tony Blair ?
Groen et Écolo devraient donc, comme à peu près tous leurs équivalents en Europe (à l’exception des verts français avec le NFP) réfléchir de manière urgente aux raisons qui justifient encore leur existence.
Vont-ils définitivement devenir des « libéraux-softs-de gauche », les restes verts de la « troisième voie » de Tony Blair et consorts, sans aucun attrait électoral ? De la manière dont ils s’y prennent pour le moment, la chute sous le seuil d’éligibilité menace tout autant qu’une perte éventuelle de leur pertinence politique.
Une jeunesse qui se détourne
La détérioration du climat va encore plus vite que prévu. Chaque année, tous les records sont battus. Les glaciers fondent, le niveau de la mer augmente, la météo devient plus extrême, les étés de plus en plus chauds, la pluie tombe pendant des semaines, ou bien tellement en une heure, que l’infrastructure n’arrive pas à y faire face, comme on l’a vu à Pepinster.
Pour des jeunes de vingt ou trente ans, Groen et Écolo font partie du système politique traditionnel.
Or les jeunes qui ont entrepris des actions pour le climat, ces dernières années, n’ont, à mes yeux, pas assez considéré les partis verts comme des alliés, et ces derniers n’ont même pas été impliqués ou informés de ces mouvements spontanés.On peut même considérer que des mouvements comme Extinction Rebellion ont précisément fait le choix de leur mode d’action radical, parce qu’ils ne trouvaient plus de soutien auprès des partis verts et de leurs élus.
Ces partis ont perdu, définitivement, leur image d’outsiders de la politique, à la fois nouveaux, jeunes et purs. Pour des jeunes de vingt ou trente ans – ceux qui appartiennent à la « génération Z » ou les « millenials » – Groen et Écolo font partie du système politique traditionnel. Que les grandes entreprises et les riches considèrent encore les verts comme le diable incarné ne compte aucunement pour eux.
Quelles solutions ?
La question majeure est de savoir si les verts veulent continuer à exister et comment. La preuve est faite, après deux participations gouvernementales et vingt ans d’opposition, que la participation au pouvoir n’apporte jamais rien de bon, parce qu’ils y sont toujours les plus petits, les plus faibles, les moins expérimentés et les plus trompés.
À chaque fois, on leur a fait des promesses, selon lesquelles des choses seraient réalisées à une date, située après leur période de participation. À chaque fois, les verts ont accepté. Le « stop » au nucléaire en est l’exemple le plus clair. Dès le retour des verts dans l’opposition en 2003, les gouvernements successifs n’ont pratiquement rien fait pour le développement de sources alternatives d’énergie.
Les mêmes partis ont pu affirmer qu’il n’y avait pas assez de capacités alternatives face à l’énergie nucléaire.
Et puis, sans aucune gêne, les mêmes partis qui en sont responsables ont pu, vingt ans plus tard, affirmer qu’il n’y avait pas assez de capacités alternatives face à l’énergie nucléaire. De manière kafkaïenne, cette considération était correcte, mais il manquait toujours une partie de la phrase. Nous n’avons pas de capacité alternative, « parce que nous avons délibérément fait en sorte que les alternatives ne soient pas disponibles ».
Il y a bien entendu des différences, aujourd’hui, avec la défaite de 2003. Groen, à cette époque, participait aussi bien au gouvernement fédéral qu’au gouvernement flamand. En 2003, malgré la perte de tout élu au parlement fédéral, le parti devait sa survie au fait que les élections régionales flamandes n’avaient eu lieu qu’un an plus tard. Ce ne fut pas le cas cette fois-ci.
Un manque de mémoire
Cette fois-ci, Groen était un parti d’opposition au niveau régional. De plus le parti disposait d’une figure représentative importante, avec Petra De Sutter. Malgré tout, ce qui n’a pas non plus aidé, est le fait que la génération actuelle au sein du parti n’a aucune connaissance de son héritage historique. Elle n’a donc tiré aucune leçon de ce qui n’a pas fonctionné en 1999-2023 et a par conséquent réitéré les erreurs d’autrefois.
La nouvelle génération n’a tiré aucune leçon de ce qui n’a pas fonctionné en 1999-2023.
C’est ainsi que les ministres verts ont, à nouveau, été aspirés dans une spirale croissante de petites concessions. Ce qui a amené le parti, comme il y a 20 ans, à des concessions fatales. Des concessions qui ont culminé dans le fait qu’une ministre verte fasse la promotion de l’énergie nucléaire. Tout cela dans le vain espoir que les grandes entreprises lui en sauraient gré, ce qui n’a jamais été le cas et ne le sera jamais.
Les ténors verts actuels n’ont pas en mémoire non plus le congrès économique de 1985, qui permit de développer une vision économique alternative, qui reste toujours pertinente aujourd’hui.
En fin de compte, le fait que la plupart des députés Groen sortants aient abandonné le combat électoral a été très dommageable. Quelles qu’aient été les considérations personnelles de chacun et de chacune, cela a engendré la perception d’un parti qui ne croyait plus en lui-même.
Pas de solution miracle, mais…
Ce qui paraît clair c’est que les verts ne peuvent plus participer à un gouvernement où ils sont le parti le plus petit. Cela signifie aussi qu’ils doivent opérer un retour à leurs racines – sans pour autant les reprendre telles quelles – avec un regard sur ce qui a changé.
Le sommet doit réapprendre à écouter sa base.
En priorité, Groen devrait se centrer entièrement sur son travail au niveau local. Dans de nombreuses communes, et dans une ville comme Gand, les militants et militantes ont en effet réalisé beaucoup de bonnes choses. Il faut donc inverser la tendance. Le sommet doit réapprendre à écouter sa propre base.
En tant que militant, j’espère que Groen est toujours opposé au développement de la croissance illimitée du modèle économique actuel. Mais ce parti, ce mouvement, doit quant à lui recroître à nouveau. Dans le contexte actuel, cela signifie un parti qui atteigne 20% des voix, et qui ne se satisfait plus d’avoir comme seule et unique ambition, des résultats en dessous des 10%.
Vers un front progressiste
Cela signifie aussi qu’il faut développer un programme socioécologique cohérent. Il faut oser porter un regard ouvert sur la possibilité de collaboration avec les deux autres partis de gauche, et arrêter de se centrer de manière crispée sur les points de divergence entre les visions respectives.
Il y a trop de choses qui rassemblent les verts et les rouges, beaucoup plus que celles qui les séparent. Et il y a aussi beaucoup plus de choses qui les séparent des partis de droite.
Le plus grand adversaire d’un front de gauche des forces progressistes, c’est la droite.
De plus, il existe, à la base, chez Groen, une disponibilité beaucoup plus grande qu’au sommet pour participer à la formation d’un front progressiste.
N’oublions pas, à ce propos, une chose importante : le plus grand adversaire d’un front de gauche des forces progressistes, c’est la droite. Et, même s’ils ne l’avoueront jamais, ce front progressiste représente leur plus grand cauchemar.
Et un retour à la base
Dans quelle mesure Groen peut-il encore se remettre sur pied au plan communal ? Difficile de répondre à cette question. Il ne faudrait plus qu’il y ait tant de communes où Groen n’existe pas. Ou des communes dans lesquelles, les élus communaux constituent en même temps les seuls militants actifs du parti, sans véritable base militante locale.
Un retour à la base s’impose donc, pour établir un large enracinement dans les communes. Il s’agit aussi surtout de croître comme parti, pour ne plus participer à des gouvernements dans une position de faiblesse. C’est tout sauf simple dans une période où l’appartenance à un parti politique n’est plus une évidence.
La politique, c’est vouloir atteindre l’inaccessible. Nelson Mandela a dit un jour : « Cela paraît toujours impossible, jusqu’au moment où c’est réalisé. » Cela me paraît un excellent slogan pour Groen.
Ce texte a paru initialement en néerlandais sur le site De Wereld Morgen. Traduction en français par Jean-Paul Gailly.